Immigrants au Canada
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Les nouveaux arrivants occupent des emplois inférieurs à leur niveau d'instruction, ce qui se répercute sur leurs revenus, selon une étude de Concordia. Chauffeur de taxi, mais ingénieur dans son pays d'origine, préposée à une station-service anciennement professeure de physique, ou caissier avec une formation de pédiatre - les immigrants occupent souvent des postes aux exigences inférieures à leur niveau d'éducation.

Dans un article récemment publié dans la revue à comité de lecture et libre accès ISRN Economics, Mesbah Sharaf, professeur adjoint au Département de sciences économiques de l'Université Concordia, révèle que deux tiers des immigrés nouvellement arrivés au Canada ont une scolarité supérieure à ce que leur emploi exige. Pourtant, cette situation pourrait être corrigée. Les résultats du Pr Sharaf montrent en effet qu'un immigrant qui maîtrise l'anglais ou le français et qui suit des cours et une formation après son arrivée augmente considérablement ses chances de décrocher un poste à la hauteur de ses compétences.

À l'aide des données de la toute dernière Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada, le Pr Sharaf a mesuré l'écart entre l'emploi et le niveau d'instruction chez les immigrés récemment arrivés au Canada. Il a ainsi constaté que, six mois après leur arrivée, 76,3 pour cent des hommes et 71,8 pour cent des femmes possèdent un niveau d'éducation supérieur aux exigences de leur poste. Quatre ans après, les chiffres baissent légèrement, 70,4 pour cent des hommes et 64,6 pour cent des femmes étant alors surqualifiés. En comparaison, la surqualification touche 44 pour cent des travailleurs nés au Canada.

Le Pr Sharaf explique que « dans la recherche d'un emploi à la hauteur de leur formation, les immigrants se heurtent à des obstacles comme le manque d'expérience professionnelle et de contacts sur le marché du travail canadien. Souvent, ils ne possèdent pas les connaissances linguistiques nécessaires et ne peuvent compter sur les réseaux sociaux pour se trouver un meilleur poste. »

D'autres facteurs expliquent l'écart entre l'emploi et le niveau d'instruction, notamment la non-reconnaissance de l'expérience et des titres acquis à l'étranger, les frais élevés exigés par les associations professionnelles de nombreux métiers réglementés pour obtenir l'agrément, la moindre qualité de l'éducation reçue dans le pays d'origine ainsi que la concurrence des travailleurs nationaux. « Par conséquent, beaucoup d'immigrants n'ont d'autre choix que d'accepter un poste assurant leur subsistance », affirme le Pr Sharaf.

Il constate également que plus le niveau de scolarité d'un immigré récent est élevé, plus il a de chances d'être surqualifié pour l'emploi qu'il occupera au Canada. De fait, souligne le Pr Sharaf, « Pour les immigrants très instruits, le transfert des compétences sur le marché du travail canadien s'avère beaucoup plus difficile que pour ceux moins instruits. »

Par exemple, 90 pour cent des immigrés récents titulaires d'un diplôme de premier cycle et 94 pour cent de ceux titulaires d'une maîtrise sont surqualifiés pour le poste qu'ils occupent au Canada. C'est par ailleurs chez les immigrants détenant un diplôme de dentiste, de médecin, de vétérinaire, d'optométriste ou d'avocat que la fréquence de la surqualification est la plus élevée, soit 96 pour cent. Les immigrés récents qui font partie d'une minorité visible ont également moins de chances de trouver un emploi et plus de chances d'être surqualifiés.

Le Pr Sharaf affirme sans hésiter qu'il y a de l'espoir : « Mes recherches révèlent que l'incidence et l'intensité de la surqualification diminuent au fur et à mesure du séjour des immigrés au Canada. Plus on prolonge son séjour au Canada, plus on a de chances de décrocher un poste à la hauteur de ses compétences. » Les résultats de l'étude indiquent aussi que les cours et la formation après l'immigration accroissent la probabilité d'obtenir un emploi et réduisent celle d'être surqualifié.

Selon le Conference Board du Canada, la surqualification se traduit par la perte de 5 milliards de dollars par année pour l'économie canadienne. Des études montrent en outre que les travailleurs surqualifiés connaissent divers problèmes, dont des taux d'insatisfaction et d'absentéisme élevés, une faible productivité, des troubles de santé, une précarité de l'emploi et des salaires inférieurs. À long terme, la surqualification peut dévaloriser les compétences d'une personne sur le marché du travail si elles se déprécient et deviennent désuètes. Qui plus est, la surqualification peut s'avérer coûteuse pour l'économie, car les ressources en capital humain sont allouées de manière inefficace, ce qui freine la croissance économique.

« Il s'agit d'un problème sérieux pour un pays dont le déficit ne cesse d'augmenter. Le Canada pourrait vraiment stimuler son économie s'il orientait les ressources de manière à combler l'écart entre l'emploi et le niveau d'instruction chez les immigrés récents, de conclure le Pr Sharaf. J'espère que mon constat inspirera de nouvelles politiques propices à l'intégration des immigrants sur le marché du travail. »