S'il est si difficile de concevoir un traitement curatif contre le VIH, c'est parce qu'une partie de la population virale se cache dans les cellules en état de latence et échappe aux médicaments. Dans une nouvelle étude, des chercheurs états-uniens ont voulu estimer l'étendue des réservoirs viraux. Leurs résultats sont loin d'être rassurants...

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© C. Goldsmith et al., CDC, DPAprès une trentaine d'années de lutte, le virus du Sida (ici en vert) n'a pas encore été vaincu. Des chercheurs viennent de comprendre l’une des raisons de ces difficultés : les réservoirs rétroviraux sont plus nombreux qu'on le pensait
La recherche sur le Sida est un chemin semé d'embûches. Malgré les progrès et les quelques cas de guérison fonctionnelle annoncés dans les médias, la lutte contre le VIH est encore loin d'être gagnée. Les personnes séropositives peuvent aujourd'hui vivre aussi longtemps que les autres, mais doivent absolument suivre leur traitement toute leur vie. Si elles l'arrêtent, le virus retrouve rapidement le devant de la scène et redevient nocif. Pourquoi ?

Les antiviraux permettent de contrôler la charge virale et rendent le virus indétectable par les techniques de dépistage classiques. Cela ne veut pourtant pas dire qu'il a complètement disparu. Une partie des ADN viraux s'insèrent dans le matériel génétique de certains lymphocytes T et cessent de se répliquer. Grâce à cette stratégie, le VIH devient invisible aux médicaments et attend sournoisement le moment propice pour réapparaître. Les chercheurs du monde entier s'efforcent de trouver un moyen pour éliminer ces réservoirs rétroviraux de l'organisme, mais leurs efforts n'ont malheureusement pas encore été récompensés.

Le virus du Sida, spécialiste du camouflage

Pour mieux combattre un ennemi, il est important de bien le connaître. Avec ce principe à l'esprit, des scientifiques de l'université Johns-Hopkins se sont demandé quelle était l'abondance des virus inactifs, ou provirus, dans l'organisme. Leur étude, publiée dans la revue Cell, a conduit à un résultat inquiétant. Selon eux, les réservoirs du VIH seraient nettement plus importants qu'on le croyait jusqu'ici. « Cela ne veut pas dire que la lutte contre le virus du Sida est impossible, rassure Robert Siliciano, le directeur de ce travail. Nous devons maintenant orienter nos recherches par rapport à cette nouvelle donnée. »

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© R. Dourmashkin, Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0Le VIH (en bleu ciel) infeste principalement les lymphocytes T CD4+ dans lesquels il se multiplie en grand nombre. Les trithérapies antirétrovirales peuvent empêcher cette réplication, mais le virus se cache toujours dans des cellules immunitaires, comme les lymphocytes T mémoire.
L'équipe états-unienne n'est pas la première à s'atteler à cette tâche. Deux approches avaient déjà été utilisées pour déterminer le nombre de provirus présents dans l'organisme. La première a consisté à activer les lymphocytes T afin de forcer la réapparition des virus silencieux. Mais cette stratégie est incertaine, car des provirus potentiellement actifs peuvent rester endormis malgré l'activation. Dans ce cas, le nombre calculé serait sous-estimé.

Dans la seconde, les scientifiques ont compté le nombre de copies d'ADN viral présentes dans les cellules. Cette stratégie permet cette fois-ci de connaître le nombre total de provirus. Cependant, certains d'entre eux ont probablement muté et ne sont plus capables de se réactiver. La démarche donne donc une surestimation de la quantité de provirus actifs. Les deux méthodes d'estimation ont d'ailleurs conduit à des résultats très différents. « Dans les deux cas, il est difficile de savoir quel est la taille réelle du réservoir du VIH », explique Ya-Chi Ho, la principale auteure de l'étude.

Les réservoirs du VIH 60 fois plus importants que prévu

Afin de mieux appréhender le problème, Robert Siliciano et son équipe ont développé une nouvelle stratégie combinant les deux techniques précédemment utilisées. Ils ont tout d'abord stimulé des lymphocytes T pour activer les provirus et se sont penchés sur 213 provirus qui ne se sont pas réveillés. Ils voulaient savoir combien d'entre eux étaient quand même capables de s'activer. Pour cela, ils ont analysé leurs séquences : 188 ADN viraux, soit 88 %, avaient des mutations qui les rendaient incapables de sortir de leur état de latence. En revanche, 25 (12 %) possédaient un matériel génétique intact.

Pour tester la fonctionnalité de ces 25 virus, les chercheurs les ont tout simplement cultivés. « Les virus se sont répliqués admirablement bien, indique Robert Siliciano. Cela suggère qu'ils ont la capacité de se réveiller à tout moment, mais que la méthode d'activation des lymphocytes T n'a pas été assez efficace. » Pour le confirmer, les auteurs ont répété l'expérience en activant les lymphocytes deux fois de suite. Ils ont pu montrer que certains provirus ne se réveillaient que la deuxième fois.

Ces résultats montrent que les réservoirs viraux sont plus conséquents qu'on le pensait. En compilant leurs données, les auteurs estiment que leur taille est 60 fois plus importante que prévu. Pour Robert Siliciano, « c'est une augmentation considérable, et cela accroît énormément les obstacles qui nous séparent d'un moyen de soigner le Sida ». Même si ces résultats sont inquiétants, ils permettent de mieux comprendre la maladie et de s'approcher un peu plus d'un traitement.