Le mouvement islamophobe allemand Pegida organisait une manifestation ce samedi à Cologne. Des heurts ont eu lieu avec la police dans l'après-midi. L'affaire des "agressions sexuelles de masse" se focalise sur les réfugiés, malgré les zones d'ombre de l'enquête.

Les réfugiés sont pointés du doigt. Théâtre au Nouvel an d'une vague d'agressions qui scandalise l'Allemagne, Cologne voit défiler ce samedi une manifestation du mouvement islamophobe Pegida, nouveau signe de la focalisation de l'affaire sur les réfugiés: 22 d'entre eux sont en effet suspectés d'avoir participé aux agressions.

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© ReutersDes militants d'extrême droite manifestent à Cologne face aux forces de l'ordre

Commentaire : Le bouc-émissaire (dans ce cas les réfugiés) est celui qui sera attaqué et jugé à la place des vrais responsables. Il sert d'exutoire : les mécontents et les peureux se défoulent, en ayant l'impression de contrôler la situation. Le Pouvoir garde donc toujours sous le coude quelques boucs-émissaires de réserve qui lui permettent de détourner l'attention de la population : les mouvements d'extrême droite, par exemple, qui sont suffisamment violents, agressifs et xénophobes pour effrayer la population et la diviser. Il s'agit donc de créer des mouvements antagonistes qui génèreront des tensions constantes. Au milieu du chaos, le citoyen ordinaire qui se sent démuni, dépassé et impuissant devient d'autant plus facilement manipulable. Pendant ce temps, le pouvoir magouille, s'arrange, passe des lois et applique des règlements. Pour finir, on constate que les victimes sont toujours les mêmes : celles qui ont fait office de paravent et les gens ordinaires.


Canons à eau et gaz lacrymogènes

Bien loin de leur fief de Dresde, les "Patriotes européens contre l'islamisation de l'Occident" ont appelé à un rassemblement à partir de 14h devant la gare de la cité rhénane, sous le mot d'ordre "Pegida protège". 1700 personnes se sont rassemblées, d'après la police alors que la branche régionale de Pegida a revendiqué sur sa page Facebook 3000 participants. Près de la moitié des manifestants étaient des hooligans prêts à en découdre, a estimé la police.


Vers 16h30, des heurts ont d'ailleurs opposé ces militants à la police, d'après l'AFP. Dans une atmosphère très tendue, avec quelques affrontements isolés et des jets de bouteilles et de pétards sur la police, cette dernière, massivement présente, a d'abord demandé aux manifestants de quitter les abords de la cathédrale où avaient eu lieu les agressions sexuelles. Elle a finalement fait usage de canons à eau et de gaz lacrymogène pour disperser le cortège qui se dirigeait vers le sud.

"RapeFugees" et drapeaux de l'Empire germanique

Sur sa page Facebook, le mouvement créé à l'automne 2014 assure ne pas "instrumentaliser" les vols et violences sexuelles de la Saint-Sylvestre, qui ont déjà fait l'objet d'environ 200 plaintes selon le Spiegel. Mais son fondateur Lutz Bachmann posait tout sourire cette semaine sur son compte Twitter, affublé d'un tee-shirt proclamant "Rapefugees not welcome", détournant le message de bienvenue aux migrants pour les accuser d'être des violeurs (viol se dit "rape" en anglais).


On retrouve cette expression sur les banderoles utilisées par les manifestants.


"Criminels étrangers, dehors", clame cette autre pancarte, repérée par cette journaliste de Buzzfeed, juste à la sortie de la gare où les agressions du Nouvel An avaient eu lieu. L'assistance est largement masculine, dans les rangs de la manifestation de Pegida, note-t-elle également.

Parmi les photos relayées par la revue Focus, on note aussi la présence de drapeaux de guerre de l'ancien Empire germanique (Kriegsflagge, 1867-1871)

"L'Allemagne a survécu à la guerre, à la peste et au choléra, mais survivra-t-elle à (Angela) Merkel?", clamaient des manifestants. "Merkel est devenue un danger pour notre pays, Merkel doit partir", lance un représentant de Pegida au mégaphone.


D'autres manifestations à Cologne

La manifestation de Pegida, à laquelle s'ajouteront des contre-rassemblements de gauche, illustre la dimension très politique du problème. "Les réfugiés sont les bienvenus" ou encore " Le fascisme n'est pas une opinion, c'est un crime", lisait-on sur leurs pancartes anti-Pegida. Plus de 1.300 contre-manifestants s'étaient rassemblés, criant "Nazis dehors!", tandis que les quelque 2000 policiers présents maintenaient les deux camps à distance.

Une autre manifestation a également rassemblé des centaines de femmes contre les agressions sexuelles, sur les marches de la cathédrale.

Le manque d'informations claires sur l'enquête et l'inaction des forces de l'ordre le soir du Nouvel An ont contribué ce vendredi au limogeage du chef de la police de Cologne Wolfgang Albers. La police fait toujours l'objet de critiques sur les réseaux sociaux, d'ailleurs, y compris par des sympathisants eurosceptiques du parti populiste Ukip, au Royaume-Uni.

22 demandeurs d'asile sur 32 suspects

La police fédérale a identifié 32 suspects, dont 22 demandeurs d'asile, et a relevé 76 infractions dont 12 à caractère sexuel, parmi lesquelles 7 agressions physiques, a indiqué vendredi soir le ministère de l'Intérieur, actualisant de précédents chiffres.

La police de Cologne, qui mobilise de son côté une centaine d'enquêteurs pour exploiter entre autres indices 350 heures d'enregistrements vidéo, dispose de son côté de 16 suspects sur lesquels elle n'a donné aucune précision. Un porte-parole a seulement indiqué que, "dans certains cas", la trace des téléphones portables dérobés le soir du Nouvel An conduisait "vers des centres d'accueil de demandeurs d'asile ou à leur proximité immédiate".

L'affaire prend une tournure politique

Au-delà des insuffisances de la police, le débat s'est rapidement concentré sur les conséquences des événements pour la politique d'accueil des réfugiés de la chancelière Angela Merkel, alors que le pays a vu affluer en 2015 1,1 million de demandeurs d'asile.

Angela Merkel a annoncé ce samedi un très net durcissement des règles d'expulsion des réfugiés condamnés par la justice, en réponse aux violences commises à Cologne. Pour Angela Merkel, qui s'exprimait à l'occasion d'une réunion de son parti (CDU, conservateurs) à Mayence, "si les réfugiés ont commis un délit", cela doit "avoir des conséquences, (...) cela veut dire que le droit (de séjour) doit s'arrêter" et ce "s'il y a une peine de réclusion, même avec sursis".

Cette évolution, entérinée par la direction de la CDU, doit encore être discutée avec le partenaire social-démocrate au sein de la coalition gouvernementale à Berlin, mais le SPD multiplie aussi les messages de fermeté. "Il est important que là où la loi n'est pas suffisante, elle soit modifiée", a affirmé Angela Merkel, y voyant là aussi "l'intérêt de la grande majorité des réfugiés".
Pour l'heure, en vertu de la loi allemande, l'expulsion d'un demandeur d'asile n'a lieu qu'après une condamnation à au moins trois ans de prison, et à la condition que sa vie ou sa santé ne soient pas menacées dans son pays d'origine.