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La Nef des fous de Jérôme Bosch, exposé au musée du Louvre à Paris.
On connaît le tableau de Jérôme Bosch "La nef des fous". Il illustre cette pratique commune au Moyen-Age de se débarrasser des fous en les embarquant sur un bateau, le navire dérivait le long du fleuve vers un autre lieu, une autre ville éloignée de préférence. Bref on les envoyait ailleurs.

Durant l'année 2013, plus de 1500 patients psychiatriques de l'état du Nevada ont été placés dans un autobus Greyhound avec un billet en aller simple pour des destinations vers différents autres états. On ne leur demandait pas leur avis ! Un tiers a été envoyé en Californie par exemple. Dans tous les cas, les patients étaient livrés à eux-mêmes, sans traitement, sans dossier médical et placés dans un autobus pour aller au loin. Un article récent de l'Université de Stanford de Smita Das s'en fait l'écho (1). Il stigmatise le fait de se débarrasser des patients psychiatriques en les envoyant à distance, pratique barbare dérivée du Moyen-Age, ou en les laissant sans soins ou sans réhabilitation psycho-sociale.

Or cette pratique est dévoilée au moment même où un éditorialiste du New York Times, Nicholas Kristof (2) souligne une problématique régulièrement négligée: celle de la santé mentale. Un quart des adultes américains souffre d'un diagnostic de trouble mental, le plus fréquent étant la dépression mais on trouve des schizophrénies, des troubles du comportement alimentaire ou des états de stress post-traumatique. Kristof insiste sur un code de silence autour de ces thématiques. Bien souvent elles n'apparaissent dans les médias que dans des faits divers ou sous l'angle de la dangerosité.

Toutes les familles connaissent un parent dépressif, un enfant présentant des troubles du comportement alimentaire, un cousin schizophrène ou une victime d'un traumatisme psychique. Il y a donc un vrai paradoxe. Les troubles mentaux représentent la première cause de handicap dans le monde. A eux seuls, ils expliquent 23% de toutes les causes de handicap généré par des maladies non mortelles. Il existe une véritable omerta.

Elle s'exprime aussi bien par le fait de les passer sous silence, de faire des coupes financières drastiques dans les budgets de la psychiatrie, de ne parler de la thématique de la santé mentale qu'au travers des faits divers et finalement, d'assurer un soin moins spécifique et moins qualifié dans de très nombreux pays du monde comparé à d'autres pathologies.

La thérapie par l'autobus définit de façon inacceptable une stigmatisation et un rejet ; la finalité est de se débarrasser des patients pour les mettre ailleurs. Cette sous médicalisation s'exprime dans d'autres pays en confinant les malades psychiatriques dans des lieux indignes, en ne reconnaissant pas leur maladie, en ne mettant pas à disposition des traitements médicamenteux ou des dispositifs de réhabilitation pour les soigner.

Des thérapeutiques innovantes existent, antidépresseurs, psychothérapies focalisées, stimulation magnétique transcranienne , des dispositifs de soins et de réhabilitation modernes sont possibles comme les centres de thérapie brèves. Des recherches passionnantes se mènent sur l'effet sur le cerveau des psychothérapies ou la compréhension des hallucinations .Mais dans bien des pays y compris très développés, le Moyen-Age reste à notre porte...

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(1)Das S , Fromont S.C , Prochaska J.J . Bus Therapy, A problematic practice in Psychiatry. JAMA Psychiatry, November 2013, 70, 11, pp 1127-1128
(2) Kristof N, First up, Mental illness .Next topic is up to you .The New York Times, Sunday review, January 5, 2014, page SR11