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© Steven Kareth/Flickr
Les abeilles pourraient être sensibles aux substances proches de la nicotine présentes dans certains pesticides et développer une addiction, malgré les effets dangereux de ces produits, soulignent deux nouvelles études.

Des abeilles moins nombreuses, qui nidifient moins, des bourdons qui se reproduisent difficilement... Deux nouvelles études, publiées mercredi 22 avril dans Nature, sonnent à nouveau l'alerte sur les effets des néonicotinoïdes, ces pesticides contenant des substances proches de la nicotine. Celles-ci sont d'autant plus dangereuses que les précieux pollinisateurs semblent attirés par ces substances.

Les abeilles sont frappées depuis des années par un effondrement de leurs colonies, notamment en Europe et en Amérique du nord. Ce phénomène est souvent attribué aux pesticides, mais aussi à un virus, ou à des champignons, ou à un ensemble de facteurs.

Les abeilles, qui représentent 80 % des insectes pollinisateurs, sont essentielles à la sécurité alimentaire mondiale. À l'échelle planétaire, leur travail a été évalué à au moins 142 milliards d'euros.

« Les grandes cultures en fleurs sont des sources de nourriture importantes pour les abeilles sauvages, mais elles peuvent se transformer en pièges écologiques si les butineuses sont exposées à des pesticides tels que les néonicotinoïdes », relèvent les auteurs d'une étude menée en Suède, issus de l'université de Lund.

Les chercheurs ont étudié 16 champs de colza, dont la moitié ont été traitées au clothianidine, et analysé les collectes de pollen et le comportement des insectes.

« Le résultat le plus spectaculaire est que les colonies de bourdons n'ont quasiment pas grossi dans les sites traités », explique Maj Rundlof, malgré des fleurs plus abondantes. À la fin de l'expérience, on y dénombrait moins de cocons que dans les champs non traités.

Les chercheurs ont également fait une autre découverte : les abeilles solitaires ne sont pas retournées dans les nids placés aux abords des champs traités au pesticide. Elles ont en revanche regagné, dans six cas sur huit, ceux disposés près des parcelles non traitées, commençant à édifier des cellules de couvain. Pourquoi ? « Cela reste à éclaircir, mais une capacité réduite à naviguer est une explication possible ». D'autres études ont en effet montré que des abeilles exposées aux néonicotinoïdes avaient du mal à reconnaître les caractéristiques des fleurs, à s'orienter, à butiner, conduisant à la disparition de colonies entières.

Le débat sur ces produits fait rage entre scientifiques, environnementalistes, apiculteurs, et fabricants de pesticides. En décembre 2013, l'Union européenne a imposé un moratoire partiel sur trois types de néonicotinoïdes pour deux ans.

Une drogue

Ce rapport trouve une résonance particulière avec la publication d'une autre étude. Selon cette dernière, non seulement les abeilles n'évitent pas les fleurs traitées aux néonicotinoïdes, mais il se pourrait bien qu'elles les préfèrent. Certains ont en effet suggéré que soient plantées, à côté des parcelles traitées, d'autres non traitées pour les abeilles. Or ce rapport montre qu'elles n'ont pas vraiment le choix : quand on leur propose une solution de sucrose à côté d'une autre de sucrose associé à un néonicotinoïde, les abeilles mellifères comme les bourdons ne sont non seulement pas repoussés par le second nectar, mais préfèrent se tourner vers lui.

« Nous avons une preuve que les abeilles préfèrent manger la nourriture contaminée par des pesticides », souligne Geraldine Wright, de l'université de Newcastle. Les chercheurs ont utilisé des centaines de bourdons et des milliers d'abeilles à miel qui, en laboratoire, ont pu aller librement sur les deux types de solutions.

« Les abeilles n'ont évité aucune des concentrations des trois néonicotinoïdes » proposés, souligne Geraldine Wright. « Au contraire, elles ont choisi les tubes contenant l'imidaclopride ou le thiamethoxame ». Les abeilles sont également allées vers le clothianidine, sans pour autant lui montrer de préférence particulière.

Ce n'est pas une question de sensation, mais « il se peut que les néonicotinoïdes agissent comme une drogue, rendant la nourriture plus gratifiante », comme la nicotine pour les fumeurs. « Je crois que cette expérience montre que ces composants ont un effet pharmacologique sur le cerveau de l'abeille », estime la chercheuse.