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L'événement est à signaler. Contrairement au guide Michelin, le fameux DSM ne sort pas chaque année. Il a fallu attendre 13 ans pour que soit enfin éditée la nouvelle mouture de ce manuel censé servir d'outil pour diagnostiquer les pathologies mentales. Mais attention, prenons quelques gants. Le mot pathologie est trop fort. La sémantique doit être lisse et l'opinion publique ne doit pas être choquée par les mots. Car en chaque individu sommeil un fou potentiel et donc, une espérance de gain pour les industries habilitées à soigner les malades. Pardon, ce ne sont pas des malades mais des patients affectés par les troubles mentaux. Parmi ceux-ci, le trouble de l'attention et de l'humeur ou alors des deux combinés, est devenu un classique chez l'enfant, surtout aux Etats-Unis qui surveille de plus près un gamin un peu turbulent ou apathique à l'école plutôt que la circulation des armes dans le pays. Les vendeurs de Ritaline peuvent se réjouir, surtout que les gamins âgés de trois ans ne peuvent guère refuser de bouffer ces molécules. Dans le DSM on trouve aussi les troubles bipolaires, les tendances au suicide, les dépressions et toute une série de pathologies diverses.

Dans le DSM V, près de 400 troubles seront répertoriés. Avec quelques spécialités assez exotiques comme l'hypersexualité, qui ressemble à l'addiction sexuelle mais n'en est pas. Ce trouble qui est proposé par les spécialistes pour être intégré dans la version V du manuel caractérise les individus qui passent beaucoup trop de temps dans des activités sexuelles. Pour diverses raisons. Parfois pour combler les effets d'une dépression. L'hypersexualité englobe la masturbation intempestive mais aussi l'acte sexuel répétitif avec des partenaires considérés comme des objets. Non soyez sérieux, je vois dans le coin quelques sourires qui en disent long sur les blagues à deux centimes concernant DSK. Je vous demander d'arrêter de rire, c'est le DSM et non pas le DSK dont il s'agit ! Ces questions sont sérieuses. Figurez-vous que dans ce nouveau DSM sont proposés huit types de troubles définis comme relevant de la défiance et de l'opposition. Il y a le type colérique et agressif, le type vindicatif, le type irritable. Et pour les enfants de moins de cinq ans existe le trouble oppositionnel, diagnostiqué si les effets durent plus de six mois. Ainsi, si votre gamin de quatre refuse depuis un an de manger sa soupe ou manifeste quelque réticence à vouloir aller à l'école, alors il est atteint d'un trouble oppositionnel. Que faire ? Eh bien c'est simple, courez vite chez le psy, il vous proposera une thérapie toute indiquée avec des petites molécules bien utiles.

Inutile de donner plus de détails. Le plus important étant de souligner la controverse qui couve, avec un premier point fâcheux qui est la clause de confidentialité adoptée par les spécialistes ayant rédigé le DSM V. La critique vient de l'intérieur puisque c'est Robert Spitzer, maître d'œuvre en chef du DSM III, qui regrette que l'APA (association des psy américains) ait souhaité cette confidentialité au lieu d'opter pour la transparence. Ce qui altère forcément la crédibilité du manuel clame Spitzer. D'autres points sensibles sont mis en avant, comme l'éventualité de diagnostiquer des fausses épidémies mentales au sein de la population. La fronde est généralisée. D'aucuns mettent en avant les faux diagnostics conduisant à considérer comme un trouble mental ce qui relève de l'expérience humaine. Au bout du compte, selon les évangiles du DSM V, l'homme sain se doit de produire des contours caractériels lisses, parfait, sans aspérité, sans fluctuation. A se demander si on est encore dans le champ de la médecine humaine ou bien du totalitarisme de la norme. Bien évidemment, le spectre du conflit d'intérêt est présent, car beaucoup de ces troubles sont des sources de profits industriels. La recherche est même incitée à trouver des molécules pour soigner les nouveaux troubles répertoriés. Enfin, nombre de rédacteurs du DSM V sont connus pour être rémunérés par des laboratoires pharmaceutiques.

Il y a des siècles, l'homme était considéré comme pécheur, infesté par le mal, pris en charge par l'Eglise. Au 21ème siècle, le mal est devenu le trouble. Les nouveaux prêtres sont les médecins. Pour guérir les troubles, nulle prière ni invocation divine, ni messe assortie d'hostie. Une simple molécule vaut pour exorcisme. Les spécialistes en blouse blanche rêvent d'un monde idéal, sans fluctuation, sans humeur et pensent aussi à la piscine qu'ils construisent dans leur villa cossue ou aux nouvelles berlines de marque allemande.

Ce nouveau DSM divise en fait les spécialistes. La société britannique de psychologie n'est pas avare de critiques. Pointant notamment la médicalisation de la société et l'impact négatif que peut avoir sur le patient le fait de se retrouver catégorisé comme individu troublé, et donc anormal. Le remède finit par créer le mal. Le système industriel du psychisme façonne une société de malades et déploie son arsenal thérapeutique. Pour le dire avec plus de force, ce DSM V mérite d'être placé comme un élément crucial pour débattre des enjeux de civilisation. La science pourrait bien devenir totalitaire. Auquel cas, la bataille opposera les scientifiques et les philosophes. N'oublions pas que la plupart des grands découvreurs et artistes étaient affectés par des troubles d'humeur. C'est ce qui fait la richesse de notre humanité. Supprimer les troubles, c'est dénier à l'homme son essence d'être humain. Regardez l'Histoire. Les systèmes qui ont dénié la nature humaine ou tenté de la forcer dans un cadre normatif ont été les pires totalitarismes. Prochain sujet de débat philosophique : la science est-elle l'antichambre du totalitarisme ?