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© DDM, David BécusSur 200 000 nouveaux malades d'Alzheimer chaque année, entre 16 000 et 31 000 pourraient être en lien avec ces anxiolytiques et somnifères..
Les enfants, dont la détresse est souvent difficile à percevoir, sont aussi capables de se donner la mort, même si l'on croit parfois à des accidents, estime le psychiatre Boris Cyrulnik dans un rapport remis hier au gouvernement.

Le seul terme de suicide employé pour des enfants âgés de 5 à 12 ans fait frémir. Car si l'on connaissait ce phénomène toujours en progression chez les adolescents, le relier à ce que l'on pensait être jusque-là une mort accidentelle chez les petits, interroge. Et la question relève de l'insoutenable.

C'est pourtant tout l'objet du rapport (*) déposé, hier, auprès du secrétariat d'État à la Jeunesse, par Boris Cyrulnik. Le neuropsychiatre affirme que ce phénomène sous-estimé est en augmentation : officiellement une quarantaine de cas par an.

Selon le médecin, « si l'on ajoute les accidents non-accidentels qui sont en fait des suicides, on arrive à une centaine chaque année ».

Le professeur Jean-Philippe Raynaud, chef de service en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent au CHU de Toulouse, accompagne la démarche. « Même si le phénomène est rare, souligne le médecin, je pense que cette initiative présente beaucoup d'avantages. On sait aujourd'hui qu'une brimade, la perte d'un animal de compagnie, celle d'un être cher dans la famille, un conflit entre parents ou une maladie chronique doublée de soins lourds à porter peut déclencher l'irréparable. De fait, notre société encourage la précocité et l'autonomie et demande trop souvent à l'enfant de se débrouiller seul. »

De la prévention donc. Car à l'image du rajeunissement de la puberté, des revendications de précocité qui progressent, de l'émergence d'enfants « adultifiés », la souffrance psychique touche de plus en plus tôt les jeunes. Aujourd'hui, « tout ce qui va créer un décalage entre la maturité réelle d'un enfant et ses aspirations » est un risque, affirme le professeur Raynaud.

En 2009, 37 suicides d'enfants de moins de 14 ans ont été répertoriés en France métropolitaine (majoritairement par pendaison, strangulation ou asphyxie), 526 chez les 15-24 ans, tranche d'âge où le suicide est la deuxième cause de mortalité, selon des chiffres de l'Inserm. Nul doute que cette question élargie aux plus jeunes sera au cœur du 2e Plan national 2011-2014 consacré au suicide. En Midi-Pyrénées, un programme de prévention est à l'étude par l'Agence régionale de santé.

Rapport publié aux éditions Odile Jacob sous le titre «Quand un enfant se donne 'la mort'».

Boris Cyrulnik : "Une déflagration exceptionnelle"

Les éléments qui déclenchent le passage à l'acte chez le tout jeune enfant

Les suicides aboutis sont rares chez les 5-12 ans mais ils sont certainement plus fréquents car les chiffres ne parlent que des suicides évidents. Ce sont les carences sensorielles précoces qui créent la vulnérabilité. Une pichenette peut suffire pour passer à l'acte. Une phrase blessante, une petite frustration, une mauvaise note à l'école ou le déménagement d'un copain peuvent provoquer une déflagration exceptionnelle. L'enfant peut écrire une lettre d'adieu. Le plus souvent, il se penche trop par la fenêtre ou descend d'un autobus en marche. Il ne pense pas qu'il va mourir. Il n'a pas la notion adulte de la mort. Et les adultes n'y voient qu'un accident.

Une politique de prévention.

Il faut organiser une politique de prévention autour de la naissance, en donnant notamment une cohérence aux métiers de la petite enfance via une université de la petite enfance. Il faut allonger le congé paternité et maternité. Il faut aussi aller vers une adaptation des rythmes scolaires, une notation plus tardive, une lutte contre le harcèlement.

« Le plus souvent, l'enfant se penche trop par la fenêtre ou descend d'un bus en marche. »

Boris Cyrulnik est neuropsychiatre

Marcel Rufo : "Il y a confusion des sujets"

Les chiffres avancés par Boris Cyrulnik

Je les conteste, même si j'ai beaucoup d'estime et de respect pour Boris. Si on dit que le suicide des pré-ado augmente en nombre, je suis tout à fait d'accord, mais à 12 ans on n'est plus un enfant. Englober les chiffres relatifs à cet âge fait exploser les statistiques. Le suicide chez l'enfant, c'est-à-dire avant le collège, c'est six-huit cas par an. Et dans ce cas, fallait-il publier un rapport gouvernemental au risque de déclencher une culpabilisation terrible de l'accident chez les parents ? Personnellement, je n'ai été confronté durant toute ma carrière qu'à trois suicides de petits enfants.

Le comportement à risque décrit par le neuropsychiatre

Il ne faut pas voir en tout accident une tentative de suicide. Cela va faire inutilement peur aux parents.

Le comportement à risque fait partie du comportement normal de l'enfant. Certains enfants disent parfois, « je veux me tuer », mais ils disent ça comme une échappatoire, un appel.

« Le comportement à risque fait partie du comportement normal de l'enfant.»

Marcel Rufo est pédopsychiatre