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Les criminels en cravate sont-ils plus nombreux qu'auparavant? Chose certaine, les crimes financiers retiennent l'attention des médias et du public plus que jamais. En entrevue avec La Presse, le psychiatre Robert Hare, auteur de Snakes in Suits: When Psychopaths Go to Work, dévoile des détails troublants sur la psychologie des fraudeurs.

Q: Existe-t-il un profil type du criminel financier?

R: Ils sont tous différents, mais il y a certaines caractéristiques communes, les mêmes qu'on trouve chez d'autres criminels. Un certain égoïsme, un souci de son propre bien-être au détriment de celui des autres, un sentiment qu'on mérite les choses. Le criminel en cravate a le sentiment qu'il est correct d'enfreindre la loi pour satisfaire ses propres besoins.

Q: Qu'est-ce qui pousse un homme d'affaires aisé à commettre ce genre de crime?

R: Certaines personnes vont être poussées au crime par un concours de circonstances. Elles peuvent avoir un problème de jeu ou un problème familial et en venir à commettre des crimes. Dans le cas d'individus psychopathes, le sujet de notre livre, il s'agit du type de criminel le plus dangereux et le plus problématique pour la société parce que, pour ces personnes, ça fait partie de leur personnalité d'utiliser et de manipuler les autres pour atteindre leurs fins.

Q: L'actualité regorge de criminels en cravate par les temps qui courent. S'agit-il de criminels «ordinaires» ou de «psychopathes» ?

R: Pour déterminer s'ils sont psychopathes ou pas, il faut une évaluation scientifique détaillée. Chose certaine, toutefois, pour manipuler, frauder, détruire des centaines de vies sans la moindre apparence de remords ou de souci, cela est caractéristique des psychopathes.

Q: Votre livre s'intitule Des serpents en cravate: quand les psychopathes vont au travail. Comment comparez-vous ces individus aux criminels plus «conventionnels», par exemple des braqueurs de banque?

R: Pour plusieurs criminels ordinaires, le crime est un travail. Ce sont des professionnels qui comprennent les risques, mais qui choisissent de les courir pour profiter d'une manne au bout du compte. Les psychopathes, eux, sont différents. Ce ne sont pas des gens qui vont calculer les risques et les récompenses. Ils croient qu'ils ont droit à l'argent qu'ils pillent. Que les autres humains sont des objets qui n'ont ni sentiments ni droits. Un criminel professionnel peut avoir une conscience, une loyauté face aux autres, par exemple envers sa famille. Un psychopathe n'a de loyauté envers personne sauf lui-même.

Q: Donc, un criminel psychopathe, tel que vous le décrivez, ne ressent pas le moindre remords par rapport à ses actes?

R: Le psychopathe ne commet pas des crimes parce qu'il vit un problème. Il le fait parce que c'est dans sa nature. Et sa nature, essentiellement, est d'utiliser les autres pour son propre avantage. Vous pouvez avoir un criminel en cravate qui pille l'épargne de ses investisseurs. Pour lui, peu importe si ses victimes sont des membres de sa famille, des amis ou de parfaits étrangers. Il peut faire cela sans éprouver le moindre trouble de conscience. Le seul moment où il ressent du remords, c'est lorsqu'il se fait arrêter.

Q: Ne sait-il pas qu'il va se faire prendre?

R: Nous faisons tous la même chose. Dans votre vie ordinaire, vous pouvez commettre des actes qui sont, disons, un peu «à la limite», sans nécessairement être illégaux. Vous pouvez faire des choses que vous ne voulez pas que votre femme sache, vous pouvez acheter une bouteille de whisky même si votre médecin vous l'interdit. Normalement, on évalue le risque pour déterminer s'il y a des chances d'être découvert. Dans le cas du psychopathe, des choses qui pourraient arriver dans le futur ne comptent pas vraiment, c'est une abstraction. Ils se disent: «De toute façon, je suis brillant, je peux m'en tirer.» Ils pensent aux récompenses et non au risque qu'ils soient démasqués.

Q: Les fraudes financières ne datent pas d'hier. Comment cette forme de criminalité évolue-t-elle?

R: Je ne sais pas s'il y a plus de psychopathes qu'auparavant, mais c'est devenu beaucoup plus facile pour ces personnes de commettre des crimes. Il est possible de faire toutes vos transactions mobilières ou bancaires par téléphone ou sur l'internet. Il est possible d'envoyer un courriel à 100 000 internautes avec un clic de souris. L'internet procure aux criminels plusieurs nouveaux moyens pour faire de l'argent. Je reçois moi-même une cinquantaine de pourriels chaque jour. Il suffit qu'une ou deux personnes vulnérables répondent pour que le criminel puisse agir.