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L'ONG Oxfam accuse les banques de spéculer sur la faim dans un rapport qu'elle vient de publier dans le cadre des projets de réforme bancaire. Les accusées se défendent en mettant en avant leurs politiques de limitation de la spéculation alimentaire, voire même la clôture des produits financiers considérés comme les plus « dangereux ».

Le titre du rapport publié par l'ONG Oxfam France résume son propos : « Réforme bancaire : ces banques françaises qui spéculent sur la faim ». Il établit un classement des différentes banques françaises qui spéculent le plus à partir du volume des produits financiers proposés à leurs clients investissant sur les marchés des matières premières. Ce classement place BNP Paribas en tête, devant Natixis (groupe BPCE), la Société Générale, et le Crédit Agricole, mais aussi le groupe d'assurances AXA. Oxfam liste ainsi 18 fonds de spéculation sur lesquels sont investis 2,5 milliards d'euros. « Ces banques proposent à leurs clients des outils financiers destinés à parier sur la faim. Face aux conséquences des flambées des prix alimentaires à répétition, ces groupes doivent mettent fin à leurs activités de spéculation sur les matières premières agricoles » conclut Clara Jamart, d'Oxfam France.

Les établissements bancaires visés ont pris au sérieux le rapport et engagé le dialogue avec Oxfam tout en contestant en grande partie ces accusations. Dans la lettre qu'il a adressée à l'ONG, Jean-Laurent Bonnafé, le Directeur Général de BNP Paribas, commence par rectifier le tir en termes de volumes incriminés. Sur le 1,419 milliard cités par Oxfam, il explique que seuls 411 millions d'euros (soit 0,08 % de la totalité des actifs gérés par la banque) concernent les matières premières agricoles. Il ajoute que cela ne fait pas de sa banque un acteur majeur de ce marché sur lequel elle est présente pour le compte de ses clients. Il rappelle que la banque a, dès 2011, publié une politique visant à « encadrer son activité sur les marchés des matières premières alimentaires essentielles » qui l'avait conduit à fermer deux fonds. Au vu des nouveaux éléments fournis par Oxfam, il s'engage dans le même courrier à fermer à la souscription un nouveau fonds « Parvest World Agriculture » qui est le dernier à être majoritairement exposé aux matières agricoles ainsi qu'un autre fonds indiciel sur l'énergie qui l'est aussi partiellement. Cette annonce a aussitôt entraîné la publication d'un communiqué de victoire d'Oxfam qui considère que sa campagne « Banques : la faim leur profite bien » fait « déjà plier les banques ! » L'exposition médiatique de ladite campagne sur les grands media français n'y est sans doute pas pour rien.

Des fonds fermés à la suite de la campagne d'Oxfam

Le risque de réputation lié à la spéculation alimentaire des banques comme des assurances n'est pas traité à la légère, surtout par celles qui ont déployé des politiques de responsabilité sociale liées à l'exercice de leurs métiers (voir « Quelles politiques de financement pour l'énergie ? »). Crédit Agricole a donc lui aussi annoncé vouloir fermer d'ici le mois d'avril les trois fonds indiciels visés. Quant à AXA, rendez-vous est pris avec Oxfam mais il semble que les chiffres du rapport soient très largement supérieurs à ceux que détiendraient encore le groupe dans une activité dont il a souhaité se retirer en 2012 parce que le risque de réputation lui semblait trop important. Lors du colloque annuel de Novethic en décembre 2012, Laurent Clamagirand, directeur des investissements du groupe AXA, expliquait, par exemple, qu'il avait décidé de mettre fin à son activité d'investissement sur des produits liés aux marchés dérivés des matières premières agricoles parce qu'il était très difficile d'expliquer rationnellement aux non financiers en quoi cette activité pouvait ou non impacter le prix des matières agricoles réelles. « Quand un financier vous déclare qu'il n'est pas directionnel parce qu'il ne parie pas sur la qualité de la récolte de riz paysans mais plutôt sur des inefficiences de marché liées aux composantes d'indices, vous comprenez tout de suite que si c'est vrai c'est difficilement opposable à des tiers, des ONG par exemple. C'est pourquoi nous avons soldé nos positions de plusieurs centaines de millions d'euros. Cela ne faisait pas de nous un acteur important de ce marché mais nous nous nous en sommes de facto retiré

Le groupe AXA souligne qu'il est important de faire le distinguo entre les produits incriminés qui concernent la gestion pour compte de tiers et la gestion pour compte propre de la banque dont est bannie cette activité. Quid des clients particuliers et de la mobilisation de l'opinion publique sur la spéculation alimentaire ? Est-ce un enjeu politique ? Momentanément les lumières sont plutôt braquées sur la traçabilité alimentaire et la composition des plats cuisinés.