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La fracture de l'histoire de l'humanité

Riane Eisler se profile, dans son ouvrage Le Calice et l'Épée, paru en 1987, comme un auteur interdisciplinaire. En effet, elle s'appuie sur des travaux de divers scientifiques, tels que des archéologues, des anthropologues, des physiciens, des chimistes, ... qu'elle semble concilier avec talent.

L'originalité de son ouvrage ne réside pas seulement dans cette approche, mais également dans sa perception de l'histoire de l'humanité, en rupture avec un évolutionnisme classique, puisqu'elle suggère une discontinuité historique importante, notamment dans les relations entre hommes et femmes.

Quand régnait l'harmonie entre les sexes

Riane Eisler a exhumé un passé enfoui où régnait une harmonie au sein du genre humain, entre les moitiés féminine et masculine. A l'instar d'autres scientifiques, elle a mis en évidence des civilisations du paléolithique et du néolithique fonctionnant sur une logique de non domination, en fait, très éloignées du modèle qui prévaut actuellement. Ces sociétés, d'une essence résolument pacifique, partageaient une dévotion pour les valeurs féminines, n'impliquant pas une subordination de l'homme à la femme.

Un virage cataclysmique à la fin du néolithique

Selon Riane Eisler, la brutalité et la violence qui semblent caractériser nos sociétés ne constituent pas un modèle unique dans l'histoire de l'humanité, il est apparu après un basculement qui laissa place à un système social marqué par une culture de domination. Une partie importante de son ouvrage est consacrée à ce virage cataclysmique survenu dès le Ve millénaire avant notre ère. Pour saisir les mécanismes de ce passage qui déterminera les millénaires à venir, Riane Eisler s'appuie sur la théorie de la transformation culturelle, lui permettant, notamment, de mettre en lumière les instants d'incertitude pendant lesquels une société peut basculer vers un modèle alternatif ou perdurer dans un système.

Un renversement des valeurs

Le Calice et l'Épée exerce une séduction, au niveau de son contenu théorique, dans la mesure où il fait montre d'une grande érudition, tout en proposant un schéma explicatif simple, voire simplificateur : un modèle très ancien ayant fonctionné sur des valeurs féminines et un autre, le plus « récent », faisant prévaloir les valeurs masculines ou androcratiques. Le premier semble avoir correspondu à des civilisations accomplies et harmonieuses, propices au développement spirituel et matériel et cela dans un respect profond de la vie. Alors que le second, déchiré par la brutalité, la violence, est en proie à une régression spirituelle et au culte de la mort.

Pour mieux comprendre le monde contemporain

Riane Eisler, auteur féministe engagé, ne s'est pas limitée dans cet ouvrage à une description de ces deux étapes successives, mais a opéré un travail de militante, particulièrement dans son analyse du monde contemporain. Elle perçoit, dans ce dernier, une brèche d'optimisme dans laquelle elle nous incite à nous engouffrer, puisque nous semblons avoir atteint une phase d'incertitude où de nouvelles valeurs féministes, écologistes et pacifistes entrent en rivalité avec celles du système établi. Dans le modèle eislerien associant hommes et femmes dans une harmonie égalitaire, on peut regretter que l'auteur n'ait pas davantage développé les apports masculins qui ne semblent pas niés mais curieusement restent occultés, ce qui a pour conséquence de fragiliser son édifice théorique, auquel on aspire pourtant à croire.

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Riane EISLER, Le Calice et l'Epée, traduit de l'anglais par Eléonore Bakhtadhzé, R. Laffont, Paris, 1989, 302 p.