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Affrontements entre manifestants et forces de l'ordre dans le centre d'Istanbul, vendredi 27 décembre. | AP/Emrah Gurel
Des manifestants réclamant la démission du premier ministre, Tayyip Recep Erdogan, ont affronté, vendredi 27 décembre, la police antiémeute aux abords de la place Taksim, à Istanbul, ainsi que dans le centre d'Ankara. Les forces de l'ordre sont intervenues en soirée dans ces deux villes pour disperser, avec des canons à eau et des gaz lacrymogènes, des milliers de personnes venues dénoncer la corruption du gouvernement islamo-conservateur, sur fond de dégringolade de la monnaie et de la Bourse turques.

Au moins deux manifestants ont été blessés sur la place Taksim et évacués par des ambulances. Après plusieurs heures d'échauffourées, la place avait retrouvé son calme vers minuit (23 heures à Paris). D'importants effectifs de police étaient toujours déployés dans le quartier, alors que les équipes de nettoyage de la ville démantelaient les dernières barricades et effaçaient les traces des incidents. Selon le barreau d'Istanbul, au moins 31 personnes ont été interpellées par la police vendredi soir.

Dans le cadre d'une enquête menée en secret depuis plusieurs mois, la police a procédé le 17 décembre à l'arrestation de dizaines de personnes, parmi lesquelles figurent les fils de trois ministres. Il s'agit d'un revers de taille pour Recep Tayyip Erdogan, qui fait face à un vaste scandale de corruption. Le scandale, d'une ampleur sans précédent depuis l'arrivée de M. Erdogan aux affaires, il y a dix ans, a donné lieu mercredi à un important remaniement ministériel et alimente la rumeur d'élections législatives anticipées en 2014. L'affaire a pris plus récemment une tournure embarrassante sur le plan personnel pour le chef du gouvernement, car la presse a annoncé cette semaine que la justice souhaitait entendre son fils Bilal en tant que témoin. Vendredi en fin de journée, le premier ministre s'est fait acclamer par quelques milliers de partisans à l'aéroport d'Istanbul, où il a atterri après une tournée dans le pays.

DÉMISSION DE TROIS DÉPUTÉS

De plus, trois députés du Parti pour la justice et le développement (AKP), la formation de Recep Tayyip Erdogan, ont démissionné vendredi, et l'un d'eux a dénoncé une « attitude dominante et arrogante » du parti conservateur islamiste. Le gouvernement, qui nie toute malversation, parle d'un complot orchestré de l'étranger.

Jeudi, un procureur chargé de l'enquête avait fait savoir qu'il avait été dessaisi du dossier. Selon lui, l'appareil judiciaire a fait l'objet de « pressions directes » et de hauts responsables de la police ont permis à des suspects d'échapper à la justice. Le parquet a réagi en assurant que le magistrat avait été dessaisi pour avoir violé le secret de l'instruction. Il lui reproche en outre de ne pas avoir informé sa hiérarchie des progrès de l'enquête en temps voulu.

Quelque soixante-dix responsables de la police ont eux été limogés et une disposition imposant aux membres des forces de l'ordre d'informer leurs supérieurs de l'état de leur enquête sur cette affaire avait été adoptée le 21 décembre, puis rejetée vendredi par le Conseil d'Etat.

Les initiatives de l'exécutif pour mettre la police au pas ont attisé les griefs d'une partie de l'opinion qui accuse le chef du gouvernement de dérive autoritaire et qui s'est largement mobilisée au printemps et cet été. Joignant sa voix au concert de critiques, le Haut Conseil de la magistrature a jugé vendredi que la disposition rejetée par le Conseil d'Etat constituait une « violation manifeste du principe de séparation des pouvoirs et de la Constitution », ce qui lui a valu une vive réaction de Recep Tayyip Erdogan : « Le Haut Conseil de la magistrature a commis un crime, a-t-il lancé lors d'un discours prononcé à l'université Sakarya, à Adapazan. Maintenant, je me demande qui va juger ce conseil ? Si j'en avais le pouvoir, je le ferais sur le champ. »