Immense hilarité, vaguement indignée, sur les réseaux sociaux, en découvrant les deux Unes de L'Equipe, après un match de foot PSG contre OM. La Une de l'édition parisienne, favorable au club qataro-parisien. Et celle de l'édition marseillaise, consolant le supporter phocéen. Mais comment peut-on ?

Deux Unes de L'equipe pour un même journal
© Inconnu
Sur Twitter, une poignée de journalistes des anciens médias ont défendu le procédé, ne voyant manifestement pas où est le problème. Mais enfin, où est le mal ? Tout le monde fait ça. Tout le monde ? Les hebdos, c'est vrai, sont coutumiers des couvertures régionalisées. « Le vrai pouvoir à Montpellier », « Strasbourg demain », « les dix qui font Le Havre » « ceux qui comptent à Vierzon » : en couverture du Point ou de L'Express, ça en jette au lectorat local, supposé flatté que la presse parisienne, du haut de Sa Parisianitude, s'intéresse à lui.

Mais comment ne pas voir qu'avec la double Une de L'Equipe, on est dans autre chose ? Dans un même événement considéré sous deux jours opposés. Ces deux manchettes n'ont pas pour fonction d'informer, mais de plaire, de consoler, d'offrir au lecteur exactement la caresse qu'il attend. Imagine-t-on, après une même manif, une même grève, le même journal titrer, selon les kiosques et les quartiers, sur son succès ou son échec ? Le même journal soutenir ou cannoner la même réforme gouvernementale, en fonction des points de vente ?

Il faut remercier L'Equipe de cet aveu. Cette double manchette trahit la nature profonde de ce qu'est un journal, ou la presse en général: une entité qui s'efforce de tenir exactement le discours qu'attend son lectorat, ou qui n'en tient aucun quand elle ne connaît pas assez son lectorat. La direction de L'Equipe a raison: un journal affichant en Une la photo de deux sacs à millions de l'équipe qataro-parisienne n'aurait aucune chance de se vendre à Marseille (et vice-versa). Mais ce n'est pas limité à la presse sportive, ni au lectorat des supporters. Que les manchettes du Figaro reconnaissent trop régulièrement des mérites à Hollande, que Libération réévalue à la hausse le bilan de Sarkozy, et on verra leurs ventes plonger, plus vite encore qu'elles ne plongent aujourd'hui. Et nous ? Y échappons-nous ? J'aimerais le croire. Mais comment réagiraient nos chers abonnés, si (pur cas d'école) il nous arrivait de saluer l'honnêteté d'un journal de TF1, ou l'impartialité intrépide d'une interview de Pascale Clark ? Tiens, tentons tout de suite l'expérience: pour avoir courageusement révélé la nature profonde de la presse, donc, oui, merci L'Equipe !