Image
© Inconnu
Dans un communiqué de presse paru le 04 février dernier, le Collège intermutualiste national (CIN) a fait part des diverses inquiétudes qu'a l'ensemble des mutuelles du pays face au projet de libre-échange entre l'Europe et l'Amérique du Nord, le « Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement » ou TTIP en anglais1. S'est annexé à ce faire-part, une analyse justificative des différentes menaces qu'encourt notre système de soins de santé à court et moyen terme. Entre opacité dans les négociations, manque de clarté, mesures souvent équivoques et imprécisions... Quelles sont les craintes exprimées ? Pourquoi est-il impératif pour nous, citoyens, de les appréhender ? Comment ? Petit tour d'horizon !

Depuis juillet 2013, le débat entre acteurs américains et européens refait surface suite à la relance des négociations entre les 2 continents. Les objectifs économiques avoués sont d'encore et toujours libéraliser plus le marché et d'en conquérir de nouveaux ... à ce niveau là, les soins de santé sont clairement sous les feux. Mais qui définit la limite ? Quelle place pour la démocratie ?

Concrètement, le rapport du CIN met en évidence 6 exigences et/ou remarques dont l'attention mérite d'être portée. Passons-les en revue :

1. Un manque accru de transparence dans les négociations et une absence d'implication citoyenne.

En effet, comme dit précédemment, le TTIP aura une répercussion sur la vie quotidienne des citoyens européens. Une grande méfiance et prise de conscience vont de pairs dans la quête d'informations. Cette dernière étant difficile vu que les négociations se font à huis clos et que le décalage entre l'avancement des discussions et la publication de documents officiels est grande. À titre d'exemple, il est noté que 16 mois (septembre 2013 - octobre 2014) ont été nécessaires entre la relance des dits discussions et la publication du mandat de négociation européen. Celle-ci s'est faite sous le coup d'une pression grandissante du mouvement social (associations, syndicats, citoyens) qui ont notamment lancé un mouvement pour l'arrêt du TTIP qui a déjà récolté plus de 1.475.000 signatures.

2. Protéger les services de santé et des assurances maladies du TTIP

Il est en effet inacceptable et anti-démocratique que des services d'intérêt public soient service du profit. Surtout lorsqu'il s'agit de bien commun et fondamental tel que la santé. La libéralisation sur un marché des services sociaux permettrait à moyen terme de proposer des prix simplement inabordables pour la plupart des concitoyens européens. Le CIN s'inquiète du manque de clarté en ce domaine. Il n'est pas exclu que les lois belges auront du mal à concurrencer avec les mesures qui sont et seront prises, l'État belge perdant la main mise sur l'état sanitaire de ses assurés.

3. Des dispositions drastiques et exemplaires sur les produits pharmaceutiques afin qu'ils restent dans la disponibilité et l'intérêt du patient

Il est question d'une élévation du prix du médicament qui seraient liés à l'innovation. Il y a beaucoup d'ambiguïtés : qu'entend-on par « produit novateur » ? Pourquoi tarifer cette dernière ? Cela aurait des grands coûts à l'heure où on sait que de plus en plus de belges ont du mal à se soigner pour des raisons d'argent (1 sur 15 reporte des soins pour des raisons économiques). De plus, il est souvent discuté dans les négociations de publicité pour les médicaments sous prescription et l'autorisation de la vente de médicaments sur Internet. Cela a pour conséquence de remplacer l'expertise médicale par de l'information abusivement permanente et faisant manque de discernement pour le patient. Les mutualités demandent que le droit européen soit préservée en la matière.

4. Des droits de propriété intellectuelle s'attaquant directement aux portefeuilles du patient

L'industrie pharmaceutique veut aussi étendre ses droits de propriété intellectuelle sur le temps. Pareille exigence implique de manière sous-jacente un allongement des brevets des médicaments par exemple (mais aussi l'hétérogénéité des standards, ...). En illustrant ce premier, il en découle une série de conséquences directement perceptibles de notre position à savoir une attaque directe sur notre système de sécurité sociale (remboursements des médicaments, brevets de procédures médicales), un accès restreint sur la thérapie adaptée car fortement onéreuse et de facto un monopole absolu de la firme du principe actif sur le marché.

5. La garantie du respect des politiques de promotion de la santé et de prévention

La menace réside en l'éventualité pour les firmes pharmaceutiques d'exiger des dommages et intérêts sur des bénéfices qu'elles n'auraient éventuellement pas pu atteindre selon leurs propres objectifs. Amendes administratives qui, in fine, devront être remboursées par le contribuable belge. Est également dans le collimateur des firmes, les campagnes de prévention primaire, secondaire et tertiaire, la promotion à la sensibilisation citoyenne sanitaire pourrait être perçue selon eux comme étant une éventuelle part de profit perdue. Il y a cet exemple de l'Australie dont une campagne publique anti-tabac a été attaquée par la firme Philipp Morris dans le cadre d'un accord semblable au TTIP et qui a été condamnée à 5 milliards d'amende Les mutualités belges demandent une reconsidération de l'intérêt public européen dans sa globalité et la conformation des multinationales américaines aux normes européennes en la matière. La santé sera, dès lors, régie par les lois du profit !

6. Et si, il y a conflit ? Qui sera jugé ? Et surtout, par qui ?

Pas facile de répondre à la question. Il existe aujourd'hui un organisme appelé ISDS (pour Investor-state dispute settlement) qui a pour objectif « d'accorder plus de pouvoir aux entreprises face aux États, en permettant à une firme d'attaquer un État devant un tribunal arbitral international comme le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), un organe dépendant de la Banque mondiale basé à Washington »4. Pour la petite histoire, il n'y a pas 3 fichiers-texte de documentation sur le site officiel du CIRDI qui ne soient pas payantes, le ton est donné... Il est en effet admis que, par cette astuce juridique, il sera désormais dans les possibilités des investisseurs de comparaître devant des collèges d'arbitrage internationaux, évitant ainsi le droit et la jurisprudence belge et européenne.3 En 2013, déjà la moitié des pays de l'UE ont comparu devant ces tribunaux et ce sont les États membres de la Banque mondiale qui payent ces procès...

En conclusions, on voit que rien que concernant la santé, il y a énormément d'enjeux sociaux, économiques et démocratiques derrière ce traité. Pourtant, on constate qu'il n'y a grande monde qui en parle dans les politiques belges. Le TTIP n'est pas seulement un accord pour faciliter les échanges, il est construit pour favoriser largement les multinationales européennes et américaines et il menace directement nos les droits fondamentaux à la fois démocratique mais aussi notre droit à la santé. Qui seront tous soumis, plus que jamais, aux lois du profit.