Commentaire : On n'insistera jamais assez sur la capacité de nuisance de nos médias. Le matraquage quotidien besogne nos esprits et façonne nos émotions. Nous pensons avoir un avis éclairé sur une situation, une opinion solide concernant un événement ? Nous croyons avoir la réaction adéquate et maîtrisée à propos des informations que nous entendons, lisons, observons ? Que nenni. Nous faisons avec ce que l'on nous donne, ni plus ni moins. Et ce qui est donné poursuit des objectifs spécifiques. Les événements brutaux créent des traumatismes immédiats qui placent les populations dans un état psychologique vulnérable : c'est ce qu'on appelle la stratégie du choc. Si les effets du stress engendré sont entretenus suffisamment longtemps, il devient plus aisé, faiblesses mentales et émotionnelles obligent, d'orienter les pensées et les croyances, de détourner les attentions. De nous éloigner de la réalité. Ce qui est bien le rôle de nos médias traditionnels. En entretenant un état de tension permanente chez le citoyen ordinaire, par le biais d'informations outrageusement et constamment relayées, on l'éloigne d'une saine normalité, de celle qui lui permettait d'appréhender le monde qui l'entoure avec bon sens et pondération. Son jugement est faussé ; il développe une tendance à croire plutôt qu'à connaître ; une tendance qui peut se transformer en envie. Ceci fait donc le jeu des hommes de pouvoir qui feront tout pour faire perdurer cette ambiance délétère et traumatisante, quelle qu'elle soit. Voici deux articles réunis en un seul qui permettent de comprendre que les informations distillées par les médias provoquent à elles-seules des angoisses et des afflictions bien loin d'être anodines et qui peuvent avoir des répercussions importantes sur le comportement général d'une population confrontée à des événements d'ampleur nationale.


attentat de Boston
Une jeune femme pleure lors d’une veillée le lendemain de l’attentat de Boston le 15 avril 2013
Les personnes qui ont passé six heures par jour à éplucher les médias pour avoir des informations sur l'attentat du marathon de Boston ont été plus traumatisées que celles qui étaient sur place, affirme une étude américaine publiée lundi 9 décembre. Dans ces travaux publiés dans les Proceedings of the National Academy of Sciences, les chercheurs ont étudié les conséquences psychologiques d'une exposition répétée à la violence via les médias traditionnels et numériques, après cet attentat, le premier sur le sol américain depuis ceux du 11-Septembre.

L'impact des images

Deux bombes fabriquées à partir de cocottes-minutes pressurisées ont explosé près de la ligne d'arrivée du marathon de Boston le 15 avril, faisant trois morts et 260 blessés, parmi lesquels plusieurs amputés. Les images les plus crues de cette scène de violence ont été censurées ou édulcorées par les médias mais de nombreux clichés bruts ont été mis en ligne sur les médias sociaux par des témoins, a expliqué Roxane Cohen Silver, l'une des auteurs de cette recherche.
"Ce qui nous a frappé, c'est l'impact que ces images ont eu - y compris sur les personnes qui n'étaient pas présentes ce jour-là", a expliqué ce professeur de psychologie à l'université Irvine de Californie. "La couverture médiatique a suscité davantage de réactions aigües au stress que l'expérience même" de l'attentat, a-t-elle précisé. Le stress aigu se définit par un ensemble de symptômes comme des pensées entêtantes, un état d'hyper-vigilance permanent ou encore des flashbacks.
Les chercheurs ont ainsi demandé aux 4.675 participants à cette étude quelle avait été leur consommation des médias dans les deux à quatre semaines suivant l'attentat et quel avait été leur état psychologique. Sans surprise, les témoins de l'attentat ou les personnes connaissant des gens qui étaient présents le 15 avril dernier ont montré plus de signes de stress que les personnes qui n'y étaient pas. Ils ont également été plus enclins à consulter les médias sur la question.

Responsabilité des médias

Mais la donne semble s'inverser pour les personnes qui ont consulté de la documentation sur l'attentat plus de six heures par jour, a expliqué Roxane Silver. "Il ne s'agit pas de minimiser les conséquences de l'exposition directe à un drame mais plutôt de dire que la couverture médiatique a déclenché encore plus de stress aigu", a-t-elle ajouté.

Les personnes s'étant informées six heures par jour et plus ont été neuf fois plus sujettes au stress aigu que celles n'ayant consulté les médias qu'une heure par jour. Dans l'étude, la consultation moyenne des médias a été de 4,7 heures par jour et comprenait la lecture d'articles, le visionnage de reportages télévisés et de vidéos de l'explosion des bombes et la consultation d'images et de témoignages sur les médias sociaux. Cette étude soulève la question de la responsabilité morale des organes d'information, déjà soulevée par le passé par des recherches sur les traumatismes indirects, a expliqué Bruce Shapiro, directeur à l'université de Columbia d'un département spécialisé dans le traitement par les journalistes des conflits ou des attentats.

Il précise néanmoins qu'un état de stress aigu ne conduit pas nécessairement à un état de stress post-traumatique. Il faut pour cela que les symptômes perdurent au-delà de six semaines et modifient profondément la vie des personnes qui les expérimentent. Roxane Silver fait valoir que le paysage médiatique contemporain offre un accès plus facile aux images qui peuvent être dérangeantes, surtout si elles sont visionnées plusieurs fois par des personnes livrées à elle-mêmes. "Les gens devraient être conscients qu'il n'y a aucune retombée psychologique bénéfique à visionner des images horribles de manière répétée", a-t-elle mis en garde.

Des blessures psychiques possibles dans tout le pays

Les populations exposées à des attaques terroristes présentent des signes de stress post-traumatiques profonds et durables et l'onde de choc ne se limite pas aux personnes directement concernées.

Les terroristes n'ont pas seulement frappé Paris. Les blessures psychiques sont profondes dans tout le pays et les plaies mettront du temps à se refermer. Elles laisseront des cicatrices durables chez certains de nos concitoyens, sans même parler des proches des victimes pour qui la vie s'est brisée le 13 novembre. C'est le triste enseignement d'autres attentats terroristes, dans d'autres lieux, d'autres pays.

attentats paris
Moment de recueillement rue Bichat, devant le restaurant Le Carillon dans le Xe arrondissement, lundi à Paris
« Les données accumulées après des attaques terroristes de grande ampleur, telles que le 11 Septembre, laissent penser que le fardeau des problèmes de santé mentale, notamment le syndrome de stress post-traumatique, peut être substantiel et durable parmi la population exposée aux attaques à Paris », explique au Figaro le Pr Yuval Neria, directeur du programme de recherche à l'Institut psychiatrique de l'État de New York (université Columbia).

À Paris, mais pas seulement. Dans la semaine qui suivit les attentats du World Trade Center, le 11 septembre 2001, une étude de l'université de Californie montrait que près de la moitié des adultes et un enfant sur trois présentaient des signes de stress et cela à travers tous les États-Unis.

L'onde de choc d'un attentat majeur ne se limite donc pas aux personnes directement concernées par le drame, même si la proximité géographique augmente les risques de souffrir d'un trouble de stress post-traumatique (TSPT). C'est-à-dire de souvenirs intrusifs faisant revivre l'événement avec pour conséquence un comportement d'évitement de tout ce qui pourrait l'évoquer, mais aussi de dépression, d'insomnie, d'anxiété et de colère.

Exposition à travers les médias

Le deuxième mois suivant le 11 septembre, le Pr William Schlenger et ses collègues de l'université de Duke, en Caroline du Nord, remarquaient que le risque était maximal dans la ville de New York (11% de TSPT) mais atteignait tout de même 4% dans le reste du pays. Il s'atténuait au fil des mois.
« Le risque de problèmes de santé mentale après une exposition indirecte à travers les médias est aussi substantiel, particulièrement dans les suites immédiates, explique le Pr Neria, mais ils diminuent ensuite, d'autant que beaucoup de gens sont relativement résilients et n'auront pas de troubles mentaux à long terme. »
Dans une enquête portant sur la santé mentale de plus de 1900 Américains après le 11 Septembre, le Pr Roxane Cohen Silver (université de Californie) dénonçait le « mythe » selon lequel l'impact psychologique serait proportionnel au degré de proximité du drame et invitait à tenir plutôt compte de « l'énorme variabilité des réponses » individuelles.