A l'encontre des Indignés présents à Paris du 17 au 22 septembre, l'Etat français a décidé de frapper fort.

Après avoir envoyé ses représentants de l'Ordre interpeler de manière violente les Indignados et les Indignés sur les trottoirs de St Germain à Paris dans la soirée du 19 septembre, puis une nouvelle fois le 21 septembre place de la Bourse, l'Etat représenté par la procureure de la République Laurence Dané, a sorti une artillerie judiciaire plutôt lourde ce lundi 31 octobre au matin à la 29e chambre du tribunal correctionnel de Paris.

La sévérité des peines requises sont apparues non seulement disproportionnées, mais également injustifiées à différents observateurs.

Comment faut-il comprendre une telle attitude, que certains déjà sont enclins à interpréter comme une véritable « déclaration de guerre » ?

Est-elle le résultat d'une réaction de panique du gouvernement traduisant sa peur d'Indignés non-violents ? Cela peut au premier regard apparaitre surprenant, même si l'on ne peut exclure une telle hypothèse au vu des évènements violents qui se déroulent en Grèce, des mobilisations spectaculaires espagnoles, des déstabilisations institutionnelles générées par les Indignés anglais, de l'ampleur des répercussions de l'occupation de Wall Street ; entre autres évènements.

Mais peut-être faut-il y voir la volonté de continuer à étouffer dans l'œuf, quitte à tomber de manière plus ou moins assumée dans l'outrance, toute tentative d'expression de l'indignation en France, et notamment à Paris. En somme un message fort adressé aux indignés parisiens et français qui appellent à occuper la Défense à partir du 4 novembre.http://www.occuponsladefense.net/

Pourtant une telle option est manifestement très risquée. Tout d'abord parce que chaque mesure d'intimidation ou de violence policière s'est jusqu'à présent soldée par un regain de détermination des Indignés que ce soit à Paris, ou encore à Bruxelles. Ensuite parce que les partis politiques de Gauche, notamment le NPA et EELV, dont les candidats aux présidentielles monopolisent actuellement les studios de télévision et de radio, multiplient les déclarations de sympathie en direction des Indignés.

Et pourtant il faut bien constater que la décision d'une éventuelle spirale de l'oppression semble avoir été prise, accompagnée d'une tentative d'escamotage et de diversion médiatique sur le thème de l'insécurité en banlieue. En effet ce n'est évidemment pas un hasard si Claude Guéant, actuel Ministre de l'Intérieur, a fait la une des JT après s'être déplacé ce même lundi 31 au matin à St-Ouen pour annoncer qu'il allait « nettoyer » les quartiers de leurs dealers de drogue.

Sur la foi de ces observations il n'est peut-être pas abusif de penser que nous entrons de la part du gouvernement dans une phase préoccupante de radicalisation. Comme à l'époque de la réforme des retraites, les signes d'intimidation alors adressées aux dirigeants syndicaux produiront-elles le même effet sur la détermination des Indignés ?

Pour ceux et celles qui souhaiteraient prendre le temps d'une connaissance plus précise des évènements, revenons plus en détail sur les faits :
Le lundi 19 septembre au soir, soit deux jours après la grande manifestation officielle qui s'était déroulée le samedi 17 dans l'après-midi de la Cité Universitaire à la place de la Bastille, emmenée par les Indignés venus à pied par trois routes différentes de Madrid, Toulouse et Barcelone, une première intervention policière a lieu boulevard St Germain.

Un des marcheurs relate les faits en ces termes : « Vers 19H00 tous les marcheurs se sont mis en route, sans bloquer la circulation et en marchant sur les trottoirs. Le déplacement se voyait festif et en chanson comme à l'habitude. Un premier cordon de police est venu s'interposer devant les marcheurs pour bloquer le passage dans le quartier de Saint-Germain. Les coups de matraques et le gaz lacrymogène ont commencé à tomber sans sommation sur ceux qui tentaient d'avancer sur la voie publique, et le groupe s'est retrouvé encerclé au niveau du 139 boulevard St Germain, la police signifiant que tous allaient être soumis à un contrôle d'identité sous le motif de manifestation illégale.

Face au refus de faire le contrôle sur place, tous se sont assis et liés sur place en forme de protestation. Le sitting est resté non-violent et pacifique comme à l'habitude. La violence démesurée employée par la police (qui est censée protéger et servir le citoyen) sur les marcheurs pris en étau reste incompréhensible. Un des marcheurs est resté inconscient de nombreuse minutes, sans aucune aide des forces de l'ordre qui était plus préoccupés à éloigner les passants choqués par une telle démonstration de violence. Malgré les coups de pied, de genou, insultes, utilisation de gaz directement dans les yeux, tous ont résisté plus de deux heures avant d'être conduits dans différents commissariats pour y effectuer le fameux contrôle d'identité. Trois blessés ont été également évacués vers l'hôpital. »
Le 21 septembre, après avoir été brinqueballés depuis leur arrivée le 17 dans divers points de Paris et de sa banlieue proche, les Indignés quittent Bercy. Notre marcheur raconte :
« Vers la fin d'après midi, les marcheurs ont quitté Bercy, en file indienne et en silence pour répondre aux violences policières qui avaient eu lieu deux jours plus tôt. Le signal envoyé était fort, il ne s'agissait pas d'une manifestation mais bien d'un déplacement vers un autre lieu devant les passants surpris devant ce cortège. Pendant ce temps à Notre Dame, 3 camions de police et un autobus attendaient les indignés. Un appel à la presse avait été fait pour Notre Dame, mais au vu des circonstances d'accueil plus que probables sur place, et ayant toujours à l'esprit les événements du 19 septembre, les marcheurs ont décidé de tenir l'assemblée Place de la Bourse.

Les indignés se sont assis par terre devant l'édifice de France Presse juste à coté de la Bourse. Très vite les gendarmes sont arrivés sur place et les ont encerclés. L'assemblée a quand même commencé sans prêter attention au large dispositif qui était en train de se mettre en place autour. De plus en plus de policiers ont commencé à arriver, mais aussi des citoyens et des caméras. Un streaming a été mis en place pour permettre de suivre ce qu'il se passait en temps réel.

Une première personne a été interpellée pour motif de manifestation illégale et emmenée pour un contrôle d'identité. Les indignés sur place se sont donc mis à résister pacifiquement demandant la libération de leur compagnon. Les gendarmes ont donc commencé à interpeler toutes les personnes qui étaient encerclées, parfois avec violence. Un blessé a été constaté, les pompiers n'ont pu intervenir pour le secourir, empêchés par les forces de l'ordre.

Les indignés semble avoir été interpellés par une brigade spéciale chargée de la sécurité du territoire. On leur reproche de ne pas avoir respecté deux lois : la loi du port du voile, et une nouvelle loi interdisant aux gens de s'assoir pour prier dans les lieux publics. Ceci est bien la preuve que les autorités ne savent pas quoi inventer pour empêcher le bon déroulement de la marche à Paris.

Les indignés sont un collectif pacifiste et non-violent et ont organisés beaucoup de manifestations et d'assemblées sans vandalisme et violence depuis le début du mouvement. Les indignés ne prient pas, ils s'assoient sur les places publiques pour discuter et échanger des idées. Les indignés ne se cachent pas et n'ont rien à cacher. Leurs déguisements ne comportent aucun signe religieux. »
Voilà donc les faits présentés par l'un des protagonistes. Que s'est-il ensuite passé dans ce fameux bus dont la « détérioration » a valu à 11 Indignés d'être poursuivis devant la 29e chambre correctionnelle ? Apparemment certains d'entre eux ayant appuyé la paume de leurs mains sur les vitres du bus ont descellé l'une d'entre elles, ce qui semble en dire long sur l'état d'entretien des véhicules de la Police...

Et nous arrivons à la matinée du lundi 31 octobre. Celle-ci relatée par l'AFP :
Les Indignés au coeur d'un procès surréaliste pour avoir "décollé" une vitre

PARIS - Une audience pour le moins surprenante s'est déroulée lundi matin devant la 29e chambre du tribunal correctionnel de Paris, où onze "Indignés" ont comparu pour avoir "décollé" la vitre d'un fourgon de police dans lequel ils pénétraient après une manifestation le 19 septembre.

"La justice n'a-t-elle rien d'autre à faire que de renvoyer 11 personnes pour une vitre décollée?" s'est interloqué l'avocat des prévenus, Me Joseph Breham. "La police elle-même, a-t-il poursuivi, n'ose pas dire que cette vitre aurait été brisée!"

Aucun avocat ne s'est présenté lundi pour défendre la thèse policière.

Neuf "Indignés" ont répondu à la convocation du tribunal: trois femmes et six hommes, tous Français à l'exception d'une Vénézuélienne vivant en Espagne. Deux des prévenus, dont une certaine Séverine, étaient absents.

Les faits remontent au 19 septembre. Ce mercredi-là, après une manifestation, des "Indignés" font l'objet d'un contrôle d'identité et sont embarqués dans des cars de police.

Selon les "Indignés" jugés lundi, la vitre du fourgon, qui tenait mal, ne s'est pas brisée, mais s'est tout simplement décollée quand certains d'entre eux se sont appuyés dessus, sans aucune violence.

La procureure Laurence Dané a décrit un tout autre scénario.

La situation aurait "dégénéré" et les prévenus qui pénétraient dans le fourgon auraient "poussé cette vitre de leurs mains dans une action collective et concertée".

Elle a requis trois mois de prison ferme contre Séverine, qui a reconnu avoir posé ses mains sur la fameuse vitre, et qui a déjà quatre condamnations à son casier pour conduite en état d'ivresse et/ou violences. Une peine de 100 jours-amende à cinq euros (soit 500 euros d'amende) a été requise contre les autres.

Me Breham a fait remarquer au tribunal, présidé par Claudine Bucher, que la procureure n'avait "pas été capable de nous dire qui était dans cette chaîne" qui aurait abouti au "décollement" de la vitre. "On ne sais pas qui a poussé, si tant est que quelqu'un ait poussé!" Or "le doute profite aux mis en cause".

D'autant, a-t-il rappelé, qu'il est établi que deux prévenus n'étaient pas dans le fourgon. Et pour cause, l'un d'eux était à quelques kilomètres de là, chez son médecin!

Quant à Séverine qui "a eu l'hônneteté de dire qu'elle a appuyé sur la vitre, on la condamnerait à trois mois pour un joint défectueux?!" s'est étranglé l'avocat, avant de pointer "le ridicule de la situation".

Délibéré "dans quinze jours".