Symbole de la révolution qui a fait tomber Hosni Moubarak en 2011, la place Tahrir, au Caire, est à nouveau investie depuis vendredi par des Egyptiens, hostiles au nouveau régime de Mohamed Morsi, taxé de dictateur. Ce samedi matin, les forces de sécurité ont tiré des gaz lacrymogènes pour disperser les opposants, tandis que Washington et l'Europe expriment leur inquiétude après la décision du chef de l'Etat islamiste de renforcer ses pouvoirs déjà très étendus.

Dans la matinée, une trentaine de tentes étaient installées sur la place Tahrir, des opposants ayant décidé d'observer depuis la veille un sit-in pour protester contre les nouvelles prérogatives de Morsi. De petits groupes de manifestants continuaient d'occuper la place en fin de matinée, après avoir fui un peu plus tôt les gaz lacrymogènes en se réfugiant dans des rues adjacentes. Le trafic était quasiment interrompu sur ce grand carrefour habituellement encombré du centre-ville.

«L'Egypte entre dans une nouvelle révolution car notre intention n'était pas de remplacer un dictateur par un autre», a déclaré un manifestant, Mohammed al-Gamal, en allusion à la révolte populaire qui avait renversé Hosni Moubarak en février 2011.

Les juges en grève, le Conseil suprême dénonce une «attaque sans précédent» contre le pouvoir judiciaire

La plus haute autorité judiciaire d'Egypte a également dénoncé samedi les nouvelles prérogatives du président Mohamed Morsi, alors que les juges d'Alexandrie ont proclamé une grève ouverte.

La «déclaration constitutionnelle» annoncée jeudi par la présidence «est une attaque sans précédent contre l'indépendance du pouvoir judiciaire et ses jugements», a déclaré dans un communiqué le Conseil suprême de la justice à l'issue d'une réunion d'urgence.

Pour sa part, le Club des juges d'Alexandrie, la deuxième ville du pays, ont annoncé une grève ouverte pour dénoncer cette déclaration par laquelle M. Morsi a renforcé considérablement ses pouvoirs.
«Le Club des juges d'Alexandrie annonce la suspension du travail dans tous les tribunaux et les bureaux du procureur dans les provinces d'Alexandrie et Beheira (...) jusqu'à la fin de la crise causée par cette déclaration», a annoncé Mohammed Ezzat al-Agwa, président du Club dans un communiqué.

La veille, des manifestations pro et anti-Morsi ont eu lieu dans plusieurs villes d'Egypte, au lendemain de l'annonce surprise d'une nouvelle «déclaration constitutionnelle» donnant des pouvoirs accrus au président. Des milliers de personnes s'étaient rassemblées place Tahrir à l'appel de personnalités ou de mouvements laïques et libéraux, en criant «Morsi dictateur». Des opposants ont par ailleurs incendié des locaux du parti politique issu des Frères musulmans dans d'autres villes du pays. Une manifestation rivale, aux cris de «Morsi on t'aime» s'était tenue devant le palais présidentiel dans la capitale, en soutien au président qui s'est dit déterminé à assumer ses pouvoirs renforcés annoncés jeudi dans une «déclaration constitutionnelle».

Un président à l'abri du pouvoir judiciaire

Candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi, élu en juin, dispose déjà du pouvoir exécutif mais aussi législatif, l'Assemblée ayant été dissoute avant son élection. Ces nouvelles prérogatives mettent ses décisions à l'abri de recours devant un pouvoir judiciaire avec qui il entretient des relations houleuses. Ces dispositions sont censées durer jusqu'à l'adoption d'une nouvelle Constitution, un processus aujourd'hui enlisé et qui pourrait prendre plusieurs mois.

Le Courant populaire, dirigé par le nationaliste de gauche Hamdeen Sabbahi, troisième de la présidentielle de juin, a appelé à une manifestation de masse mardi pour obtenir que M. Morsi revienne sur ses décisions. D'autres ténors de l'opposition, comme l'ancien chef de la Ligue arabe Amr Moussa et l'ancien chef de l'agence nucléaire de l'ONU Mohamed ElBaradei, ont également dénoncé les mesures prises par M. Morsi, qualifié de «nouveau pharaon».

La communauté internationale inquiète

Américains et Européens expriment eux aussi leurs craintes. Washington a rappelé que «l'une des aspirations de la révolution (de 2011) était de s'assurer que le pouvoir ne serait pas trop concentré entre les mains d'une seule personne ou d'une institution». Le département d'Etat américain a souligné que le renforcement des pouvoirs du président égyptien «suscitait des inquiétudes» et appelé les différentes parties à résoudre leurs différends «par le dialogue démocratique».

L'Union européenne a, de son côté, appelé Morsi à respecter «le processus démocratique» et Paris a estimé que les décisions prises n'allaient pas «dans la bonne direction».

Des organisations de défense des droits de l'Homme donnent elles aussi de la voix. «Les nouveaux pouvoirs annoncés par le président égyptien foulent l'Etat de droit et annoncent une nouvelle ère de répression», affirme Amnesty International dans un communiqué. Pour Freedom House, basée à Washington, ces décisions «étendent les pouvoirs présidentiels au delà de ceux qu'avaient ses prédécesseurs, y compris Moubarak».