Une enquête du Guardian révèle que des agents secrets de la police britannique ont, pendant des années, utilisé des noms d'enfants morts comme pseudonymes pour leurs opérations. Un procédé macabre qui n'a pas éveillé de soupçons.

Pendant 30 ans, de 1968 à 1974, des agents de Scotland Yard infiltrant des groupes d'activistes auraient utilisé comme pseudonymes l'identité de 80 enfants morts, sans que les parents soient consultés et informés. C'est ce qu'affirment les journalistes Paul Lewis et Rob Evans dans une enquête parue dimanche dans le quotidien britannique The Guardian.

Cette pratique classée confidentielle a été créée il y a 40 ans par la police et pourrait concerner plus de 80 enfants. Cette méthode, selon la police, était autrefois utilisée pour apporter plus de crédibilité à l'histoire des agents secrets lors de leurs missions d'espionnage. Certains des policiers auraient passé jusqu'à dix années à se faire passer pour des enfants qui étaient morts, explique le Guardian.

Dans les années 90, cette méthode d'usurpation clandestine de l'identité a été stoppée lorsque les actes de décès ont été informatisés. Le président de la commission parlementaire chargée des affaires intérieures, Keith Vaz, s'est dit choqué par ce procédé qu'il a qualifié d'«horrible»: «Cela ne fera que provoquer une détresse énorme pour les familles qui vont découvrir ce qui s'est passé en ce qui concerne l'identité de leurs enfants morts», a-t-il dit. «C'est absolument scandaleux.»


La police a précisé que cette pratique n'était pas autorisée actuellement mais a annoncé le lancement d'une enquête sur ces arrangements.

Les journalistes ont recueilli le témoignage d'agents qui travaillaient pour cette unité secrète appelée «groupe de manifestation spécial», dissoute en 2008. L'agent «Pete Black», qui avait infiltré un groupe antiraciste, est revenu sur ses sentiments à l'époque de son infiltration dans les années 90. Il se sentait coupable lors de l'anniversaire de la mort de l'enfant de quatre ans dont il avait usurpé l'identité. Black n'a pas hésité à comparer son opération avec un procédé digne de la «Stasi» lorsqu'il a visité la ville natale de l'enfant pour se familiariser avec son environnement et apparaitre convaincant lorsqu'il parlait de son éducation.

Des opérations menées pour «le plus grand bien»

Un autre officier, qui a lui adopté l'identité d'un enfant mort dans un accident de voiture, a parlé des «dilemmes» qu'il ressentait en pensant aux parents, mais a affirmé que ces opérations étaient menées pour le «plus grand bien».

John Dines a, pour sa part, emprunté le nom d'un enfant de huit ans mort d'une leucémie en 1968. Lors de sa mission, il a entretenu une relation de deux ans avec une militante avant de disparaître subitement de sa vie. En voulant retrouver son petit ami disparu, celle-ci découvrit le certificat de naissance de John Barker. Ignorant qu'elle était en fait à la recherche d' «un enfant mort vingt-quatre ans plus tôt», elle s'est dite soulagée qu'elle n'ait finalement pas retrouvée la famille de l'enfant.

Cette affaire, qui fait grand bruit en Grande-Bretagne, risque de relancer la polémique sur l'infiltration de policiers dans des groupes activistes estime le journal. Quinze enquêtes ont déjà été lancées depuis 2011, année où l'espion Mark Kennedy, qui avait infiltré des réseaux d'activistes écologistes, a été démasqué.