Des trous gigantesques se forment en Turquie en raison des pompages excessifs des nappes souterraines pour l'irrigation. Effondrements, craintes des habitants... Les effets sont nombreux.

doline turquie octobre 2023
© Abdullah Dogan / Anadolu Agency / Anadolu Agency via AFPCratère dans un champ de la région de Konya Karapınar, en Turquie, le 27 septembre 2022.
Un trou béant, en plein dans un champ. Large de 50 mètres et profonde de 40 mètres, cette cavité s'est formée le 14 septembre dernier chez un agriculteur de Konya Karapınar, en Turquie. Ce gouffre, appelé « doline », est pourtant loin d'être le premier dans la région d'Anatolie centrale. Pire : leur nombre est en constante augmentation, selon le Centre de recherche sur les dolines de l'université technique de Konya. 2 550 dolines ont été recensées en 2021, contre 299 en 2017.

La responsable de cette hausse des cratères n'est autre que l'agriculture intensive. À l'origine, pourtant, ces trous se créent de manière naturelle, par érosion du calcaire dans les milieux karstiques. Lorsque l'eau s'infiltre dans le sol, elle entraîne l'apparition de cavités souterraines. Au bout d'un certain temps, le sol au-dessus de la grotte s'effondre en cédant sous son propre poids. Mais depuis quelques années, les nouvelles dolines sont formées par le pompage excessif des nappes souterraines pour l'irrigation.


Dans les années 1960, la transition vers une agriculture intensive a poussé les cultivateurs à creuser des puits toujours plus profonds. Le niveau de ces nappes souterraines a baissé dès les années 1980, explique à Reporterre le professeur Fetullah Arik, directeur du département d'ingénierie géologique de l'université de Konya : « Au début, ces baisses ont été ignorées, car elles n'étaient pas très importantes. Après les années 2000, on a observé des baisses annuelles de 1 à 2 mètres. Ces dernières années, dans certains puits d'observation, on a enregistré des baisses annuelles de plus de 20 mètres. »

Demande en hausse et puits illégaux

À Konya Karapınar, considérée comme le grenier à blé de la Turquie, près de 90 % de l'eau est utilisée à des fins agricoles. Environ la moitié provient des nappes souterraines, selon un rapport du WWF publié en 2014.

« Les produits les plus cultivés sont la betterave à sucre, le maïs, la luzerne et le tournesol. Des cultures qui nécessitent de l'eau tout au long de l'année, explique Fetullah Arik. En outre, le déficit de précipitations printanières et hivernales de ces dernières années oblige désormais l'irrigation des cultures de blé et d'orge. La demande en eau dans le bassin est en constante augmentation. »


Cette hausse de la demande a un autre effet : celui d'augmenter le nombre de puits forés illégalement à des fins agricoles. En Turquie, pour forer un puits, il faut en effet demander l'autorisation à l'Office national des affaires hydrauliques. Dans la région de Konya Karapınar, près de 35 000 puits sont autorisés, et « le nombre de puits forés illégalement serait trois fois plus élevé, soit plus de 100 000 », assure Fetullah Arik, citant les données de l'Office national des affaires hydrauliques.

« Des conséquences considérables »

Les répercussions de ces gouffres béants sont multiples, en premier lieu duquel les effondrements. « Les dolines ont des conséquences considérables, certifie Fetullah Arik. Elles endommagent notamment des habitations, des infrastructures et des terrains agricoles. » Les cavités qui se forment à proximité des routes détériorent aussi les lignes électriques, des canalisations d'eau et des égouts, liste le chercheur.

Ces trous béants représentent aussi un risque pour les habitants, qui peuvent tomber dans les cratères. « Jusqu'à présent, aucune personne n'est morte à cause de la formation des gouffres », assure Fetullah Arik. Mais avec la « formation intempestive et fréquente des dolines, les gens vivent dans la peur ». Certains habitants ont ainsi dû quitter leur domicile, assure le chercheur. Il cite le cas d'une famille de Konya Karapınar contrainte de déménager après la formation d'une doline tout près de sa maison. « La même année, une mosquée touchée par une doline a également été évacuée. »

Les inquiétudes sont nombreuses, d'autant que Konya n'est pas la seule ville turque touchée par le phénomène. Les villes de Karaman, Niğde, Aksaray sont également victimes. Des incidents se sont aussi produits dans d'autres pays : en Australie, des cavités gigantesques se sont créées en raison de mines abandonnées ; en Israël aussi, à cause de l'exploitation du sable, ou encore aux États-Unis, en Floride, avec le pompage intempestif dans les nappes souterraines. De quoi interroger notre usage de l'eau toujours plus important.