L'autre jour, alors que j'avais encore passé l'après-midi à traîner sur le marché du chômage, j'ai décidé de me reprendre en main et de devenir auto entrepreneur. Ne me restait plus qu'à choisir une profession.

Champion du monde de Formule 1 ? Non : pas envie qu'on me mette une grenouillère rouge et qu'on m'asperge de champagne. En plus, je ne rentre pas dans les voitures.

Chanteur ? Déjà essayé. Ça a eut payé (mais ça paye plus). Pas facile de choisir.
C'est à ce moment-là que je suis tombé sur l'appel de Cantona à retirer son argent des banques pour foutre la merde. J'ai réfléchi et ça m'a donné une idée... mais une idée plus constructive : et pourquoi est-ce que je ne créerais pas ma propre banque, plutôt ?

Personne enchaînée par la finance (image 3D)
© Inconnu

Je suis donc descendu au bistrot d'en bas pour trouver mes premiers clients. J'ai immédiatement proposé mes services à mes copains Jean-Pierre (celui qui a organisé les attentats du 11 septembre par erreur), et Momo, un peu fatigué parce qu'il fait le nadamar (le contraire du ramadan) depuis déjà trois semaines.

- Mes chers amis, je vous propose solennellement d'être les premiers clients de ma banque.

Momo a tout de suite été emballé par mon idée. Il trouvait ça cool d'être pote avec un banquier. Jean-Pierre était plus circonspect, il m'a demandé :

- Et comment qu'elle s'appelle, ta banque ?

C'est vrai ! Il me fallait un nom de banque, un nom original, un truc international et qui ne manque pas de sel. J'ai dit :

- la Saltin' Bank !

J'étais hyper fier de ma trouvaille. Momo avait l'air ennuyé :

- Le problème c'est que je n'ai pas d'argent à mettre dans ta banque. C'est que ça coûte, la célébration du nadamar ! Un mois entier au bistrot, c'est pas donné.

- Momo, t'es con ou quoi ? Je suis une banque, maintenant, si tu n'as pas d'argent, je t'en prête, hé, banane ! Il faut juste que tu ouvres un compte chez moi ! Comme ça, tu peux finir le nadamar tranquille !

- Ah bon ?

- Tu n'as qu'à mettre 100 € sur ton compte à ma banque et moi, si tu veux, pour t'arranger, je te prête, disons 900 €, ça t'irait ?

- Ah oué, cool ! Et les intérêts ?

- Ah ben oui, il y aura des intérêts, je suis une banque, merde !

Momo me regarda d'un air attendri, heureux qu'un banquier lui fasse suffisamment confiance pour lui prêter 900 €. Je passai à Jean-Pierre et lui dis :

- Et toi, mon Jipé, combien tu pourrais mettre sur ton compte pour m'aider à démarrer ?

- Ben heu, je pourrais peut-être emprunter 1000 € à maman...

- Magnifique ! Et ben moi, pour te remercier, je t'accorderais un prêt de 9000.

Là, les deux me regardèrent d'un air soupçonneux et Jean-Pierre me demanda :

- Dis-donc, où c'est que t'as trouvé 9900 € à nous prêter, toi qu'a jamais un rond.

- Putain ! Les mecs, vous comprenez rien ? Je vous dis que je suis une banque, maintenant !

- Et alors ?

- Et alors c'est très simple, si je suis une banque, quand tu me prêtes 1, moi j'ai le droit de te prêter 9. Ou 20. Ou 33, dans certains cas. Je te fais un chèque et puis c'est bon.

- Avec quel argent ?

- Ben, le vôtre, pardi !

Jean Pierre prit un air exaspéré :

- Hé, je suis peut-être nul en maths mais comment tu peux nous filer 9900 € alors qu'on a mis que 1100 dans ta banque ? Hein ? Tu nous prends pour des caves ?

- Mais parce que je suis une banque, justement !

- Oui mais t'es une banque fauchée ! Comment tu vas nous prêter de l'argent que t'as pas, hein ?

- Oh, les nuls ! Alors vous ne savez même pas qu'une banque n'a pas besoin d'avoir de l'argent pour en prêter ? Je peux inventer de l'argent qui n'existe pas. C'est comme ça, une banque.

- Inventer de l'argent ?

- Ben oui, c'est pour ça que banquier, c'est mieux que chanteur : c'est maître !

- Tu veux dire que ce n'est pas l'Etat qui crée la monnaie ?

- Et ben non : maintenant c'est moi, mon pote ! C'est la bonne combine, les mecs, regardez : vous mettez de l'argent chez moi et hop, je le re-prête en le multipliant par 9. Après, je spécule, je joue votre thune sur les marchés financiers pendant que vous me payez des intérêts... et en plus, si je me plante, hop ! l'Etat me garantit mes pertes. C'est pas beau, la vie ?

Le silence qui suivit me fit comprendre que merde ! j'en avais trop dit : Jean-Pierre regarda Momo d'un œil avide (et Momo regarda Jean-Pierre d'un œil seulement) puis annonça :

- Mon cher Momo, je vais te donner un conseil financier : surtout n'ouvre pas de compte à la Saltin' Bank, c'est des voleurs. Viens plutôt à la John & Peter Intl Bank, je viens juste de l'ouvrir. En plus, si tu viens chez moi, les nouveaux clients ont droit à une bière gratuite.

Et il annonça :

- Patron, une bière !

Et voilà comment je perdis mes premiers clients. C'est aussi ce jour-là que j'appris la règle N°1 du métier de banquier :

Ne jamais dire à personne comment ça marche.

« Il est appréciable que le peuple de cette nation ne comprenne rien au système bancaire et monétaire, car si tel était le cas, je pense que nous serions confrontés à une révolution avant demain matin. »
(C. A. Lindbergh)