L'étude la plus complète jamais faite auparavant révèle que les plus grands carnivores du monde sont des éléments clé de nos écosystèmes. Ils permettent entre autres la régulation des espèces de faune et de flore mais également de préserver la bonne santé des troupeaux. Malheureusement, ils sont en voie de disparition...

Lionne et éléphant
© C. Magdelaine/Notre-planete.info
Science, une revue scientifique américaine à renommée internationale, a publié, jeudi 9 janvier 2014, l'étude la plus complète à ce jour du statut et des effets écologiques des plus grands carnivores du monde.

Cette équipe internationale et pluridisciplinaire de chercheurs essaie, à travers cette étude, d'explorer « comment les carnivores régulent les structures et le fonctionnement des écosystèmes et ce qu'il se passe quand ils sont perdus », explique John Robinson, l'un des chercheurs, qui est par ailleurs également le vice-président exécutif de la société pour la conservation de la faune sauvage (WCS). « Pour beaucoup, ce sera une révélation et nous espérons apporter un changement dans les attitudes et une appréciation plus profonde du rôle de ces espèces clé ».

Les mammifères carnivores Ce sont des mammifères qui, en principe, ne mangent que de la viande. Cependant, certains sont omnivores, et même herbivores, comme le célèbre panda. Les carnivores sont répartis sur plusieurs familles :

Canifornia (caniformes)
Canidés
Mustélidés
Procyonidés
Ursidés
Otariidés
Odobénidés
Phocidés

Feliformia (feliformes)
Félidés
Viverridés
Herpedtidés
Hyénidés
Eupléridés

En gras : familles d'où proviennent les plus grands carnivores du monde.

Sur trente et un plus grands mammifères du monde (d'un poids adulte d'au moins 15 kilos[1] ) appartenant à l'ordre des carnivores, dix-neuf d'entre eux (61%) sont classés comme « menacés » par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et dix-sept occupent aujourd'hui une aire réduite de plus de moitié par rapport à leur territoire ancestral. On observe chez la plupart des mammifères (77%) des déclins drastiques de la population alors que l'on commence seulement à se rendre compte de leur impact réel sur les écosystèmes.
« Globalement, nous sommes en train de perdre nos grands carnivores, constate le premier auteur de l'étude, William Ripple, professeur au département des écosystèmes forestiers et de la société de l'Université de l'Oregon. Et, ironie du sort, ils disparaissent précisément lorsque nous prenons conscience de leur importance écologique. »
Les principales causes de disparition des carnivores

Principales sources de disparition des carnivores
© InconnuNiveaux d'atteinte des prédateurs en fonction des principales causes de leur disparition. En rouge : fort impact, en vert : impact limité. En gris : absence de données ou impossible à évaluer vu le peu de carnivores encore présents
La perte d'habitat et la fragmentation des espaces sont dus au défrichement des espaces naturels à cause de l'urbanisation, l'agriculture, et la multiplication des infrastructures de communication (routes, chemin de fer...) qui cloisonnent les espaces où habitent les grands carnivores, créant des barrières entre et parmi une espèce.

La persécution par l'abattage (pièges ou chasse) est dans certains cas renforcé par des subventions du gouvernement pour éliminer ou réduire une population en réponse à une menace perçue ou réelle aux activités pastorales et agricoles (comme c'est le cas de la chasse au loup ou au renard en France).


L'utilisation des carnivores pour les ressources qu'ils offrent est en grande partie responsable de la décimation des espèces. Par exemple, l'utilisation de parties de leurs corps en médecine traditionnelle, leur fourrure et leur viande, le sport qu'ils permettent lors de la chasse, leur vente à des ménageries ou zoos.

L'épuisement des proies dont les carnivores se nourrissent, souvent dû à la chasse, la pollution, un habitat réduit et d'autres facteurs, réduisent l'apport alimentaire de base des grands carnivores.

Les bénéfices des grands carnivores sur les écosystèmes

Les services écosystémiques sont des services que la nature fournis de manière gratuite, comme la pollinisation, en déclin. Les carnivores en fournissent de nombreux comme le stockage du carbone pour amortir les changements climatiques, le développement et le rétablissement de la biodiversité, et même la régulation des populations d'autres espèces animales. Ainsi, comme on peut l'imaginer, les carnivores, en chassant et tuant des proies en nombre suffisant pour satisfaire un appétit digne d'un être de leur taille, impactent leur écosystème de manière importante, et régulent la population de leurs proies. Ce que l'on n'imagine pas, c'est à quel point les carnivores impactent leur environnement.

Tourisme

Grâce à leur nature emblématique et charismatique, les grands carnivores procurent des avantages économiques directs aux populations locales. En effet, de nombreux touristes sont attirés par l'espoir de photographier ces grands prédateurs qu'ils n'aperçoivent que rarement.

Le stockage du carbone

En limitant le nombre de proies, souvent herbivores, les carnivores permettent ainsi à la végétation de se développer, des plantes qui absorbent et stockent le CO2 par nature. La conservation et restauration de grands carnivores pourrait ainsi inverser le déclin de la biomasse végétale. La restauration des loutres de mer en Alaska permet de réduire les populations d'oursins qui permettent à leur tour l'épanouissement du varech et ainsi le stockage de 4,4 à 8,7 Gt de carbone pour une valeur de 205 millions de dollars. En France, par exemple, dans certaines zones, la prolifération des sangliers et des cerfs empêche la régénération de la végétation : les forêts se meurent, incapables de se régénérer sans les loups tant redoutés. Ainsi, en réduisant le nombre d'herbivores, les plantes ont plus de chances et de temps pour se développer, assurant une plus grande biodiversité.

Des évolutions constantes encouragées par la prédation

Indirectement, la prédation est également à l'origine d'évolutions dans les comportements des autres espèces animales. Afin d'être moins vulnérables, celles-ci changent leur comportement, comme leur manière de se nourrir, les sources de nourriture utilisés, la taille des troupeaux ou les horaires d'activité.

La régulation des espèces directement et indirectement liées aux prédateurs

Nous savons que les carnivores impactent leurs proies, souvent les gros herbivores. Cependant, la prédation peut causer des effets indirects qui se propagent à travers les niveaux trophiques, vers le bas, affectant une faune et une flore qui peuvent sembler écologiquement éloignés du carnivore. En réduisant l'abondance numérique d'une proie dominante dans l'écosystème, ou en changeant son comportement, les carnivores parviennent à ériger des « frontières » qui permettent aux concurrents les plus faibles de persister dans l'environnement. A titre d'exemple, en 1999, des chercheurs américains ont observé que, 9 mois après l'enlèvement des coyotes dans une région du Texas, la diversité des espèces de rongeurs avait, contrairement aux idées reçues, largement diminué par rapport aux zones où les coyotes étaient encore présents.

La réduction des maladies et malformations génétiques par le choix des proies

Lorsque les grands carnivores choisissent leurs proies, ils choisissent les plus faibles, les malades, celles qui ne peuvent suivre la meute. De cette manière, ils empêchent les épidémies, et les malformations de se propager dans les générations, ainsi les populations animales conservent un matériel génétique sain. Dans le Parc National Badlands, aux Etats Unis, des bisons de la réserve ont été observés avec « des sabots déformés ou des portions de jambes manquantes, explique Joel Berger, l'un des scientifiques de l'étude. Originellement, ces bisons auraient été sélectionnés par les loups, ce qui aurait contribué à améliorer la santé générale du troupeau. Aujourd'hui, sans loups, ces bisons déformés survivent et se reproduisent. Ce n'est pas une bonne méthode pour conserver des écosystèmes sains ».

Bénéfices pour les troupeaux d'élevage

Grâce à la prédation, les carnivores réduisent la compétition entre le bétail et les herbivores sauvages. Les troupeaux ont ainsi accès à une nourriture variée, durable et en quantité suffisante. Bien sûr il y a toujours les couts directs liés aux pertes de bétail, mais au final, le coût du maintien de l'équilibre naturel est bien plus élevé que le coût des attaques des prédateurs.

La disparition des grands carnivores : un futur inquiétant

Ces résultats nous montrent à quel point il est important d'apprendre à coexister avec les prédateurs. Ils fournissent de nombreux services aux écosystèmes qui les abritent et sans eux les maillons des chaines alimentaires sont irréversiblement transformées au point que dans certains écosystèmes, des espèces invasives prennent le dessus et déséquilibrent les milieux.

Car il ne faut pas oublier que les espèces indigènes ou introduites sont moins susceptibles de devenir envahissantes dans des écosystèmes où les interdépendances entre les maillons des chaines alimentaires, restent intactes ! La perte de certaines espèces animales pourrait augmenter le taux de désertification et ainsi accentuer les changements climatiques. Il ne faut pas oublier qu'on en sait encore très peu sur leur rôle et que leur disparition pourrait entraîner des surprises d'envergure...

Notes

Bien que le rôle des petits carnivores soit au moins aussi important que celui des grands carnivores, seuls les carnivores de plus de 15kg sont considérés dans l'étude.

Sources et références

Large carnivore initiative in Europe
Rewilding institute
Le déclin des grands carnivores bouleverse les écosystèmes, Pierre Le Hir
Status and Ecological Effects of the World's Largest Carnivores, William J. Ripple et al. Science 10 January 2014: Vol. 343 no. 6167 DOI: 10.1126/science.1241484
The Role of Top Carnivores in Regulating Terrestrial Ecosystems
The Importance of Large Carnivores to Healthy Ecosystems - Endangered Species
The absence of top predators appears to lead inexorably to ecosystem simplification accompanied by a rush of extinctions ; John Terborgh et al. in Continental Conservation

Source : http://www.notre-planete.info/actualites/3935-disparition-mammiferes-carnivores