Traduit de l'anglais par François pour ReOpenNews

Sibel Edmonds, fondatrice de l’association des lanceurs d’alertes (Whistleblowers)
© InconnuSibel Edmonds, fondatrice de l’association des lanceurs d’alertes (Whistleblowers)


Une lanceuse d'alerte déclare : le chef d'al-Qaïda était un contact américain - Le Département d'État a-t-il censuré les révélations du Sunday Times concernant des liens entre les terroristes et le Pentagone ?

Résumé de l'enquête publiée par Nafeez Mosaddeq Ahmed dans le Ceasefire Magazine.

Une lanceuse d'alerte a révélé des informations extraordinaires sur l'existence de liens entre le gouvernement américain, les réseaux terroristes internationaux et le crime organisé.

Sibel Edmonds, une ancienne traductrice du FBI de 42 ans est décrite comme « la personne la plus bâillonnée de toute l'histoire américaine » par l'American Civil Liberties Union [1]. Elle a montré comment le Pentagone, la CIA et le Département d'État américain avaient entretenu des liens étroits avec les militants d'Al-Qaïda jusqu'en 2001, dans un contexte de trafic illégal d'armes et de drogue en Asie centrale.

Elle affirme que Ayman al-Zawahiri, l'actuel chef d'Al-Qaïda et adjoint d'Oussama ben Laden à l'époque, a rencontré à plusieurs reprises des militaires et des responsables du renseignement américains à l'ambassade des États-Unis de Baku, Azerbaïdjan, entre 1997 et 2001, dans le cadre d'une opération connue sous le nom de « Gladio B ».

Selon des journalistes du Sunday Times, cette affirmation ainsi que d'autres révélations de même nature avaient été confirmées par de hauts responsables du Pentagone et du MI6 dans le cadre d'une enquête en quatre volets qui devait paraître en 2008. Les journalistes du Times ont raconté comment cette enquête a été stoppée à mi-parcours de façon inexplicable sous la pression de « groupes d'intérêt » dont les noms n'ont pas été révélés mais qui pourraient avoir des liens avec le Département d'État américain.

En 2002, puis à nouveau en 2004, le gouvernement américain a réduit Edmonds au silence en invoquant une jurisprudence archaïque, le « privilège concernant les secrets d'État » - un pouvoir pratiquement illimité permettant au gouvernement d'annuler une action en justice lorsqu'il estime que celle-ci pourrait conduire à dévoiler des informations sensibles susceptibles d'ébranler la « sécurité nationale ». En s'appuyant sur cette loi, le gouvernement a également cherché à classifier rétroactivement ce qu'Edmonds avait déjà révélé dans les enregistrements publics des auditions réalisées par le Congrès et les instances officielles.

Depuis l'affaire Edmonds, dans l'ère post-11-Septembre, le « privilège concernant la sécurité d'État » a été utilisé à maintes reprises pour protéger le gouvernement des enquêtes de justice concernant les « renditions » [2], la torture, les écoutes électroniques sans mandat, ainsi que les pouvoirs de guerre demandés par le Président Obama.

Grâce à sa maîtrise du Farsi (ndt : langue parlée en Iran), du Turc et de l'Azeri (ndt : langue parlée en Azerbaïdjan), Edmonds avait obtenu un contrat du FBI au bureau de Washington, deux semaines après les attentats du 11-Septembre. Elle était chargée de traduire des informations très sensibles concernant des opérations contre des individus suspectés de terrorisme à l'intérieur et en dehors des États-Unis.

Il y a cinq ans, sur la base du livre écrit par Edmonds, le Sunday Times a révélé qu'un haut responsable du Département d'État figurait sur la liste des agents turcs à Washington et qu'il transmettait des informations nucléaires et militaires ultraconfidentielles. « Il collaborait avec des agents étrangers, contre les intérêts des États-Unis, en leur faisant passer des informations ultraconfidentielles provenant non seulement du Département d'État mais aussi du Pentagone, en échange d'argent et de soutien pour ses ambitions professionnelles et politiques », avait déclaré Edmonds au journal.

Dans les révélations du Sunday Times, Edmonds décrivait une organisation parallèle israélienne coopérant avec les Turcs pour la vente illégale d'armes et les transferts de technologie. Israël et la Turquie faisaient travailler un éventail de sociétés écrans américaines ayant des taupes au sein de la communauté du renseignement américain pour vendre des secrets au plus offrant. Un de ces clients était le Service de Renseignement Pakistanais (ISI) qui a souvent utilisé ses alliés Turc « comme intermédiaire ... car ils avaient moins de chance d'être soupçonnés. » Il semble que ces opérations aient été supervisées par le chef de l'ISI de l'époque, le général Mahmoud Ahmad qui, comme le notait le Times, « fut accusé d'avoir approuvé un virement de 100 000 $ à Mohamed Atta, un des pirates du 11-Septembre, juste avant les attentats. »

Comme l'écrivait le quotidien pakistanais, The News, le 10 septembre 2001, le chef de l'ISI, qui était lié à Al-Qaïda, avait participé à plusieurs « réunions mystérieuses au Pentagone et au Conseil de Sécurité Nationale » cette semaine-là, y compris des réunions avec le directeur de la CIA, Georges Tenet.

Edmonds soutient que l'incapacité de la communauté du renseignement américain à mener à bien les investigations concernant les terroristes qui préparaient les attentats du 11-Septembre était liée à un niveau de corruption élevé. « Ce sont précisément ces terroristes qui étaient endoctrinés par certains alliés clés de l'Amérique », a-t-elle déclaré à Nafeez Mosaddeq Ahmed lors d'une interview réalisée en mars dernier.

La corruption était également un mécanisme clé pour garantir le silence du Congrès lorsque cette stratégie d'endoctrinement a mal tourné et a pris la forme du 11-Septembre. « Des membres de la Chambre des Représentants et du Sénat, Républicains et Démocrates, ont été entendus par les services de contre-espionnage du FBI pour avoir reçu des pots-de-vin de la part d'agents étrangers », dit-elle. Toute cette affaire devait être rendue publique par le Sunday Times après les premières révélations du journal mais, selon Edmonds, le Département d'État américain a exercé des pressions pour étouffer cette histoire.

Une source haut placée au Times a dit à Nafeez Mosaddeq Ahmed que la série était sensée contenir 4 parties, mais a été inexplicablement abandonnée. « Il y avait des rumeurs au bureau » à dit le journaliste, « concernant des pressions exercées par le Département d'État parce que cette histoire aurait pu provoquer un incident diplomatique. ». Le journaliste a décrit d'une manière très énigmatique un « mécanisme éditorial, lié au journal mais n'en faisant pas formellement partie, qui pouvait cependant exercer un contrôle sur les articles lorsque cela était nécessaire, en fonction de certains intérêts ». Quand on lui a demandé de quels intérêts il s'agissait, le journaliste a répondu, « Je ne peux pas en parler. Je ne peux rien dire à ce sujet ».

Edmonds affirme que l'enquête du Times aurait confirmé ses accusations les plus incroyables.

Parmi celles-ci, Edmonds a décrit comment la CIA et le Pentagone avaient réalisé une série d'opérations clandestines d'aide à des réseaux islamistes liés à Oussama ben Laden en Asie Centrale, dans les Balkans et dans le Caucase et ce, jusqu'au 11-Septembre.

Alors qu'il est largement admis que la CIA a aidé les réseaux de ben Laden en Afghanistan durant la guerre froide, le gouvernement américain prétend que ces liens ont été rompus après l'effondrement de l'Union Soviétique en 1989.

Mais, selon Edmonds, cette affirmation est fausse. Elle a confirmé à Nafeez Mosaddeq Ahmed que « non seulement ben Laden, mais aussi plusieurs de ses principaux lieutenants avaient été transportés en direction et en provenance de cette région par les services de renseignement américains entre fin 1990 et 2001, et notamment des personnages importants comme Ayman al-Zawahiri », le bras droit d'Oussama ben Laden qui, depuis la mort de ce dernier, est devenu le nouveau chef d'Al-Qaïda.

« A la fin des années 1990, et jusqu'au 11-Septembre, al-Zawahiri et d'autres moudjahidin rencontraient régulièrement des hauts responsables américains à l'ambassade des États-Unis de Baku pour préparer leurs opérations dans les Balkans », déclare Edmonds. « Ces opérations étaient pilotées de façon indépendante par un service spécial du Pentagone » mais dont le nom n'a pas été révélé par Edmonds. Elle a précisé que « l'enquête des services de contre-espionnage du FBI qui suivaient ces cibles, ainsi que leurs liens avec des officiels américains, était connue sous le nom de « Gladio B » et fut lancée en 1997 ».

Edmonds a déclaré que les opérations conduites par le Pentagone avec les islamistes étaient une extension d'un programme nommé Gladio, mis au jour en Italie et qui faisait partie d'une opération secrète de l'OTAN à l'échelle européenne. Une enquête officielle du parlement italien réalisée dans les années 1990 à confirmé que le MI6 et la CIA avaient constitué un réseau paramilitaire secret de type « stay-behind » [3].

Implantées dans seize pays d'Europe de l'Ouest, ces cellules visaient à combattre une éventuelle invasion soviétique. La plus célèbre de ces cellules, et la première à avoir fait l'objet de révélations, est le réseau italien Gladio qui a perpétré des attentats terroristes dans toute l'Europe de l'ouest, et dont la responsabilité a été attribuée aux communistes.

Alors que la réalité du programme Gladio est historiquement avérée, Edmonds soutient que celui-ci n'a jamais été réellement stoppé mais que le théâtre d'opération a simplement été déplacé de l'Europe vers l'Asie.

La dernière réunion « Gladio » connue entre le Pentagone et l'Europe s'est déroulée au Comité Clandestin Allié (ACC) de l'OTAN à Bruxelles en 1990 [4]. Alors que l'Italie était un point central pour les opérations en Europe, Edmonds a déclaré que la Turquie et l'Azerbaïdjan constituaient les principaux intermédiaires pour les nouvelles opérations « Gladio B » menées en Asie avec des terroristes islamistes.

« En 1997, l'OTAN a demandé à Hosni Moubarak de libérer des militants islamistes affiliés à Ayman al-Zawahiri. Ils ont été transférés en Turquie par le Pentagone pour des missions opérationnelles », déclare Edmonds. « C'est pourquoi, même si le FBI a l'habitude de surveiller les communications diplomatiques de tous les pays, seuls quatre pays furent, bizarrement, exemptés de ce contrôle : le Royaume Uni, la Turquie, l'Azerbaïdjan et la Belgique, le siège de l'OTAN ».

Edmonds ne prétend pas connaître les objectifs des opérations « Gladio B » conduites par le Pentagone mais suggère les possibilités suivantes : faire reculer le pouvoir de la Russie et de la Chine et élargir le champ d'activités criminelles lucratives et notamment le trafic illégal d'armes et de drogue. Loretta Napoeloni, une experte dans le financement du terrorisme, évalue cette économie criminelle à environ 1,5 milliard de dollars, dont la majeure partie « est écoulée dans l'économie des pays de l'ouest avant d'être recyclée aux États-Unis et en Europe » et représente « une part vitale de leur trésorerie ».

La croissance rapide du trafic d'opium sous la tutelle de l'OTAN en Afghanistan n'est, par conséquent, pas une coïncidence, a déclaré Edmonds à Nafeez Mosaddeq Ahmed : « Je sais parfaitement que des avions de l'OTAN livraient régulièrement de l'héroïne en Belgique avant que cette drogue ne parte vers l'Europe et le Royaume-Uni. Ils livraient également de l'héroïne à des centres de distribution à Chicago et dans le New Jersey. La totalité des filières de drogues, d'argent, et de terrorisme en Asie Centrale étaient supervisées par des représentants corrompus du Département d'État, du Pentagone et de la CIA ».

L'enquête du Sunday Times devait révéler de nombreux détails. « Nous avions parlé avec plusieurs représentant du Pentagone en activité qui avaient confirmé l'existence d'opérations américaines d'assistance aux réseaux moudjahidin en Asie Centrale entre les années 1990 et 2001 », déclare la source du Times. « J'avais interviewé un officier du MI6 qui a également confirmé tout cela ».

Un autre journaliste travaillant avec l'équipe d'investigation du Sunday Times avait interviewé un ancien Agent spécial, Dennis Saccher, qui travaille maintenant au bureau du FBI du Colorado. Saccher lui aurait dit que l'histoire d'Edmonds « aurait dû faire la une des journaux » parce que c'était « un scandale bien plus important que le Watergate ».

La biographie d'Edmonds, publiée à peu près à la même époque l'année dernière, montre que lorsqu'elle a cherché à attirer l'attention de ses supérieurs du FBI sur ce qu'elle avait découvert, sa famille a été menacée, et elle a été brutalement congédiée. Finalement, ses récriminations furent examinées et validées par le Bureau de l'Inspecteur Général au Département de la Justice.

D'autres spécialistes du renseignement qui ont conseillé Edmond sur son affaire ont confirmé que tout ceci constitue une conspiration criminelle au cœur du système judiciaire américain. L'agent spécial du FBI, Gilbert Graham, qui a également travaillé au bureau du contre-espionnage de Washington, aurait raconté à Edmond, autour d'une tasse de café, comment « il avait contrôlé, à la demande du Bureau, les antécédents de certains juges fédéraux au début des années 90... Si on trouvait une m***e - des cadavres dans leurs placards - le Département de la Justice gardait ça au chaud pour pouvoir l'utiliser plus tard contre eux ou pour les contraindre à agir comme ils le souhaitaient dans certaines affaires - des affaires comme la votre ».

Le Dr Nafeez Mosaddeq Ahmed est un auteur à succès, un journaliste d'investigation et un spécialiste de sécurité internationale qui écrit pour The Guardian sur la géopolitique des crises économique, énergétique et environnementale.

L'autobiographie de Sibel Edmonds Classified Woman : The Sibel Edmonds Story est disponible chez tous les bons libraires en ligne.

Notes du traducteur

[1] L'union américaine pour les libertés civiles est une importante association américaine basée à New York dont la mission est de défendre et préserver les droits et libertés individuelles garanties à chaque citoyen par la Constitution et les lois des États-Unis.
[2] Rendition : transfert sans contrôle judiciaire vers des pays pratiquant la torture et le meurtre
[3] Dans le cadre de la guerre froide, les cellules stay-behind - littéralement « rester derrière » - étaient des réseaux clandestins coordonnés par l'OTAN.
[4] L'ACC était chargé de la coordination du réseau Gladio en Europe