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© Photo ReutersL’éruption du Merapi a étouffé le village d’Argomulyo et ses habitants.
Devant le Sardjito Hospital d'Argomulyo, un tout petit établissement avec seulement une dizaine de lits, de longues files de fantômes, les cheveux et les haillons couverts de cendres, attendent en souffrant horriblement. Malheureusement, faute de moyens, le personnel médical ne peut prendre en charge que les patients atteints au visage ou brûlés à plus de 40 %. Les scènes de chaos se multiplient. « C'est effrayant », gémit un homme en lâchant son journal à la une barrée d'un énorme titre : « Le Merapi, ce n'est pas encore fini ». Cela fait bientôt deux semaines que la « montagne de feu » (Merapi en ­javanais) est entrée en action.

Et contrairement aux attentes des ­vulcanologues, les éruptions à répétition n'ont pas réduit la pression qui s'accumule sous le dôme de plasma. Au contraire, celle de vendredi dernier a été la plus puissante, tuant en une seule nuit près d'une centaine de personnes. Argomulyo, un des nombreux villages installés sur les pentes du Merapi, a été entièrement dévasté alors qu'il se trouve à 18 kilomètres du cratère. Ce sont les nuées ardentes, des coulées de gaz et de particules solides, qui ont fait le plus de victimes. Dévalant à plus de 250 km/h avec une température de 500 °C, elles n'ont laissé aucune chance aux habitants, surpris dans leur sommeil. Les survivants ont de graves brûlures. Au total, du mardi 26 octobre au samedi 6 novembre, le Merapi a officiellement fait 138 morts et plusieurs centaines de blessés. Des dizaines de milliers de villageois ont été contraints à l'exil en catastrophe.

Le plus dangereux

Le Merapi est le plus dangereux des 130 volcans en activité d'Indonésie. Situé sur le « cercle de feu » du Pacifique, l'archipel est la première zone volcanique au monde. Ses 235 millions d'habitants ont pris l'habitude de faire avec, d'autant plus que les terres volcaniques sont particulièrement fertiles et bon marché. Plus d'un million d'éleveurs et de cultivateurs vivent aux alentours du Merapi, qui est, selon la légende locale, une « montagne sacrée ». Les évacuer n'a pas été chose facile à mesure que les autorités élargissaient le périmètre de sécurité passant de 10 à 15 puis 20 kilomètres. Entre les grognements annonciateurs de ­nouvelles éruptions, les paysans s'échappent des camps d'infortune dans lesquels ils ont été consignés pour venir ­s'occuper de leur bétail et de leurs champs, s'ils ont eu la chance d'échapper aux pluies de lave, de cendre et autres lapilli (des fragments de roche), sans oublier les terribles lahars, ces coulées de boue qui glissent dans les rivières et ­portent la mort encore plus loin. Présents sur place pour une mission d'étude, des scientifiques de l'Union européenne - qui a promis 1,5 million d'euros d'aide - confiaient, samedi, que la population s'attendait à une « petite » catastrophe. Aujourd'hui, c'est pire que prévu. Les vulcanologues refusent toute anticipation.
A la vue de la quantité phénoménale de matériaux volcaniques rejetés, cette éruption, qui ne donne aucun signe d'essoufflement, pourrait être plus sévère que celle de 1930, qui avait fait 1 400 morts.

Samedi, les victimes de la dernière offensive du Merapi étaient enterrées, comme le veut le rite musulman, au lendemain de leur décès. Certaines n'ont pas pu être identifiées, leurs corps ayant été ravagés par les coulées pyroclastiques. Le même jour, le président Susilo Bambang ­Yudhoyono, qui avait, dès le départ, interrompu son voyage officiel au Vietnam, a fait appel à l'armée pour mieux organiser l'accueil des 200 000 déplacés et construire des hôpitaux de campagne.

L'aéroport de Yogyakarta, la grosse ville universitaire distante de 30 kilomètres, également sous la menace du volcan, a été fermé. Du coup, les secours, notamment médicaux, ne peuvent être acheminés ­depuis la capitale, Jakarta. « A ce stade, rien ne suggère un apaisement dans un avenir proche », commente tristement l'expert Syamsu Rizal. La veille de la première éruption du Merapi, un séisme de magnitude 7,7 frappait l'Indonésie, provoquant un tsunami qui a ravagé les îles Mentawai. Une situation analogue à celle du trop fameux Krakataoa dont l'explosion, en 1883, s'était accompagnée de vagues gigantesques qui firent le tour du monde. L'Indonésie vit depuis toujours au rythme ­implacable des affrontements des plaques tectoniques.