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© InconnuRebelles Houthis près de la capitale Sanaa (Yémen)
Quel citoyen occidental lambda sait seulement où se trouve le Yémen, cet obscur pays en proie à une guerre sanglante dont personne, ici, ne connaît vraiment les tenants et les aboutissants ?

Une boucherie rétrograde entre factions rivales ? Une guerre de religion archaïque entre milices islamistes hostiles, sunnites d'un côté (représentés par le président en exercice, Abd Rabo Mansour Hadi, aujourd'hui en fuite), chiites de l'autre (les rebelles Houthis) ?

Une guerre d'envergure pour le contrôle du Moyen-Orient

Le Yémen est un des pays les plus pauvres de la planète. Une désolation désertique de cailloux et de sable. Contrairement à son riche voisin, l'Arabie saoudite, le Yémen ne recèle en son sous-sol aucune providentielle manne pétrolière.

Mais alors, pourquoi ce carnage ? Pourquoi ces réactions en apparence disproportionnées de l'Égypte dépêchant précipitamment ses navires de guerre, de l'Arabie saoudite envoyant en hâte son aviation pilonner les positions (ou supposées telles) de quelques hordes moyenâgeuses ? Et pourquoi l'Iran — comme le prétendent les Saoudiens — soutient-elle en sous-main les combattants Houthis ?

Robert Fisk, envoyé spécial du quotidien anglais The Independent, avance une explication plus prosaïque que la simple question religieuse : la bataille qui s'engage, entre sunnites et chiites, a pour but le contrôle de tout le Moyen-Orient [1]. Et à l'occasion, des champs de pétrole qu'il y recèle. Robert Fisk :
« Fait sans précédent dans l'histoire arabe moderne, une coalition sunnite de 10 nations, incluant le Pakistan, pays non-arabe mais possédant l'arme nucléaire, a attaqué une autre nation arabe. Les sunnites et les chiites du Moyen-Orient sont maintenant en guerre les uns contre les autres en Irak, en Syrie et au Yémen. »
Le réservoir du citoyen occidental

L'Occident là-dedans ? Il ne sait pas trop quoi faire, constate Robert Fisk, obnubilé d'un côté par une négociation capitale avec les uns (l'accord sur le nucléaire iranien), de l'autre par l'armement à outrance des autres (que serait l'armée saoudienne sans les armes américaines ?), quand il ne bombarde pas farouchement un de ses acolytes (rappelons que l'État islamique est d'obédience sunnite).

On notera en passant que la tête de pont de l'Occident dans la région, Israël, semble durablement neutralisée depuis le camouflet subi en 2006 contre le Hezbollah (chiite) du Liban. S'ils sont humainement insupportables, les bombardements de Gaza et la poursuite assez imbécile des colonisations en territoire palestinien ne pèsent rien du point de vue géopolitique.

N'empêche, insistera le citoyen occidental lambda (pour peu qu'il ait le courage de lire ce billet jusqu'au bout), pourquoi, oui pourquoi cette polarisation sur le Yémen, cette terre si lointaine, si aride et si stérile ?

Eh bien, parce qu'il ne suffit pas de produire du pétrole, il faut aussi pouvoir l'acheminer jusqu'au réservoir de la petite automobile du citoyen occidental lambda. La lutte qui oppose chiites et sunnites au Moyen-Orient ne vise ni plus ni moins qu'à s'approprier les goulots d'étranglement (chokepoints) par lesquels transitent les énormes tankers pétroliers.

Or le Yémen a précisément la haute main sur le "chokepoint" de Bab el-Manded qui sépare la mer Rouge du golfe d'Aden, tout comme l'Iran domine le très important détroit d'Ormuz. Vous verrez qu'à la fin l'Occident (le président matamore Hollande en premier chef) ne résistera pas à l'envie d'y intervenir avec sa coutumière balourdise.

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© InconnuProduction pétrolière du Moyen-Orient et goulots d’étranglement (en %)
Notes :

[1] Robert Fisk va encore plus loin dans son analyse et pointe les risques de déstabilisation de toute la région par implosion de l'Arabie saoudite :
« La moitié à peu près de l'armée saoudienne est d'origine tribale yéménite. Les soldats saoudiens sont intimement impliqués au Yémen — via leurs propres familles — et la révolution au Yémen est un coup de poignard dans les tripes de la famille royale saoudienne. »