Fillettes réglées à 8 ans ou malformations génitales chez les garçons : le Pr Charles Sultan met en cause certains polluants et sonne l'alarme

Elles ont 6 ou 7 ans et leurs seins apparaissent. Des fillettes comme elles, le Pr Charles Sultan en reçoit presque chaque jour au CHU de Montpellier, où il dirige les départements d'endocrinologie pédiatrie et d'hormonologie. C'est "trois à cinq fois plus" qu'il y a dix ans. Récemment, ce médecin a même publié dans la revue Gynecological Endocrinology une étude portant sur une fillette française âgée de 4 mois qui présentait des seins volumineux et des saignements vaginaux. Un cas extrême, rarissime. Mais tous les praticiens le constatent : les entrées en puberté se font de plus en plus tôt. Au CHU de Toulouse, l'endocrinologue Catherine Pienkowski confie ainsi établir "une dizaine de bilans de puberté précoce par semaine". Nos horloges biologiques sont-elles détraquées?

Une puberté est qualifiée de précoce lorsque le premier signe, le développement mammaire, survient avant 8 ans. Aujourd'hui, en France, la fréquence à 8 ans serait de 10 pour 10.000 filles. Le taux tombe à 2,5 à 6 ans, et à 0,5 avant 4 ans. Mais l'écart séparant la normalité de l'anormalité semble se rétrécir. Ainsi, une étude danoise a montré que le développement des seins débute un an plus tôt chez les fillettes nées en 2006 que chez celles nées en 1991. Et près d'une Américaine sur six voit désormais son corps se modifier dès l'âge de 7 ans, selon une étude parue dans Pediatrics. Curieusement, l'âge moyen des premières règles n'a guère varié, autour de 12 ans et demi.

Risques d'obésité ou de cancer du sein

Pour ces très jeunes filles, une entrée en puberté précoce est souvent synonyme de petite taille à l'âge adulte. La croissance, débutée tôt, s'arrête aussi plus tôt. Le Pr Sultan évoque d'autres conséquences médicales : "Des risques de développer une obésité, des troubles métaboliques ou des problèmes cardio-vasculaires. Des études ont aussi montré un risque accru de cancer du sein à l'âge adulte." Par ailleurs, l'irruption de la féminité chez des fillettes encore immatures peut provoquer des dégâts psycho-sociaux importants : repli sur soi, dépression, vagabondage sexuel, délinquance... Le Dr Pienkowski veut rassurer : "On dispose désormais d'un traitement efficace : des injections mensuelles ou trimestrielles qui bloquent la progression de la puberté, et dont l'effet est réversible. Mais il ne faut pas attendre. Il convient de consulter dans la première année. Quand la fille est réglée à 8 ans, c'est trop tard."

Comment expliquer cette "avance" ? Le plus souvent, aucune cause intrinsèque (une tumeur, par exemple) n'est trouvée. Les chercheurs estiment alors que plusieurs facteurs se conjuguent. La sédentarité, l'obésité, l'alimentation riche en protéines animales, l'âge auquel la mère a été réglée... De plus en plus, ils pointent aussi du doigt l'exposition aux substances chimiques, en particulier pendant la vie fœtale. On trouve celles-ci partout. Phtalates dans les emballages plastiques ou les cosmétiques, PCB dans l'alimentation, bisphénol A dans les conserves et canettes. Pesticides, herbicides et fongicides dans l'alimentation ou l'eau... Même à faible dose, ces perturbateurs endocriniens, qui imitent nos hormones ou bloquent leur action, peuvent bouleverser le système hormonal.

Les pesticides responsables?

Outre les pubertés précoces, les travaux du Pr Sultan montrent que l'exposition à certaines de ces substances chimiques favorise les ambiguïtés sexuelles et les malformations génitales masculines : micropénis, malformations de l'urètre, testicules non descendus dans les bourses... Selon une étude récente, le risque de malformations est multiplié par quatre pour un garçon vivant dans un environnement exposé aux pesticides. Le spécialiste confie aussi recevoir de plus en plus de garçons pour gynécomastie (développement des seins). Il a vu une cinquantaine de cas en deux ans.

Après la parution discrète, en mars, d'une circulaire du ministère de l'Agriculture autorisant l'épandage aérien d'une série de pesticides, le Pr Sultan veut à nouveau sonner l'alarme. Il demande l'interdiction à moyen terme de ces polluants : "Neuf études dans le monde ont rapporté des épidémies de puberté précoce en lien avec la contamination environnementale. C'est un véritable scandale de santé publique !" Le député (PS) Gérard Bapt réclame, pour commencer, la suspension de la circulaire. La gynécologue Marianne Buhler, elle, insiste sur la prévention auprès des femmes enceintes, surtout entre 7 et 12 semaines de grossesse. "C'est la période pendant laquelle les organes génitaux se forment et celle où le fœtus est le plus sensible aux perturbateurs endocriniens." Elle préconise quelques gestes simples : éviter tous les contenants alimentaires en plastique et en fer, retirer le plat de l'emballage plastique avant de le réchauffer au micro-ondes, et manger le plus bio possible.