Jann Halexander
© DRJann Halexander à côté de l'affiche de l'exposition « Les ovnis en Afrique ».
Après le succès de l'exposition parisienne « Les Ovnis en Afrique », son organisateur, Jann Halexander, évoque l'histoire méconnue des phénomènes aériens non-identifiés sur ce continent.

Jaune comme un citron posé au coeur de la Goutte-d'Or, difficile de manquer la façade de la galerie Echomusée qui a accueilli du 2 au 7une exposition consacrée au phénomène ovni en Afrique. À l'origine du projet, Jann Halexander, créateur par ailleurs du réseau d'information sur les Phénomènes Aériens Non-identifiés, UAP Afrique, rattaché à UAP Check, soutien essentiel de l'exposition.
Il faut s'intéresser aux ovnis comme on s'intéresse à la politique ou au changement climatique
Né en 1982, au Gabon, Jann Halexander est d'abord connu comme chanteur-auteur-compositeur, une carrière qu'il poursuit avec succès, menant de front tournées à travers l'Europe et l'Afrique et travaux ufologiques : « Je ne me définis pas comme un ufologue. Quand j'ai fondé UAP Afrique en novembre 2023, c'était dans un souci citoyen, je n'ai pas de passion pour le sujet. Vous ne verrez pas d'affiches "I want to believe" ici. Mais je considère pour des raisons personnelles et familiales que c'est un sujet auquel il faut s'intéresser comme on s'intéresse à la politique ou au changement climatique » précise-t-il, en nous faisant visiter l'exposition.

Sur les murs, articles de presse, tableaux, clichés, documents inédits, dressent le panorama foisonnant d'une histoire en grande partie méconnue : ainsi, une reconstitution d'une étrange rencontre survenue au début des années 2000, au Gabon. Un étudiant en thèse a croisé un objet ayant toutes les apparences d'un œuf sur pattes de taille humaine. « C'est presque drôle en apparence mais le témoin à ressenti une peur intense qui l'a hanté pendant des années » intervient Jann Halexander.

Jacques Vallée
© DRAu centre, l'ufologue français Jacques Vallée lors d'une visite surprise à l'exposition « Les ovnis en Afrique ».
L'ufologie africaine a ses grandes figures, pour le meilleur... Et parfois pour le pire. Cynthia Hind, Sud-africaine blanche, a créé la première -et la seule- revue d'ufologie sur le continent africain, « UFO Afrinews », dans les années 80. Alors que l'apartheid régissait encore les cœurs et les esprits, elle a sillonné l'Afrique australe, recueillant des dizaines de témoignages sans préjugés de classe ni de de couleur de peau.

C'est grâce à elle qu'a été connu partout dans le monde l'un des cas d'ovnis les plus fascinants survenus sur le continent africain, « l'incident de l'Ariel school », au Zimbabwe. En 1994, 62 enfants ont vu objet se poser devant leur établissement et ses occupants en sortir. La cohérence des témoignages, les dessins des élèves, le choc qu'ils avaient subi, ont attiré l'attention de John Mack, professeur de psychiatrie de l'Université de Harvard, venu enquêter sur place. Des années après, les jeunes témoins devenus adultes qui acceptent de s'exprimer n'ont rien modifié de leur récit. La revue de Cynthia Hind a hélas disparu à sa mort en 2000, sans trouver de successeur.

revue ufologique africaine
© AFU shop / DRUn numéro de "UFO Afrinews", seule revue ufologique africaine.
Beaucoup plus controversé, le chaman zoulou Credo Mutwa, né dans la province sud-africaine du Natal et mort en 2020, à l'âge 98 ans. Représentant de la « Dark Ufology » (l'ufologie sombre), il défendait, à l'instar du Britannique David Icke, la thèse que des extraterrestres reptiliens tapis dans les entrailles de la planète oeuvrent pour asservir l'humanité. Dans une curieuse inversion des valeurs, Credo Mutwa était, contrairement à sa compatriote Cynthia Hind, un fervent partisan de l'apartheid, convaincu que le métissage corrompt les peuples et affaiblit leur puissance spirituelle.

Si les théories de Credo Mutwa se rattachent au conspirationnisme, l'Afrique a aussi été le théâtre d'un cas en particulier qui semble relever d'un film catastrophe : celui de l'attaque du village de Baridiame au Sénégal, en 1980, par des objets volants non-identifiés.

Dans l'exposition, plusieurs articles du « Soleil », le principal journal sénégalais, attestent de la réalité d'un évènement qui aurait fait des morts et des blessés ainsi que d'importants dégâts matériels. Une enquête gouvernementale menée sur place n'a pas permis d'élucider cette affaire hors du commun. Six ans plus tard, la revue pionnière de l'ufologie française « Lumières dans la Nuit » est revenue sur cet épisode qui, ajoute Jann Halexander, « a remis en cause la doxa en vogue à l'époque que les ovnis étaient forcément inoffensifs, voire amicaux. »

Ovnis « diaboliques »

Autre document étonnant, une lettre manuscrite issue des archives du SCEAU (« Sauvegarde et Conservation des Études et Archives Ufologiques ») jette une lumière singulière sur les relations entre les pouvoirs politiques en Afrique et les phénomènes aériens non-identifiés : il s'agit d'un courrier adressé en 1981 par un commissaire politique du gouvernement du Congo à une association ufologique française pour solliciter des éclaircissements sur les ovnis et l'attitude à adopter face à d'éventuelles « visites extraterrestres ».

« C'est une lettre extraordinaire », commente Jann Halexander, car à l'époque le gouvernement de Denis Sassou-Nguesso se réclamait du communisme pur et dur. Les ovnis n'avaient pas bonne presse et « étaient vus au même titre que le Père Noël, comme des fadaises que la science devait battre en brèche. »

Aujourd'hui, la méfiance des dirigeants africains à l'égard des ovnis est toujours aussi vive, rappelle le commissaire de l'exposition « d'autant plus que la religion s'en mêle et que ces phénomènes sont considérés par les ministres d'obédience évangélique, de plus en plus nombreux dans plusieurs pays, comme des manifestations de Satan. »

Raël en embuscade

Des préjugés qui peuvent avoir des conséquences éprouvantes pour les témoins qui ne savent vers qui se tourner après une observation : « Nous avons reçu la visite d'une maman congolaise qui avait rompu avec sa famille ultra-évangélique. Elle venait avec sa fille pour lui montrer l'exposition. Dans sa famille, on lui disait que l'alien c'est le diable. »

Dans le même temps, entre rejet et indifférence, des sectes « ufolâtres » en profitent pour marquer des points sur le continent africain. C'est le cas de Raël dont la présence croît lentement mais sûrement. « Pour l'instant, ils ne sont pas encore perçus comme une menace. Mais si le mouvement prend de l'ampleur, l'attitude des autorités à leur égard changera et ils auront beau jeu de se poser en martyrs, ainsi qu'ils l'ont fait ailleurs. »

En Afrique comme partout dans le monde, les ovnis qu'ils existent ou non, agissent.
Jann Halexander : « Quand on a vu un ovni, la vie ne continue pas comme avant »
Question : Quel bilan tirez-vous de l'exposition ?

Jann Halexander : Très positif. Nous avons eu la surprise d'une visite de Jacques Vallée ainsi que celle du sociologue Bertrand Méheust, qui avait étudié le phénomène ovni au Gabon dans les années 1970. Et tout un ensemble de gens de différentes communautés. Des Africains, des Antillais, des Maghrébins... Il y a eu des moments très touchants, une animation avec des enfants d'une école du quartier. L'objectif c'est de faire de la pédagogie et de faire plaisir aux yeux à travers des œuvres d'art comme celles de Marie-Angélique Thuillier, qui a réalisé l'affiche de l'exposition et plusieurs peintures dans un style naïf inspirées de cas réels.
Je chante depuis 20 ans, je me considère comme un outsider dans le domaine de l'ufologie
Question : Comment conciliez-vous votre carrière musicale et ce travail sur les ovnis ?

Jann Halexander : Je chante depuis 20 ans, je me considère comme un outsider dans le domaine de l'ufologie. Il s'agit pour moi d'un acte citoyen. Entre 2020 et 2023, j'y ai presque laissé ma santé. J'ai dû chanter entre la Belgique, la France, la Suisse, devant des milliers de personnes... Donc, quand j'aborde le sujet ovni, ce n'est pas une distraction, c'est une démarche sérieuse. Ce qui n'empêche pas de prendre du recul sur ce sujet qui peut « bouffer » la vie et même vous faire vriller...

Question : Comment va fonctionner le réseau d'information UAP Africa que vous avez créé ?

Jann Halexander : J'espère que d'autres personnes vont prendre le relais. J'ai posé une première pierre, libre aux autres de construire quelque chose. Je ne me sens pas ambassadeur de quoi que ce soit. J'ai pris beaucoup de plaisir à faire ça mais j'ai des projets à la rentrée qui n'ont rien à voir : des tournées, des concerts en province, à Paris, en Belgique, au Gabon... Toutefois, on va continuer à enregistrer des podcasts, en français. On sait que les ovnis ne prennent pas de RTT, l'actualité ovni est continue. Contrairement à ce que certains annonçaient, l'effet des révélations de David Grush n'est pas retombé. C'est étonnant : nous sommes peut-être à un point de bascule, dans une période avec des conflits très forts et multipolaires dans le monde et pourtant la question ovni est toujours sur le devant de la scène. C'est comme s'il y avait un parallèle, voire un lien, entre cette situation globale et ce phénomène. On va donc continuer à mettre de l'information à disposition du plus grand nombre.
Je n'ai pas le fantasme de voir un ovni, j'en ai déjà vu
Question : À l'origine de votre intérêt pour le phénomène ovni, il y a des observations personnelles...

Jann Halexander : J'ai fait une observation en 2013 à Massy-Palaiseau. J'ai su peu après que d'autres personnes avaient vu la même chose. Tout ça a été suivi d'autres incidents, plus personnels et assez compliqués, que je préfère ne pas évoquer là. Ce n'est pas une insulte qu'on me dise que je suis ufologue mais je ne veux pas être réduit à ça. Je n'ai pas le fantasme de voir un ovni, j'en ai déjà vu. Ce n'est pas une passion, c'est concret, c'est du vécu. Mais je me demande ce qui fait que tant de gens ont encore une forme de cécité sur ce sujet. On pourrait se dire « quelqu'un a vu un ovni et la vie continue » mais c'est faux ! Pour beaucoup de gens la vie ne continue pas comme avant. Comment faire quand on a observé quelque chose d'inhabituel, qui sort du consensus, et qu'il faut retrouver la réalité du quotidien, faire société avec les autres... ? C'est compliqué.

Question : Les espaces pour accueillir ces témoignages sont peu nombreux...

Jann Halexander : C'est clair. Malgré tout le respect que l'on doit à cette institution, le Geipan, n'est pas adapté à ça. Il y a toutefois des associations comme CERO France, qui est remarquable. Elle s'adresse en priorité aux gens qui pensent avoir été victimes d'abduction. Mais elle accomplit un gros boulot avec des psychologues diplômés d'Etat qui accompagnent les personnes. Ils ne sont pas là pour leur dire qu'ils ont vu des aliens mais pour les aider à refaire société, à réintégrer le contrat social. Il existe aussi quelques associations ufologiques très actives, notamment dans l'Oise et les Yvelines où les gens peuvent se retrouver et parler. Et le fait d'avoir organisé cette exposition depuis mardi, a aussi apporté une dimension sociale : des personnes sont venues et ont pu discuter entre elles. Il y avait de l'émotion dans l'air.

« Les ovnis : on ne rigole plus »

Question : Certains témoins se retrouvent coupés de leur famille, de leurs amis...

Jann Halexander : Heureusement, ça change : les articles du New York Times en 2017, les cas inexpliqués du Pentagone, et surtout les révélations de David Grush, qui ont posé un avant et un après. Je vais citer les mots de Maka Kotto, l'ancien ministre québécois de la Culture d'origine camerounaise a choisi ce titre remarquable pour l'un des éditoriaux qu'il a écrit pour « Le journal de Montréal » : « OVNIs : on ne rigole plus ». Malheureusement, de trop nombreux médias sont encore dans la dérision, ou même l'hostilité et préfèrent parler d'une réunion sectaire à Limoges plutôt que de ce qui se passe au Brésil, au Japon ou aux Etats-Unis avec David Grush.

Question : C'est le cas en France ?

Jann Halexander : Oui c'est assez surprenant : on se retrouve avec des intellectuels qui sont capables de parler de long en large de l'identité française mais qui n'ont jamais réfléchi à cette notion d'altérité fondamentale. À l'exception toutefois d'un philosophe Thibaut Gress. Il est l'auteur d'un livre intitulé « La philosophie au risque de l'intelligence extraterrestre » ainsi que de plusieurs articles. Il rappelle que nos sociétés doivent réfléchir à l'altérité radicale. Il y a des gens qui ont compris, que « l'alien », l'exogène, d'où qu'il vienne, pose une interrogation à toutes nos sociétés.