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Claude Rich et Zabou Breitman dans "Promotion Canapé".
Les chiffres du chômage n'incitent pas à la fronde envers les employeurs. Certains, peu scrupuleux, en profitent pour multiplier les avances douteuses envers leurs collaboratrices ou les candidates à un emploi, de la simple allusion au harcèlement sexuel avéré. Avec un sentiment d'impunité, nourri par leur statut et le marasme économique. Malheureusement, peu de victimes portent plainte. Témoignages.

« Je connais pas mal de monde que votre CV intéresserait. Allons dîner, nous verrons ça de plus près... »Non, ce n'est pas la réplique d'un film mais la proposition d'un dirigeant à une collaboratrice potentielle. Al'heure du chômage de masse, conserver son emploi, savoir se faire recommander, cela revient souvent à être soutenu, choisi, aidé. Mais parfois aussi désiré, manipulé, possédé... « Des indices laissent penser qu'il existe une corrélation entre la crise et certains cas de harcèlement sexuel », avance Marylin Baldeck, secrétaire générale de l'Association européenne des violences faites aux femmes au travail (AVFT). « Je ne m'avancerais pas sur une corrélation chiffrée, car elle est impossible à mesurer, en revanche, il est très clair que le discours des victimes a changé. Cela fait onze ans que je travaille à l'AVFT et j'ai pu noter une nette différence entre les demandes des victimes en période de prospérité et en période de crise. Avant, les femmes sollicitaient un accompagnement pour quitter leur emploi dignement et repartir avec des indemnités. Aujourd'hui, elles nous demandent comment garder leur emploi malgré la situation de harcèlement. »

La peur de perdre son emploi représente une véritable aubaine pour les harceleurs qui chassent en fonction des zones de fragilité qu'ils repèrent chez leurs victimes. Dans les secteurs qui recrutent, les femmes victimes de harcèlement ont davantage la possibilité de changer de travail.

« Depuis plusieurs années, aucune infirmière n'est venue dénoncer un cas de harcèlement à l'AVFT, explique Marylin Baldeck. Mais aujourd'hui, une infirmière qui démissionne sait qu'elle retrouvera du travail, ce qui est loin d'être le cas pour d'autres métiers. »
Dans les secteurs plus touchés par la crise, les femmes essaieraient donc de tenir bon pour garder leur emploi. C'est ce qu'a fait Constance, ancienne salariée d'une société de production : « je travaillais depuis trois ans dans la société, lorsque mon supérieur hiérarchique a divorcé : devant régler à son ex-femme une pension conséquente, il s'est mis en tête de lui trouver un travail afin d'alléger ladite pension. Il a commencé par me demander de l'aider à lui trouver un emploi, puis il a changé de tactique, jouant de sa séduction, n'hésitant pas à me caresser le bras. La situation est rapidement devenue invivable, mais je voulais tenir bon. Il s'est débarrassé de moi en me licenciant, pour mettre son ex-femme au poste que j'occupais. » Aujourd'hui, Constante est intermittente, à la recherche d'un emploi stable.

Sa main a glissé sur la mienne

Si 80% des harceleurs sont des supérieurs hiérarchiques, il n'est pas rare que des clients jouent aussi à ce jeu-là. « En déplacement, un prospect me propose de venir à son hôtel boire un verre », raconte Pauline, commerciale dans la bureautique. « Je refuse poliment, il insiste avec un dîner que je décline, lui faisant comprendre que j'ai quelqu'un dans ma vie. La semaine suivante, de retour à Paris, je finis par passer à son bureau afin de lui parler de notre affaire en cours. Il s'est mis à me faire un discours sur la fidélité. J'ai esquivé le sujet. Vexé, il m'a tout simplement mise dehors en disant que mes copieurs ne l'intéressaient plus. »

Autres proies faciles en ces temps de crise : les chercheuses d'emploi. Au chômage depuis deux ans, Delphine rencontre « un homme très bien placé qui lui promet de la mettre en relation avec les bonnes personnes ». Comprenant rapidement qu'elle devait consentir à une relation sexuelle pour qu'il honore sa promesse, elle a préféré couper le lien. Mais elle avoue s'être parfois demandé si elle ne devait pas céder « juste cette fois-ci pour retrouver un travail ». Elle sait que « sans la pression du chômage, cette question ne se serait même pas posée ».

Annabelle a, quant à elle, expérimenté les réseaux sociaux : « J'ai envoyé un message au directeur du service souhaité. Il m'a donné rendez-vous quelques jours après dans un café. J'ai préparé mon entretien pendant des heures. Je m'y suis rendue avec CV, documents et publications personnelles. Aucune proposition de travail concrète n'en a découlé, seulement un second rendez-vous une semaine après, dans un autre café. Il a commandé du champagne, s'est mis à parler de choses et d'autres, de ses enfants, etc. L'heure tournait, deuxième coupe, sa main a glissé sur la mienne. J'ai pris mes affaires et suis partie. Je voulais juste un job, pas un amant, ni un ami Facebook. »

Des situations peu dénoncées

Parfois, la femme soumise à la pression du harceleur cède. C'est ainsi que Mathilde a décidé de rentrer dans le jeu d'un homme qui pouvait la présenter à un futur employeur. « En l'occurrence, il a tenu parole, j'ai été présentée et recrutée. Mais, quelque temps après, il s'est présenté à moi comme en terrain conquis, me faisant comprendre que puisque j'avais eu le job, j'étais devenue sa chose. Je me suis sentie vraiment mal, dégoutée. J'ai refusé de céder une seconde fois, mais il a fallu beaucoup de temps pour qu'il accepte de rétablir une distance entre nous. »

Les victimes doivent donc jouer avec ces chantages et s'efforcer de ne pas en subir les dommages. Exercice compliqué et probablement pénalisé en cas de résistance. Elles le savent bien, alors, selon leurs consciences et situations, elles choisiront d'accepter ou pas. Ces manipulations oppressantes, malsaines, sont porteuses de fortes conséquences, intimes et sociales. Chez celles qui subissent cette pression au long terme, les impacts sont réels : « on compte nombre de dépressions, d'hospitalisations et parfois de tentatives de suicide », regrette Marylin Baldeck.

Les chiffres ou estimations de cette maltraitance sont bien difficiles à avancer. Ce qui est malheureusement logique étant donné la forme même de ces chantages sexuels : parfois ponctuels, souvent sans témoin, difficiles à dénoncer (parmi les quatre femmes ayant témoigné, aucune n'a déposé de saisine). Comme le souligne Marylin Baldeck, « en matière de harcèlement, c'est de la pauvreté intellectuelle de s'arrêter aux chiffres. Pour les victimes, moins elles portent plainte, plus elles ont l'impression de pouvoir tourner rapidement une page. Quand elles le font, c'est qu'elles ont déjà essayé toutes les autres stratégies ou recours. »