Traduit de l'anglais par Mireille Delamarre pour Planète non violence

Map production biological weapons Israël
© Inconnu

« C'est de notoriété publique que plusieurs premiers ministres israéliens d'Ytzhak Shamir à Menachem Begin à Ariel Sharon ont du sang sur les mains et qu'on aurait pu à un moment donné de leur carrière les qualifier de terroristes. Mais cette implication au plus haut niveau de la direction israélienne dans des armes chimiques et biologiques est beaucoup moins connue....L'utilisation d'armes biologiques a ainsi été un instrument de la Nakba une façon de s'assurer que les Palestiniens expulsés ne pourraient pas revenir dans leurs villages d'origine et les repeupler... »

J'ai récemment écrit un post qui racontait deux épisodes de l'histoire israélienne au cours de laquelle l'armée israélienne a eu recours à la guerre biologique contre ses ennemis arabes. Dans un des deux cas Moshe Dayan avait ramené chez lui des tubes contenant des germes du typhus devant être utilisés pour empoisonner le système d'alimentation en eau de la Légion Jordanienne ( au lieu de cela c'est le fils du dirigeant israélien, Assi, qui a été contaminé) et une autre fois lorsque les infiltrés du Palmar ont essayé d'empoisonner l'approvisionnement en eau de Gaza, mais ont été pris et exécutés.

Dans mon post je fais référence à l'unité israélienne de guerre chimique et biologique très sophistiquée à Ness Ziona, qui est connu pour produire les armes ayant servi à empoisonner des cibles du Mossad (entre autres choses). Mais je ne savais pas que cette institution très secrète avait été créée par le 4e président d'Israël, Ephraim Katzir.

Avner Cohen, l'historien israélien le plus réputé sur les programmes d'ADM de sa nation a écrit un article en 2002 dans lequel il rapportait une interview accordée de trés mauvaise grâce par Katzir à la journaliste de Hadashot, Sara Leibovich-Dar, dans lequel il tentait de justifier sa création d'un programme d'ADM. Ci dessous un compte rendu de Cohen qui cite l'article d'origine (les initiales "BW" AB font référence aux armes biologiques).
« En 1993 lors d'une interview extraordinaire accordée à contre coeur à la journaliste Sara Leibovich - Dar du journal israélien Hadashot, Ephraim Katachalsky ( qui plus tard adoptera le nom hébreu Katzir) et Alexandre Keynan ont expliqué les circonstances qui ont conduit à la création du HEMED BEIT.

Katachalsky mis l'accent sur le contexte historique. C'était juste deux ans après que des survivants de l'Holocauste avaient réclamé son aide pour se venger du génocide des Juifs par les Nazis pour empoisonner à grande échelle les réservoirs d'eau des plus grandes villes allemandes. De plus toujours dans le contexte historique de l'époque chacune des plus importantes puissances combattantes de la 2e Guerre Mondiale avait son programme d'AB.

Réfléchissant prés de 45 ans après sur la justification derrière la création de HEMED BEIT Katzir fit remarquer ce qui suit :

"J'ai été impliqué dés le début dans HEMED BEIT. Nous avons planifié diverses activités, pour avoir une idée de ce que les ACB ( Armes Chimiques Biologiques) étaient et comment on pouvait construire un potentiel (dans ce domaine) s'il y avait besoin d'un tel potentiel. Nous avions besoin de nous défendre ( contre de telles armes)...J'ai pensé que nous devions savoir ce qui se passait dans ce domaine. Nous savions que dans des pays voisins d'autres développaient également des AB. Nous avons pensé que des scientifiques devaient contribuer au renforcement de l'état d'Israël." »
En fait le compte rendu rétrospectif est inexact et auto justifiant. En 1948 il n'existait aucune preuve que des pays arabes voisins développaient des AB et HEMED BEIT n'a probablement pas été crée pour des objectifs défensifs.

En fait la défense par Katzir de son travail me rappelle les arguments employés par Edward Teller un opposant participant à la Guerre Froide anti soviétique qui défendait le développement de la bombe hydrogène et d'autres ADM américaines. Les arguments ne sont pas non plus trés éloignés de ceux des généraux israéliens actuellement pour défendre l'utilisation d'armes et de tactiques militaires interdits ou tout du moins condamnés par le Droit International tels le phosphore blanc, les bombes à fragmentation et DIME.( Armes au tungstène qui carbonisent les victimes comme cela a été le cas encore récemment des civils palestiniens tués à Gaza ndlt).

Mais ce qui est inédit concernant le rôle de Katzir c'est que lui, un biophysicien ce soit engagé dans des recherches à but hautement suspect moralement parlant ou utile (un point de vue partagé par le commandant de l'armée israélienne prévu pour HEMED BEIT au moment de sa création et qui ne voulait rien avoir à faire avec cela pour cette raison) soit devenu président d'Israël. C'est de notoriété publique que plusieurs premiers ministres israéliens d'Ytzahak Shamir à Menachem Begin et Ariel Sharon ont du sang sur les mains et qu'on aurait pu à un moment donné de leur carrière les qualifier de terroristes. Mais cette implication au plus haut niveau de la direction israélienne dans des armes chimiques et biologiques est beaucoup moins connue. Ce serait comme si Edward Teller était devenu président des Etats Unis et que sa position politique d'une certaine façon découlait du fait qu'il ait utilisé la science pour à la fois développer la domination stratégique mondiale américaine et introduit des ADM qui peuvent tuer la moitié de l'espèce humaine (ou plus).

Leibovich-Dar a également enquêté sur d'autres incidents au cours desquels Israël a utilisé des armes biologiques contre ses ennemis. Jusqu'à ce que je lise cela je n'étais pas au courant que l'armée israélienne avait empoisonné le système d'alimentation en eau de nombreux villages palestiniens en 1948 le plus important d'entre eux étant celui d'Acre subissant une violente épidémie de typhus quelques jours avant qu'Israël ne conquière la ville en 1948. Ce n'était pas une campagne menée simplement pour provoquer la panique chez les habitants et les pousser à partir mais cela avait pour but « de les empêcher de revenir ». L'utilisation d'armes biologiques a ainsi été un instrument de la Nakba une façon de s'assurer que les Palestiniens expulsés ne pourraient pas revenir dans leurs villages d'origine et les repeupler.

Cohen a découvert des recherches effectuées par un journaliste hollandais prouvant que Ness Ziona a un important département chargé d'étudier les gaz toxiques incapacitant nerveux. Il s'est aussi spécialisé dans les agents chimiques pouvant paralyser des individus pendant un certain temps. De telles armes ont été utilisées régulièrement par le Mossad quand il a kidnappé et transporté en Israël pour les juger des individus d'Eichmann à Morderai Vanunu et des Israéliens qui espionnaient pour le compte de l'ennemi. Cela a été utilisé récemment en 2011 quand des agents du Mossad ont paralysé Dirar Abusisi après l'avoir kidnappé en Ukraine et l'avoir ramené par avion dans un cercueil en Israël.

L'historien israélien note également qu'un avion d'El Al* s'est écrasé alors qu'il décollait de l'aéroport hollandais de Shiphol en 1993. En 1998 le premier ministre de l'époque Benjamin Netanyahou a reconnu que l'avion transportait des « composants chimiques » de gaz sarin. Il a menti en affirmant que cela était importé pour tester des masques à gaz. En fait des tonnes de divers agents chimiques utilisés pour produire du gaz sarin faisaient partie de la cargaison de l'avion et étaient destinés à Ness Ziona pour être utilisés dans des expérimentations de guerre chimique. L'avion a complètement brûlé au contact de l'impact et les habitants dans le voisinage ont souffert pendant de nombreuses années ensuite de conséquences graves pour leur santé.C'est incroyable qu'Israël n'a jamais rendu des comptes pour cet horrible accident qui montre s'il en est besoin le grave danger que ces programmes d'armes chimiques font courir à un monde qui n'est pas au courant. Il y a eu au moins quatre accidents liés à Ness Ziona de 1967 à 2002 qui ont fait au moins quatre morts.

Cohen fait remarquer en connaissance de cause qu'Israël a refusé de ratifier les deux Conventions celle sur les armes chimiques et celle sur les armes biologiques. Les US, écrit-il, ont une liste de douze pays qui ont des armes chimiques offensives ou des programmes d'armes biologiques. Israël n'en fait pas partie mais deux pays ne sont pas nommés je vous laisse deviner lesquels.

Face aux hurlements des pays occidentaux contre les pseudo préparations par le régime d'Assad en Syrie d'armes chimiques contre les rebelles combattants (souvenez vous aussi en 1991 l'indignation contre Saddam Hussein armant ses SCUDS de têtes chimiques ?) il est important de garder à l'esprit les capacités plus sophistiquées d'Israël et qu'il les a utilisées par le passé (et pas seulement en 1948 comme mentionné ci dessus mais aussi dans les assassinats de Khaled Meshal, Ahmous al-Mabouh et éventuellement Yasser Arafat par exemple). Seulement pour cette raison et parce qu'Israël a utilisé volontairement des armes interdites il est important de surveiller ses éventuelles utilisations d'armes chimiques et biologiques.

C'est le cas pour l'Iran. Israël a de nombreuses cibles à la fois des installations et des individus qu'il veut éliminer.Il pourrait être tenter d'utiliser de tels agents dans le cadre d'une attaque israélienne contre l'Iran. Israël n'utilisera probablement pas des armes chimiques ou biologiques les chargeant sur des missiles. Mais il pourrait les utiliser de manière bien plus ciblées et difficile à identifier.

Il y a aussi une autre dimension importante de l'article de Leibovich-Dar sur lequel Cohen insiste. Personne n'a voulu parler de l'utilisation par Israël d'armes biologiques. Cohen note que les archives portant sur le HEMED BEIT sont en permanence scellées et peu ou aucun historien israélien n'a exigé qu'elles soient ouvertes. Le journaliste israélien s'étend un peu plus sur ce point :
« Quiconque qui a eu à faire avec ces activités préfère actuellement rester silencieux. Ce qui a été fait alors avec une profonde conviction et zeloterie est maintenant caché avec honte. Parmi les vivants la plupart préfèrent rester silencieux au dernier moment les téléphones ont été raccrochés quand les gens ont compris ce que cela impliquait. »

« On a pas besoin de discuter de tout ce que nous avons fait à cette époque » a dit Ephraim Katzir.
Heureusement nous avons des historiens et journalistes qui pensent autrement.

Katzir était un interviewé récalcitrant. Après que l'article ait été soumis à la censure de l'armée israélienne ils ont refusé de le publier. Seulement après qu'un appel eut été fait auprès d'un panel sur la censure l'article a été publié. En d'autres termes les dirigeants d'alors de l'armée israélienne ne voulaient pas que l'opinion publique prenne connaissance de Ness Ziona, des capacités d'armement chimique d'Israël et ils ne voulaient pas que soit dévoilé le rôle scientifique de Katzir dans le développement d'ADM.

Des étudiants de l'Holocauste s'interrogent souvent sur jusqu'à quel point les Allemands avaient connaissance de l'Holocauste en cours. Dans le cas des programmes d'ADM d'Israël la question se pose aussi. Les Israéliens (dont des journalistes universitaires dont on pourrait s'attendre à ce qu'ils en discutent) se tiennent à l'écart des questions délicates de sécurité nationale. Cela pose de nombreuses questions morales mais elles sont toutes écartées sous prétexte de sécurité comme si les sujets existentiels prévalaient sur ceux de la morale. Cela permet aux Israéliens d'abandonner le sujet à ceux « qui s'y connaissent mieux » les généraux et les politiciens qui s'en occupent tous à leur place. C'est un pari Faustien mais qui tient depuis les premiers jours de l'état.