Traduit par Luis Alberto Reygada pour Le Grand Soir

Image
Dès qu'il donne le signal en disant "Nous sommes tous Américains", on fonce...
Puisque les politiques de terreur et d'asphyxie économique ont échoué, Obama a essayé depuis 2014 d'employer d'autres moyens pour « instaurer la démocratie », affirme le linguiste.

Le changement dans la politique extérieure des USA envers Cuba est dû au fait que, avec les changements notables survenus en Amérique latine ces dernières années, Washington s'est retrouvé de plus en plus isolé dans sa propre « arrière-cour » et s'est vu obligé de changer de position par rapport à l'île, a affirmé Noam Chomsky.

Dans un entretien accordé à La Jornada dans le cadre de l'inauguration des nouvelles ambassades de Cuba à Washington et US à La Havane ce lundi, nous avons demandé l'opinion de Noam Chomsky au sujet de la décision des USA de rétablir des relations diplomatiques après plus d'un demi-siècle.

« Les raisons du changement dans la politique US [envers Cuba] sont assez claires. Depuis plusieurs décennies, les sondages révèlent que la population US est favorable à une normalisation des relations. Néanmoins, l'opinion publique est toujours ignorée, c'est une règle. Plus intéressant encore : des secteurs importants du grand capital US sont pour une normalisation : pharmaceutique, énergie, agro-industrie, entre autres. Ce sont ceux qui habituellement prennent les décisions, et si ils sont ignorés cela veut dire qu'il y a un intérêt d'État encore plus important », a signalé le linguiste et intellectuel, un des critiques les plus reconnus au sujet du pouvoir et des relations internationales des USA.

« Cet intérêt (suprême) d'État est très clairement défini dans des documents officiels internes » que l'on pourrait résumer ainsi : « Le défi lancé par les Cubains à la politique extérieure US, qui découle de la Doctrine Monroe, ne peut pas être toléré ».

Image
© Inconnu Fulgencio Batista, le dictateur mafieux
"Doctrine de la mafia"

Chomsky décrit cette politique comme étant basiquement une « doctrine de la mafia », qui cherche à imposer cet ordre mondial, ce qui est compréhensible : les documents officiels internes [du gouvernement US] expliquent que la désobéissance (à cette doctrine) peut potentiellement se muter en ce que Kissinger a appelé « un virus », qui pourrait "propager l'infection et perturber le système dans son ensemble".

Ainsi, dans le cas de Cuba, cette doctrine consistait en isoler et contrôler « ce virus » à tout prix depuis l'époque de la révolution jusqu'à récemment, mais quelque chose a changé. Chomsky signale que « cette politique a dû faire face à un grand problème. Lors du Sommet des Amériques en Colombie, les USA (avec le Canada) se sont retrouvés complètement isolés sur tous les sujets cruciaux, dont Cuba. Alors que le Sommet suivant de Panama approchait (il a eu lieu en 2014), il devenait même possible que les USA se retrouvent exclus de l'hémisphère. Il fallait agir ».

Il continue :
« C'est à ce moment que Barack Obama a proclamé dramatiquement que la politique US pour apporter la démocratie et les droits humains à Cuba n'avaient pas fonctionné, et qu'il fallait trouver un autre moyen pour atteindre nos objectifs, des objectifs nobles par définition. Par conséquent, de façon magnanime, les USA allaient permettre que Cuba échappe -un petit peu- à son isolement international ».
Il ajoute que « cette noblesse (d'Obama) a été chaleureusement applaudie par les médias de la gauche libérale, notamment par la New York Review of Books, qui a expliqué qu'Obama a « vaillamment et intelligemment, mais en prenant de considérables risques politiques, décidé de rétablir les relations diplomatiques en décembre 2014, ce que le président des USA a décrit comme un moyen plus effectif de permettre au peuple cubain de s'émanciper [le terme original utilisé par l'auteur est « empowerment », NdT]. Obama a fait des pas vraiment historiques », ce qui lui a permis d'arriver à la Conférence de l'OEA au Panama avec « une légitimité morale renforcée ».

Chomsky traduit toute cette rhétorique ainsi : « Les changements notables dans une grande partie de l'Amérique latine durant ces 10 ou 15 dernières années ont produit un isolement notable des USA dans ce qui était historiquement considéré comme son « arrière-cour ».

Il conclut son explication sur un ton férocement ironique :
« Puisque les politiques de terreur et d'asphyxie économique ont échoué, les USA ont entrepris de mettre en place tous les moyens pour amener Cuba au même niveau de démocratie que le Honduras, le Guatemala et d'autres pays ayant bénéficié traditionnellement de la noblesse des USA ».
Image
© Inconnu"Séquelle" des Amériques :
-Capitale du Honduras ?
-Tegucigolpe
-Approuvé