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© AFP/ROMAIN PERROCHEAUMême en 1976, la sécheresse n'avait pas été aussi précoce et les éleveurs avaient pu sauver l'essentiel de la première fauche de foin.
Des champs jaunes, "grillés, transformés en paillasson". Jamais Christian Guy, éleveur dans le Cantal, n'avait connu un tel paysage de désolation aussi tôt dans l'année : "Normalement, ce n'est pas avant le 15 août que cela arrive. Et à cette date, on a déjà fait toutes les récoltes. Même en 1976, la sécheresse n'avait pas été aussi précoce, on avait pu sauver l'essentiel de la première fauche de foin."

Si la sécheresse actuelle frappant la France alarme tous les agriculteurs, la situation est délicate pour les céréaliers et surtout pour les éleveurs. Ces derniers, commençant à peine à sortir de quatre ans de crise, parlent même de double peine : à l'augmentation du prix de l'alimentation animale, entraîné par l'envolée des cours mondiaux de céréales, vient maintenant s'ajouter une réduction drastique de leur production de fourrage.

Les pertes sur les premières coupes s'élèvent entre 50 % et 60 %, si ce n'est plus. Et les foins de cette première maigre récolte viennent à peine d'être ensilés, qu'il faut puiser dedans, tant les prairies où paissent les bêtes à cette époque sont sèches.

"A ce rythme-là, relève Thierry Chalmin, éleveur en Haute-Saône, on risque de ne plus rien avoir pour l'hiver. D'autant que si la sécheresse se poursuit, il ne sera pas question de faire une seconde fauche comme à l'habitude."

Partout, la même question se pose : jusqu'à quand va-t-on pouvoir nourrir les bêtes? L'alternative est simple, explique Alain Chaubauty dans les Deux-Sèvres : "Soit acheter de quoi nourrir les bêtes à l'extérieur, soit vendre une partie de notre cheptel." Autant dire un "choix cornélien", résume Emmanuel Bernard, dans la Nièvre.

Une opération solidarité entre céréaliers et éleveurs, lancée par la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), le principal syndicat agricole, est bien en train de se mettre en place pour que les premiers conservent leur paille au lieu de la broyer.

120 EUROS LA TONNE DE PAILLE

"Faut-il encore pouvoir payer, lâche Patrick Benezit. On nous annonce un prix entre 20 et 25 euros la tonne de paille mise à disposition dans les champs. Mais va s'ajouter le coût du pressage, de la mise en silo et du transport. Et la paille qu'on pourrait normalement trouver dans les pourtours de la région, il va nous falloir aller la chercher bien plus loin", explique cet éleveur du Cantal, qui n'espère pas trouver de la paille à moins de 400 kilomètres de son exploitation. Une distance qui porterait le coût de la paille achetée à 120 euros la tonne. "Et ce n'est que de la paille", dit-il.

"Avec de la paille, on ne fait que maintenir nos animaux en vie. Ce n'est pas avec cela qu'on les engraisse", abonde Thierry Chalmin. Faut-il encore apporter des compléments énergétiques et en protéines. Or tout laisse à penser que la récolte du maïs semé début avril ne sera pas, elle non plus, à la hauteur des espérances. Quand aux autres compléments, tels que la luzerne, leurs prix s'envolent.

Pris en tenaille, avant même cette sécheresse, entre la hausse du coût de l'alimentation du bétail et des prix de vente très bas depuis plusieurs années, les éleveurs font vite leurs comptes. "Cette sécheresse arrive alors que nos trésoreries sont exsangues", explique Patrick Benezit qui s'étrangle à la vue des sommes "vertigineuses" qu'il va lui falloir dépenser.

De plus en plus en viennent ainsi à se résoudre à faire abattre une partie de leur cheptel. Seul moyen de se faire un peu de trésorerie pour pouvoir acheter de l'alimentation pour leur bétail, tout en "limitant le nombre de bouches à nourrir".

Depuis deux semaines, Philippe Alazard, directeur de l'abattoir Bigard à Castres (Tarn), ne cache pas ainsi avoir connu un afflux inhabituel de bestiaux. "Nous sommes montés à 2 000 bovins par semaine, contre 1 500 en temps normal", relève-t-il. Un chiffre qu'il s'attend à voir fortement gonfler.

Résultat, cet abatteur s'apprête à limiter les arrivages de bêtes : "La situation dans laquelle se trouvent les éleveurs est dramatique. Mais quand bien même nous aurions la capacité d'abattage, encore nous faut-il pouvoir écouler en aval la marchandise. Or les animaux qui nous arrivent n'ont pas un niveau d'engraissement satisfaisant."

PERTE DE LA PLUS-VALUE

Lorsqu'ils se résolvent à envoyer à l'abattage des animaux, les éleveurs commencent en effet par les plus jeunes "pour ne pas trop hypothéquer l'avenir de l'exploitation". Mais ces bêtes étant vendues prématurément non finies d'engraisser, ils en perdent toute la plus-value.

Le prix moyen du kilo de carcasse de viande bovine, qui s'était redressé depuis le début de l'année à 3,20 euros contre 3,05 euros en 2010, a ainsi reperdu au cours des deux dernières semaines entre 5 et 10 centimes selon la catégorie de bêtes. Et tous craignent que l'afflux croissant de bêtes à l'abattoir n'accentue encore cette baisse.

Certains en viennent même alors à "décapitaliser", allant jusqu'à vendre leurs vaches allaitantes qui servent au renouvellement de leur cheptel. En l'espace de ces deux dernières semaines, Jean-Paul Thenot, dans le Puy-de-Dôme, a vendu une centaine de bêtes sur les 300 que compte son cheptel. "J'ai 57 ans et je vis pour la troisième fois une sécheresse, explique-t-il. Celle de 1976, je l'ai mal vécue car je m'installais mais c'était plus facile car j'avais un plus petit cheptel. En 2003, je me suis fortement endetté. Et alors que je commençais tout juste à voire le bout du tunnel, une nouvelle sécheresse nous tombe dessus. Mais cette fois, je n'ai plus envie de m'endetter. C'est fini!"

De vingt-sept ans son cadet, Philippe Mougin, installé depuis dix ans en Haute-Saône, a lui aussi pris cette même décision radicale de se séparer de la moitié de ses 300 bêtes. "Je vais me diversifier dans autre chose que l'agriculture, lâche-t-il. Je préfère cela que de dépendre d'aides."