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Vingt-huit ans après, en pleine crise géopolitique avec la Russie, les ravages de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl se font toujours durablement sentir. Et le pays compte toujours quinze réacteurs en activité, que les Etats-Unis tentent de charger avec leur combustible.

Le 26 avril 1986, un exercice pour tester l'alimentation électrique de secours sur la centrale Lénine de Tchernobyl tourne mal et une explosion énorme se produit dans le réacteur 4. La fusion du cœur du réacteur projette dans l'atmosphère une immense quantités de gaz et particules radioactifs qui entraîne une contamination de l'environnement et des irradiations humaines à très large échelle. C'est la première catastrophe nucléaire à être classé au niveau 7 à l'échelle de l'INES (échelle internationale des événements nucléaires) - la seconde étant Fukushima.

Un nouveau sarcophage... pour trente ans

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Vingt-huit ans plus tard, la centrale continue d'employer près de trois mille personnes. Les trois autres réacteurs de la centrale sont maintenant à l'arrêt (le dernier a fermé en 2000), mais de nombreux travaux continuent sur le site. En cours d'aménagement, une installation d'entreposage à sec des combustibles doit permettre de sortir ceux-ci des piscines dans lesquelles ils sont refroidis depuis la catastrophe. De même, un chantier prépare un stockage des déchets sur le site de la centrale.

Mais les travaux les plus importants se concentrent autour du sarcophage, cette structure d'acier qui recouvre les ruines du bâtiment du réacteur 4. Construit dans l'urgence entre mai et octobre 1986, dans des conditions d'exposition radiologique particulièrement élevée, le sarcophage a permis un confinement à court terme des installations sinistrées dans lequel se trouve toujours une partie du combustible fondu durant l'explosion. Mais la structure s'avère vulnérable. Comme l'explique à Reporterre Thierry Charles, directeur général adjoint à l'IRSN, « le sarcophage n'est pas complètement étanche. L'eau coule à l'intérieur, et avec le vent et la neige notamment, l'ensemble se dégrade. La pérennité de l'installation n'est plus acquise ».

C'est ainsi que se construit par-dessus une « arche », qui devrait être achevée fin 2015. Cette nouvelle enveloppe métallique, dont les travaux ont commencé à l'été 2010 sous l'égide d'un consortium européen qui associe les entreprises françaises Vinci et Bouygues, fait toutefois l'objet de controverses nombreuses. Mercredi, le chef du parti social-écologique ukrainien, Iouri Andreïev, dénonçait la faible garantie de sécurité de cet édifice temporaire promis à une existence d'à peine trente ans : « Cet arche ne règle pas les problèmes du sarcophage, il ne fait que les conserver ».

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Pour l'expert français, l'enjeu est ailleurs : « Oui, l'arche ne résout rien dans la mesure où elle ne change pas ce qui se passe en-dessous, dans le sarcophage. Mais c'est une protection supplémentaire de l'environnement proche des fuites et des risques de pollution ».

Le poison est toujours actif

Car les conséquences environnementales et sanitaire restent importantes et mal maîtrisées. Le mois dernier, deux chercheurs ont mis en évidence l'impact de la radioactivité à proximité du site : les arbres morts, les plantes et les feuilles ne se décomposent pas à la même vitesse que partout ailleurs dans le monde. « Le césium déposé sur le sol ne s'infiltre que très lentement dans la Terre, et il reste ainsi à la disposition des plantes pendant probablement plus d'un siècle », commente Yves Lenoir, président de l'association Enfants de Tchernobyl - Belarus, qui travaille sur ces questions depuis les débuts de la catastrophe.

Selon lui, les conséquences sont d'autant plus graves, que des expériences récentes ont montré que certaines zones supposées peu touchées s'avéraient en réalité grandement contaminées : « En 2011, puis 2012, des échantillons de champignons relevés dans des zones très différentes et considérées comme non à risque en Biélorussie ont révélé des taux gigantesques, entre 268 000 et 275 000 Bq/kg. Ce sont de véritables déchets radioactifs pour les humains, tentés de surcroît de les consommer, qui traînent ainsi dans l'environnement ». L'association Robin des Bois parle de son côté de « bombes radioactives à retardement » pour décrire les forêts aux alentours de Tchernobyl.

L'impact sur les populations humaines est colossal. L'association Enfants de Tchernobyl-Belarus aide un cabinet indépendant - l'Institut Belrad de Minsk - à mesurer la radioactivité (près de 500 000 mesures corporelles depuis 24 ans) et à faire de la radioprotection en Biélorussie, auprès des enfants, particulièrement exposés. Les statistiques parlent d'elles-mêmes :
« Avant la catastrophe, le taux d'enfants en bonne santé était de 80 %, pour 20 % en mauvaise santé, dans cette région du monde. Depuis, les statistiques se sont exactement inversées ».
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M. Lenoir dénonce l'organisation politique du déni des conséquences sanitaires : « Il n'y a aucune volonté politique de connaître les retombées radioactives de Tchernobyl. On empêche le recoupement de l'état de santé - dont les mesures sont du ressort du domaine médical, l'Institut Belrad ne peut l'effectuer - avec le niveau de contamination, qui n'est justement jamais relevé dans les hôpitaux et par les médecins... ». A l'image de cette étude publiée en 2006 par Roza Goncharova et Nadezhda Ryabokon, qui montre l'instabilité génomique provoqué par le césium incorporé pour les petits mammifères entre 1986 et 1996 dans la région de Tchernobyl, dont toute recherche équivalente sur les humains reste pour l'instant impossible...

La crise géopolitique augmente-t-elle les risques ?

Hier, l'Union internationale des vétérans du nucléaire civil a critiqué la décision du gouvernement ukrainien de proroger jusqu'à 2020 l'utilisation de combustible américain pour trois de ses réacteurs, faisant ainsi courir le risque d'un « second Tchernobyl ». En cause, l'incompatibilité du combustible américain avec les centrales ukrainiennes.

A l'IRSN, Thierry Charles confirme : « On ne change pas de nature de combustible pour une centrale nucléaire comme on changerait de station d'essence pour remplir sa voiture de carburant. C'est une démarche qui nécessite de vérifier plusieurs paramètres, cela ne se fait pas comme ça, cela prend du temps ». Or, la seule centrale utilisant actuellement du combustible américain a révélé en 2012 et 2013, lors de travaux d'entretien, des dysfonctionnements dus à la défaillance technique de ce combustible...

Car il y a toujours en Ukraine quatre centrales nucléaires comptant quinze réacteurs en activité. La majorité fonctionne avec du combustible russe. « Le nucléaire ukrainien est conditionné par une totale dépendance à la Russie. Les réacteurs RBMK qui sont utilisés en Ukraine - des réacteurs à tube de force, qui privilégient la puissance aux dépens de la sûreté - ne correspondent à aucune des technologies aujourd'hui utilisées en Europe ou dans le reste du monde. Même l'industrie russe du nucléaire est en train d'en sortir progressivement », explique à Reporterre Nicolas Mazzucchi, chercheur en géo-économie à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).

Or, dans le contexte actuel de crise entre l'Ukraine et la Russie, la question de l'approvisionnement pourrait se poser. Mais alors que le nucléaire représente près de la moitié du mix électrique de l'Ukraine, le nucléaire n'apparaît pas comme un enjeu latent dans le conflit larvé entre les deux nations : « Ce n'est pas une arme de pression, ni d'un côté ni de l'autre, poursuit le chercheur. Les Ukrainiens peuvent se fournir ailleurs qu'en Russie ou aux États-Unis. En 2013, les Russes ne fournissaient que 17 % du combustible mondial quand AREVA, qui est réputée pour la qualité de sa filière, représentait près de 30% ».

C'est le gaz qui concentre toute l'attention de la géopolitique énergétique. L'Ukraine, qui bénéficie traditionnellement du gaz russe à des prix nettement inférieurs à ceux du marché, est sous la menace des mesures de rétorsion du Kremlin. Dans le même temps, d'autres grands importateurs ont pris conscience de la nécessité de diversifier leur approvisionnement en gaz pour contrer l'hégémonie russe. Conséquence : la crise ukrainienne pourrait relancer l'exploitation du gaz de schiste.