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Quelle que soit l'opinion que nous pouvons avoir sur le sieur Fenech, l'ancien président de la Miviludes (mission interministérielle anti-sectes), personne ne peut nier ses talents de comédien, mais nous venons de découvrir que son talent de metteur en scène n'a rien à lui envier.

Ainsi, dès 2010, l'ancien président de la Miviludes qui a fait des sectes apocalyptiques son fond de commerce a annoncé que le rapport annuel de sa mission, consacré uniquement à ce sujet, traiterait du phénomène apocalyptique et n'a pas cessé, depuis 2 ans, de préparer le lancement de son livre Apocalypse, menace imminente ? qui a été publié par Calmann Levy en août 2012. Aucun attaché de presse dans le domaine de l'édition ne pouvait rêver d'un tel battage payé par les citoyens : survol de Bugarach avec l'hélicoptère de la préfecture de l'Aude, réunion à la préfecture de Carcassonne en présence des forces de l'ordre et d'associations spécialisées dans la lutte anti-sectes, publications de milliers d'articles en France et dans le monde entier. En juin 2012, Fenech nouvellement élu député, quittait la Miviludes et terminait la rédaction de son ouvrage puis, dès septembre 2012, il se consacrait au marketing de son livre basé sur la peur. Et cela a marché ! Le gourou Fenech a alors redoublé d'efforts, accordé à nouveau des dizaines d'interviews aux journalistes qui n'ont pas cru un seul instant ses mensonges mais qui les ont répétés comme de dociles perroquets. Ils sont parfaitement rôdés pour ce comportement.

On peut se demander si le pic de Bugarach aurait connu sa notoriété actuelle sans le coup de pouce de la Miviludes, organisme rattaché au premier ministre, qui n'a pas ménagé ses efforts pour alerter et mobiliser les pouvoirs publics sur la dangerosité potentielle de ce site naturel des Corbières : Constructions de bunkers et de tunnels souterrains, stocks de nourriture, vente de maisons à prix d'or, risques de suicides massifs et conférences sur le thème de la fin du monde dans la région. Tout était bon pour affoler autant la population que les pouvoirs publics et justifier les sommes énormes que lui octroient nos gouvernements successifs. Il est vrai que la région est propice aux mystères et légendes. Tout d'abord Bugarach se trouve en pays cathare, haut-lieu de l'extermination des Albigeois, non loin de Monségur où le Graal est supposé être caché, et près de Rennes-le-Château qui abriterait toujours le supposé trésor de l'abbé Saunière. Les journalistes n'ont pas hésité à évoquer l'Apocalypse comme étant une catastrophe, alors que ce mot signifie la « révélation », ce qui est bien différent. En outre, tous ont répété en chœur que les Mayas avaient nommé Bugarach comme un endroit privilégié pour échapper à cette fin du monde Or, premièrement, les Mayas ignorent l'existence même de ce minuscule village ou même la région inconnue pour eux, ensuite les Mayas n'ont JAMAIS parlé de fin DU monde mais juste de la fin d'un cycle de 5 200 ans et du début d'une nouvelle ère accompagnée d'un changement de conscience, la fin D'UN monde qui n'est plus d'actualité et doit changer, quoi qu'il arrive.

Pour sa part, l'actuel président de la Miviludes, Serge Blisko, a, lui aussi, agite le spectre de possibles suicides, collectifs ou individuels, ce qui est paradoxal pour des gens venus spécialement à cet endroit pour survivre théoriquement à ce qu'ils pensaient être la fin du monde. De toute manière, pas de bunkers ni de tunnels souterrains aménagés avec des stocks de nourriture. Quant à la vente de maisons à prix d'or, les maisons sont restées très bon marché par rapport aux prix pratiqués dans la région. Contactés à 8 heures par TF1 News, les gendarmes dépêchés sur place n'ont noté aucun afflux particulier de mystiques ou d'illuminés dans la région : « Tout est calme, rien de spécial à signaler, notre hélicoptère est prêt mais n'a pas décollé non plus ». D'après eux, les plus nombreux étaient des journalistes, plus de 250, une centaine de gendarmes, et 110 habitants ! Seulement quelque centaines de curieux ont attendu en vain l'Apocalypse. Mais la presse n'a cessé de propager la peur. La preuve : la gendarmerie venait d'arrêter deux jeunes gens armés de machettes et d'une batte de baseball, preuves des risques d'emprise mentale opérée par certains groupes. Heureusement, la gendarmerie précisa bien vite que les deux jeunes interpellés un peu plus tôt dans leur voiture sur un barrage filtrant près de Bugarach avaient été laissés libres. Il s'agissait de deux jeunes frères, originaires de la région et inconnus des services de police. Ils avaient pris ces petites machettes pour se frayer un chemin dans la forêt. Toutefois, on ne sait jamais, les gendarmes ont détruit ces armes potentielles. Malgré les gendarmes qui ont ratissé la région et les hordes de journalistes en attente d'un événement, aucun gourou ni aucune secte n'ont pu être trouvés à Bugarach.

Pour Nicolas d'Estienne d'Orves, auteur du Village de la fin du monde, paru chez Grasset en 2012 : « la Miviludes a joué à fond là-dessus pour justifier ses subventions alors qu'il n'y a pas de secte à Bugarach et aux alentours. » Le chasseur de secte lui-même a déclaré théâtralement à Nice-Matin le 3 décembre 2012 qu'il se rendrait sur place le 21 décembre. « Ma place est là-bas, près de ceux qui luttent pour éviter un nouveau drame. J'y vais car c'est ma place. C'est là que je dois être pour apporter le soutien de la représentation nationale au préfet de l'Aude ainsi qu'aux élus locaux et à la population ». Ainsi, pendant 2 ans, le seul Gourou trouvé sur place : Fenech aura manipulé tout le monde autour de cette vaste escroquerie intellectuelle. Même le collectif « Notre-Dame-des-Landes » opposé au projet d'aéroport à Nantes était là, brandissant panneaux et slogans. Le résultat de cette « apocalypse » est un pur produit de notre société de consommation. Cependant, la position que Fenech a utilisée pour faire le marketing de son ouvrage frise le conflit d'intérêt. Sera-t-il inquiété pour cela ? C'est peu probable. Il va probablement s'en tirer avec une nouvelle pirouette, en prétendant que c'est lui qui a permis d'éviter le pire ! Il a aussi profité de la forte présence médiatique pour délivrer son message de lutte contre les sectes et appeler d'autres pays à former des structures gouvernementales pour y faire face. « La Miviludes, reste malheureusement à ce jour une structure unique au monde. Elle s'avère être une grande réussite, mais les sectes n'ont pas de frontière et une mobilisation de tous les pays sur ce sujet préoccupant serait la bienvenue ».

Cet organisme surveille actuellement près de 800 pratiques qu'il apparente à des dérives sectaires, qu'il est incapable d'identifier clairement. « Aujourd'hui des gourous ont su tirer profit de cette pseudo fin du monde, mais au-delà de la pseudo prophétie, la face immergée de l'iceberg est beaucoup plus noire. Il faut penser aux victimes inaudibles de ces sectes, en rupture familiale, professionnelle ou parfois médicale. » On se demande parfois s'il n'est pas totalement aveuglé par son obsession car il semble vraiment ignorer les critiques d'autres pays qui sont bien loin de nous envier sur le sujet. Aurait-il oublié les propos de Konstantin Bendas, vice président de l'Union des chrétiens évangéliques de Russie, qu'il a invité pour lui présenter le modèle français de lutte contre les sectes : « (...) À mon avis, ces gens ont inventé une menace horrible et pour pouvoir lutter contre elle, ils reçoivent des sommes d'argent très importantes. Avec l'argent de l'État, celui des contribuables, la Miviludes cherche un chat noir dans une chambre noire, où il ne se trouve même pas. Fenech met à son crédit sa propre influence sur les structures et organisations anti-sectes dans d'autres pays, y compris en Russie. » Quant au service de presse Roskhve du 18 Juin 2012, il a titré sa publication sur cette visite : « Les antisectes créent le mythe qu'ils veulent combattre avec l'argent de l'État ». Après ces commentaires, aussi lapidaires que celui des membres du Congrès américain qui s'étonnaient et s'inquiétaient il y a quelque temps de voir le pays qui se dit « le pays des Droits de l'Homme et de la Liberté », et surtout de la liberté d'expression, se doter d'organismes qui ressemblent à des milices autoritaires et qui ramènent la France à l'époque de l'inquisition et de la « chasse aux sorcières », nos gouvernants devraient se débarrasser au plus vite de ces individus qui affirment n'importent quoi sans la moindre preuve et déconsidèrent la France, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de notre pays. Le gourou Fenech, spécialiste de la « manipulation mentale » sera-t-il enfin discrédité ?

Il faut comprendre que la « peur envahissante des sectes en France » est sans commune mesure avec l'ampleur réelle du phénomène. Leurs adhérents sont peu nombreux, probablement comprenant moins de 1 % de la population nationale, et les véritables dérives sectaires sont étonnamment rares. Comment alors expliquer cette énorme dépense d'argent public, cet effort administratif et ce talent journalistique déversés pour la cause de la prévention et de la protection du public contre « les ravages des sectes » ? Encore une fois, la montagne a accouché d'une souris. Pour l'instant, le buzz de Bugarach a été un incroyable succès médiatique, mais l'ouvrage de Fenech sur les sectes restera incontestablement un bide bien mérité. Comme le dit le proverbe : « Bien mal acquis ne profite jamais ».