Traduit de l'anglais par Michelle Vuillerot pour notre-planete.info

Des massifs volcaniques entiers, enfouis sous les océans sont sensés être des géants pacifiques, produisant des coulées de lave à un débit lent et régulier le long des failles océaniques. Une récente étude bouleverse cette vision, révélant des éruptions selon des cycles étonnamment réguliers, de deux semaines à 100 000 ans. Plus surprenant encore : les éruptions se produisent presque exclusivement pendant les six premiers mois de l'année. Les pulsations, qui semblent liées aux changements de court et de long terme de l'orbite terrestre mais aussi du niveau de la mer, pourraient contribuer au déclenchement des cycles climatiques naturels. Les scientifiques estiment que les cycles volcaniques terrestres produisent des quantités énormes de dioxyde de carbone qui pourraient influer sur le climat ; mais il n'y avait encore aucune preuve de cette hypothèse.

Eruption volcan sous-marin Tonga 2009
© ReutersÉruption du volcan sous-marin de l'île des Tonga Hunga Ha'apai, le 18 mars 2009 dans l'océan Pacifique. Le plus grand volcan du monde, lui, serait tapi au cœur de la chaîne de montagnes sous-marine Shatsky Rise.
« Les scientifiques ne se sont pas intéressés aux volcans sous-marins au motif que leur influence est négligeable. mais cela part du principe qu'ils sont dans un état stable. Or, l'étude ne montre rien de tel », explique son auteur, le géophysicien Maya Tolstoy du Lamont-Doherty Earth Observatory de l'Université de Columbia. « Ils réagissent à des forces majeures mais aussi à d'autres de faible amplitude. Nous en concluons que nous devons y regarder de beaucoup plus près. ». Une étude connexe menée par une autre équipe et publiée en février 2015 dans le journal Science confirme la thèse de Maya Tolstoy et fait ressortir des périodicités similaires de long terme au niveau des volcans sous-marins de l'Antarctique que Maya Tolstoy n'a pas étudié.

Les failles volcaniques actives au milieu des océans quadrillent les fonds marins comme les coutures d'un ballon, sur près de 60 000 km. Il s'agit des bordures en expansion des plaques tectoniques gigantesques que l'apport constant de lave vient remodeler, représentant environ 80 % de la croûte terrestre.
Carte de répartition du volcanisme sur Terre dont sous-marin (traits rouges).
© Eric Gaba/WikimediaCarte de répartition du volcanisme sur Terre dont sous-marin (traits rouges).
Beaucoup s'accordent à dire qu'ils ont une activité relativement constante, mais ce n'est pas ce qu'indique Maya Tolstoy, qui observe, au contraire que les failles sont actuellement dans une phase de repos. Malgré cela, ils produisent peut-être huit fois plus de lave chaque année que les volcans terrestres. En raison de la chimie de leur magmas, le dioxyde de carbone qu'ils sont censés émettre est actuellement à peu près comparable ou inférieure au volume émis par les volcans terrestres : environ 88 millions de m3 par an. Mais si la maille sous-marine devait bouger ne serait-ce qu'un petit peu, leurs émissions de CO2 bondiraient, explique Maya Tolstoy.

Certains scientifiques pensent que les volcans suivent les cycles de Milankovitch - reproduisant l'évolution de la courbe de l'orbite de la terre autour du soleil, et de son inclinaison sur son axe, ce qui se traduit par des pics et chutes brutaux correspondant à des périodes chaudes ou froides. Le plus grand de ces cycles se reproduit tous les 100 000 ans, lorsque l'orbite terrestre autour du soleil n'est plus un cercle plus ou moins annuel mais une ellipse qui l'amène chaque année plus loin et plus près du soleil. Les derniers âges de glace semblent couvrir l'essentiel de ce cycle. Puis la température se réchauffe brutalement à proximité du pic d'excentricité de l'orbite. Les causes n'en sont pas claires mais les volcans pourraient jouer un rôle.

Les chercheurs suggèrent que l'expansion de la calotte glacière terrestre accentue la pression sur les volcans sous-marins, tendant à contenir les éruptions. Mais avec le réchauffement, la glace fond, la pression baisse et les éruptions sont plus nombreuses. Elles libèrent du CO2 qui accentue encore le réchauffement, et la fonte des glaces, selon une boucle de rétroaction qui précipite la planète dans une ère chaude.


Ainsi, un article de 2009 publié par l'Université de Harvard rapporte que les volcans terrestres sont entrés en éruption six à huit fois plus souvent que le niveau de référence datant de la dernière déglaciation (12 000 à 7 000 ans de notre ère). Le corollaire pourrait être que les volcans sous-marins ont un comportement inverse : quand la Terre se refroidit, le niveau de la mer peut baisser d'une centaine de mètres du fait de la glaciation, ce qui diminue la pression du volume d'eau sur les volcans sous-marins qui regagnent alors en activité.

Dès lors, à partir de quelles émissions de CO2 les éruptions sous-marines sont-elles capables de faire fondre la glace qui recouvre les volcans terrestres ? C'est toujours un mystère, en partie parce que les éruptions sous-marines sont quasiment impossibles à observer. Maya Tolstoy analyse depuis 25 ans les données sismiques des océans Pacifique, Atlantique et Arctique et des cartographies sismiques du Pacifique sud. Avec d'autres chercheurs, elle a récemment ausculté une dizaine de sites volcaniques sous-marins grâce à des instruments sismiques très sensibles et dressé des cartes à haute résolution délimitant les dernières coulées.

Les données de long terme sur les éruptions couvrent plus de 700 000 ans, et montrent que dans les périodes des plus froides, où le niveau de la mer est bas, le volcanisme sous-marin augmente, se traduisant par des élévations de fond visibles. Mais lors du réchauffement et de la montée du niveau de la mer à des niveaux proches des niveaux actuels, les épanchements de lave sont plus lents, et les bandes produites sont moins hautes.

Maya Tolstoy attribue ce phénomène, outre à la variation du niveau de la mer, aux changements de l'orbite terrestre. Quand l'orbite est de forme plus elliptique, la Terre est plus ou moins contrainte par l'attraction gravitationnelle du Soleil, et ce, à un rythme très rapide dans ses rotations quotidiennes. Ce processus, à son avis, fait remonter (à la façon d'un massage) le magma sous-marin, et tend à ouvrir les failles tectoniques d'où il s'échappe. Quand l'orbite est proche d'une forme circulaire, comme actuellement, l'alternance des effets de contrainte et détente est faible, et les éruptions moins nombreuses.
pillow lava, coussins de basalte
© Deborah Kelley/Université de WashingtonLe Magma produit par les éruptions sous-marines se fige et sa forme lui vaut le nom de coussins de basalte (pillow lava) sur la crête volcanique de Juan De Fuca, au large des côtes du Pacifique au nord-ouest des USA.
L'idée que des forces gravitationnelles très lointaines influent sur le volcanisme est confortée par les données à court terme, explique la chercheuse, car les données sismiques suggèrent qu'aujourd'hui, les volcans sous-marins se réveillent environ toutes les deux semaines. Or, cela correspond à la périodicité de la conjugaison des gravités de la Lune et du Soleil qui se traduit par les marées les plus basses. Ce phénomène allège légèrement la pression sur les volcans sous-marins. Les signaux sismiques interprétés comme des éruptions correspondent aux marées basses bimensuelles dans huit cas sur neuf dans l'échantillon de sites étudiés. En outre, Maya Tolstoy a mis en évidence que toutes les éruptions connues de l'ère moderne se situent entre janvier et juin. Or, janvier est le mois où la Terre est la plus proche du Soleil et juillet le mois où elle en est le plus éloignée. C'est une période similaire en termes d'alternance contrainte/détente à celle observée dans les cycles de long terme. « Quand on regarde les éruptions contemporaines », dit-elle, « les volcans réagissent même à des forces infiniment moins importantes que celles qui pourraient déterminer le changement climatique. ».


Commentaire :
Les superbes images de la naissance d'une nouvelle île :


Et celles non moins stupéfiantes d'une éruption sous-marine :



Daniel Fornari, chercheur à la Woods Hole Oceanographic Institution, qualifie ces travaux, auxquels il n'a pas participé, de « contribution majeure ». Il indique qu'on ne sait pas si les mesures sismiques contemporaines correspondent à des coulées de lave ou à des secousses et grondements sous-marins. Mais il estime que ces travaux « peuvent avoir des implications importantes pour la quantification et la caractérisation des variations climatiques sur des périodes pouvant aller de la décennie à des cycles de plusieurs centaines de milliers d'années. ».

Edward Baker, du National Oceanic and Atmospheric Administration [NOAA], retient pour sa part que : « cet article démontre l'interaction étroite des masses solides, liquides et gazeuses de la Terre, au sein d'un système intégré. ».

Référence
"Mid-ocean ridge eruptions as a climate valve", Maya Tolstoy - Geophysical Research Letters