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Une résolution adoptée, le 1er octobre 2013, par le Conseil de l'Europe inquiète les responsables juifs et musulmans. Le pasteur Morley réfute leurs arguments dans Réforme.

La circoncision des petits garçons est-elle une atteinte au "droit des enfants à l'intégrité physique" ?

C'est la position adoptée à une large majorité par le Conseil de l'Europe.

La résolution adoptée à une large majorité, le 1er octobre 2013, invite les États européens à « définir clairement les conditions médicales, sanitaires et autres à respecter s'agissant des pratiques qui sont aujourd'hui largement répandues dans certaines communautés religieuses, telles que la circoncision médicalement non justifiée des jeunes garçons ».

Juifs et musulmans s'inquiètent d'une remise en cause de leurs traditions religieuses.

A contrario, le pasteur protestant Jean-Paul Morley, estime dans une tribune publiée, cette semaine, dans Réforme, que l'on pourrait "imaginer une circoncision symbolique".
Une contribution intéressante au débat.

"On peut imaginer une circoncision symbolique"
Par Jean-Paul MORLEY, pasteur de l'Église protestante unie de France.

"Le débat sur la circoncision reprend périodiquement : après le Parlement allemand, c'est le Conseil de l'Europe qui a remis en question la circoncision.

"Les autorités religieuses juives et musulmanes se sont aussitôt accordées pour défendre ce rite. Les autorités chrétiennes, attentives à la liberté de conscience et de religion, semblent unanimes pour s'inquiéter également.

"C'est une compréhensible solidarité des religions face à une intrusion de l'État au cœur de leur foi et de leur pratique. De l'État ou... de la loi ?

"Car une partie de la question posée est là : les religions, au nom de leurs traditions, peuvent-elles faire exception à la loi commune, en particulier les conventions internationales sur les droits de la personne ? Lorsqu'il s'agit de la liberté de conscience et de religion, elles le doivent certainement.

"Mais ces libertés seraient-elles ici fondamentalement contredites ? Imposer la circoncision à un enfant de huit jours ne les contredit-elles pas davantage pour l'enfant ainsi marqué définitivement ?

"Et les arguments du tribunal de Cologne voici quelques mois, et des parlementaires européens aujourd'hui, ne sont-ils pas audibles, quand ils rappellent que « le corps de l'enfant est modifié durablement et de manière irréparable par la circoncision » ?

"Et que, selon la Déclaration des droits de l'enfant, « cette modification est contraire à l'intérêt de l'enfant, qui doit décider plus tard par lui-même de son appartenance religieuse » ?

Examinons les arguments des autorités juives et musulmanes :

- « La Torah prescrit l'ablation du prépuce à huit jours. » Exact. Mais elle prescrit aussi de lapider les homosexuels et les blasphémateurs. Elle autorise l'esclavage. Elle ordonne la remise de toutes les dettes et la restitution gratuite de tous les biens immobiliers tous les 50 ans. Autant de prescriptions parmi d'autres qui ne sont plus appliquées : la religion juive en a-t-elle pour autant perdu son sens ou sa force ?

- « C'est un signe d'alliance avec Dieu qui marque dans la chair notre appartenance au peuple juif. » C'est précisément ce « dans la chair » qui pose problème, parce qu'il remplace la décision de foi et de conscience par une intervention physique imposée et définitive à quelqu'un qui ne peut donner son avis et gardera cette marque toute sa vie.

- L'islam et le judaïsme évoquent volontiers un « acte d'hygiène et de propreté », mais cet argument a sans doute moins de sens aujourd'hui, en particulier dans nos sociétés hautement médicalisées.
Surtout, là n'est pas l'enjeu : il ne s'agit pas de santé mais de marquer dans la chair une appartenance religieuse. Doit-on rappeler que, durant l'Occupation, avoir appris cet argument médical aux petits garçons juifs pour expliquer leur circoncision, les a hélas rarement sauvés ?

- Le droit et la liberté des parents de transmettre leur religion à leurs enfants est évidemment absolu, mais marquer la chair en est-il vraiment le moyen ?
La religion se transmet essentiellement par l'enseignement, la pratique et surtout l'exemple de foi des parents et de l'entourage. L'imam Tareq Oubrou précisait que « toute éducation est une forme de violence » : mais les travaux des pédagogues depuis plus d'un siècle, comme le droit et la pratique dans les sociétés occidentales, nous ont libérés de cette conception.

- Enfin, si l'éducation religieuse constitue un droit fondamental des parents, doit-on pour autant considérer la circoncision comme faisant partie de l'éducation d'un enfant ? Sans donner le choix ? Et si c'était le cas de façon indispensable... qu'en serait-il des filles ? Exclues de cette éducation ? L'absence de circoncision les empêche-t-elles d'appartenir au peuple juif ?

"En réalité, la circoncision fait-elle le juif ou le musulman (lequel des deux, d'ailleurs ?) ou fait-elle surtout le mâle ? À ce sujet, ne peut-on remarquer que la défense de la circoncision comme symbolisant la non-toute-puissance du sexe masculin ne semble pas très efficace : les sociétés où elle se pratique, musulmane ou juive traditionaliste, étant parmi les plus sexistes...

Un enjeu d'appartenance

"Observons en revanche que la réflexion du Conseil de l'Europe, comme celle du tribunal de Cologne avant elle, reprend les mêmes fondements que l'interdiction légale de l'excision (intégrité physique et liberté du choix de l'enfant), même si les conséquences de ces deux gestes sont heureusement sans commune mesure.

"Mais il est vrai que la pratique de la circoncision, comme celle de l'excision, est peut-être moins un enjeu religieux qu'un enjeu d'appartenance à un groupe ou à une catégorie.

"Faut-il pour autant respecter toutes les pratiques culturelles traditionnelles, lorsqu'elles s'opposent aux droits de la personne ou de l'enfant ?

"Ne peut-on considérer qu'une des grandes avancées du siècle précédent est d'avoir fait naître l'un des grands espoirs du nôtre : que ces droits de la personne finissent par prévaloir partout sur les coutumes et les traditions culturelles ?

"Il n'est donc pas interdit de penser que ces députés européens soient des précurseurs. Et qu'un jour toute atteinte à l'intégrité physique d'un enfant sera bannie et même oubliée. Certains pays, et peut-être bientôt la France semble-t-il, interdisent même la fessée ou la gifle...

Réflexion légitime

"Peut-être, un jour, ne sera-t-il pas inconcevable pour les communautés juives et musulmanes d'envisager des cérémonies de circoncision présentant toute la solennité, le rituel et la foi qu'elles ont aujourd'hui, mais en effectuant une circoncision purement symbolique.

"Le Premier Testament, du Lévitique aux Prophètes, n'insiste-t-il pas lui-même sur l'importance de la circoncision du cœur - ou des oreilles ! - , c'est-à-dire la circoncision spirituelle, plutôt que sur celle du prépuce ? Un thème que reprendra l'apôtre Paul dans ses lettres.

"Un peu comme le baptême chrétien, qui remplace le plus souvent la « noyade » originelle par quelques gouttes sur le front. La décision réelle revenant ainsi au jeune, pour le juif au moment de sa Bar Mitzva, ou le musulman au moment de sa confession de foi solennelle, comme chez les chrétiens au moment de la confirmation.

"Ce baptême chrétien, geste purement symbolique mais plein de foi, qui préserve l'absolue liberté de choix du futur adulte, ne nous a pas empêchés de transmettre notre foi, sa pratique et son héritage spirituel, d'ailleurs en grande partie reçu du judaïsme.

"Cette liberté de conscience, qui n'a pas besoin de marque physique, et qui est au cœur de la conviction protestante, ne nous a jamais empêchés de nous identifier dans une filiation et une tradition, de génération en génération.

"La décision du tribunal allemand de Cologne a été invalidée. Elle a apparemment permis au Conseil de l'Europe d'ouvrir plus largement une réflexion devenue légitime."