Image
Les neurones du cerveau se fabriquent tout au long de la vie. (Reuters)
Contrairement à l'idée communément admise, nous pouvons fabriquer des neurones à tout âge. Mais à plusieurs conditions, dont celles-ci : ne pas s'ennuyer et continuer à s'émerveiller


Bonne nouvelle : contrairement à une idéee reçue, notre cerveau ne cesse pas de produire des neurones à l'âge adulte! C'est l'équipe du neurobiologiste Pierre-Marie Lledo, à la tête de l'unité Perception et mémoire à l'Institut Pasteur et de l'unité GèneS, synapseS et cognition au CNRS*, qui a contribué à mettre en évidence l'existence d'une "pouponnière" dans laquelle de nouveaux neurones se fabriquent en continu. Pour cela, un traceur (une sub-stance fluorescente issue d'une méduse) a été introduit dans un virus désactivé, qui n'infecte que les cellules occupées à se diviser. En injectant ce virus dans le cerveau de rongeurs, les chercheurs ont "illuminé" ces néo-neurones. "Ils se forment dans une zone située sous les ventricules puis migrent comme sur un tapis roulant", explique le scientifique. Soit vers l'avant du cerveau, dans la structure qui gère l'odorat et la mémoire olfactive ; soit dans l'hippocampe, qui régit la mémoire spatiale.

Au fil des expériences, l'équipe a compris que cette plasticité du cerveau, fondée sur sa capacité à s'auto-régénérer, ne perdure qu'à cinq conditions : se préserver de la pollution visuelle et sonore ; éviter la consommation chronique de psychotropes ; pratiquer 15 minutes d'activité physique par jour ; lutter contre l'isolement social ; enfin, continuer à s'émerveiller, "c'est-à-dire comprendre plutôt que savoir. Notre cerveau ne s'use que si l'on ne s'en sert pas ! Chacun possède cette fontaine de jouvence et peut, par son comportement et son environnement, aider son cerveau à se reconfigurer."

L'indispensable protéine-aimant

Deux autres découvertes majeures ont suivi. En 2005, l'équipe de Pasteur a identifié une protéine clé, la ténascine, secrétée dans le cerveau : comme un aimant, c'est elle qui attire les néo-neurones dans les deux régions "cibles". "Deux conditions sont nécessaires pour la produire : la stimulation sensorielle, lorsque nos circuits échappent à l'ennui en étant soumis à une stimulation toujours différente, et le plaisir lié à cette stimulation." Ainsi, chez des rats exposés à des parfums désagréables, la production de cette protéine s'effondre. "À l'inverse, lorsqu'on leur fait respirer des mélanges d'épices qu'ils aiment, le taux de renouvellement des neurones est multiplié par trois!" L'autre bond en avant date de juin 2012. L'équipe a eu recours à l'"optogénétique" : un gène introduit dans ces néo-neurones permet de les rendre sensibles à la lumière. En les soumettant à des flashes lumineux, on peut donc les stimuler. Et ainsi les activer pour booster la mémoire.

Vers une mémoire "augmentée"

Ces avancées ouvrent la voie à une médecine "régénérative". Un grand espoir pour les malades d'Alzheimer ou de Parkinson, pour les victimes d'AVC ou les traumatisés crâniens. "Plutôt que de stopper l'évolution d'une maladie, le cerveau retrouverait son état antérieur", explique Pierre-Marie Lledo. En identifiant cette protéine "aimant", brevetée par l'Institut Pasteur, les chercheurs sont désormais capables d'acheminer les néo-neurones vers d'autres zones du cerveau que leurs cibles initiales. Chez une personne devenue aphasique après un accident, on pourrait un jour les attirer vers le circuit du langage endommagé pour le réparer. Par ailleurs, de nouvelles molécules pourraient être mises au point en ciblant la neurogenèse adulte, avec un début de phase clinique d'ici cinq à sept ans. Ces travaux pourraient aussi déboucher sur la découverte d'une nouvelle famille d'antidépresseurs. Autre perspective futuriste : celle d'un cerveau "augmenté", dont on démultiplierait la mémoire. Autant d'enjeux éthiques futurs cruciaux selon le neurobiologiste : "Si les femmes se souvenaient de la douleur de l'accouchement, auraient-elles plus d'un enfant? L'oubli aussi est parfois vital."

*Le Cerveau sur mesure, avec Jean-Didier Vincent ( éd. Odile Jacob, 2012).