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Dernière en date, la tempête Ulla a fait un mort et laisse encore des dizaines de milliers de foyers sans électricité. Et ça fait deux mois que ça dure !

Déjà les pieds dans l'eau, la Bretagne et les Bretons ont affronté la tempête Ulla, la plus forte de l'hiver, selon Météo-France. Ce samedi, elle quittait progressivement la Bretagne et le Cotentin, et se dirigeait vers la mer du Nord, après avoir fait un mort sur un paquebot et laissé encore 90 000 foyers sans électricité en fin de matinée.

Voilà maintenant bientôt deux mois que ça dure. Avec la même litanie de maisons inondées, de routes coupées, de meubles qu'il faut surélever, de commerces dévastés... Autant dire que dans la région, où l'on n'arrête pas d'éponger pour recommencer quelques jours plus tard, le ras-le-bol et la lassitude sont à leur comble. "Nous avons fait appel à la Croix-Rouge pour apporter un soutien psychologique aux habitants les plus touchés", relate Matthieu Prigent, à la mairie de Quimperlé, l'une des villes les plus affectées par les inondations de ces dernières semaines. Ce n'est pas tant le phénomène des inondations lui-même qui est le plus difficile à vivre. On y est habitués. C'est surtout leur répétition".

Depuis le 23 décembre, tous les services de secours et de sécurité civile de la région, pompiers, gendarmerie, tout comme le personnel communal, sont sur le pied de guerre. Mais, s'ils peuvent parer au plus pressé, installer des barrages, reloger certaines familles, ils restent impuissants face à la montée des eaux. À Quimperlé, où les rues se sont transformées certains jours en torrents d'eau boueuse, près d'une centaine d'habitations et de commerces ont été inondés. Avec jusqu'à plus d'un mètre cinquante d'eau dans les salons.

Records

Au carrefour de l'Ille-et-Vilaine, du Morbihan et de la Loire-Atlantique, la ville de Redon s'est, quant à elle, retrouvée presque entièrement entourée d'eau, avec des liaisons routières totalement coupées avec le Morbihan, principal département limitrophe. Les communes de Guipry, Messac, en Ille-en-Vilaine, Malestroit, Pontivy, dans le Morbihan, ou encore Quimper et Morlaix, dans le Finistère, ont dû apprendre à vivre les pieds dans l'eau. Sur les trois derniers mois, Météo-France n'avait pas enregistré un tel niveau de précipitations depuis 2000-2001, avec le chiffre record de 670 mm à Rostrenen. Un phénomène auquel s'est ajoutée une succession de tempêtes violentes, Dirk, Petra et aujourd'hui Ulla, qui n'ont rien arrangé.

"Ces crues et ces inondations sont dues au passage répété de perturbations de la zone atlantique, et on en a déjà eu dans le passé, relativise Alain Pennec, le maire de Quimperlé. Mais ce qui est nouveau, c'est la rapidité avec laquelle elles se produisent. Autrefois, l'eau mettait 24 heures à venir de Scaër, à 25 kilomètres en amont, aujourd'hui, elle met huit heures. Pour la première fois, on a eu aussi à Quimperlé des eaux boueuses et marron."

Phénomènes aggravants

Si ces crues exceptionnelles ont des causes purement climatiques, sans qu'on puisse les imputer pour autant au réchauffement de la planète, plusieurs phénomènes aggravants sont ainsi pointés du doigt. À commencer par le remembrement et la transformation de l'agriculture bretonne qui ont supprimé les barrières naturelles à l'écoulement des eaux. "En Bretagne, depuis les années 1960, on a arasé plus de 150 000 kilomètres de talus, rappelle Alain Pennec. Cela a forcément eu une incidence. L'urbanisation des villages, les zones pavillonnaires qui se sont étalées et la multiplication des grandes surfaces commerciales ont également imperméabilisé d'énormes surfaces qui ne retiennent plus les eaux." Un double constat partagé par le géographe Jacques Lescoat, auteur de La Bretagne ou l'environnement égaré.

À Morlaix, on met aussi en cause l'absence de travaux, comme la création de bassins de rétention en amont, pour limiter et prévenir les crues. En attendant, la Bretagne, plongée sous les pluies incessantes, continue de panser ses plaies et personne ne peut encore établir un bilan des dégâts.

"La totale !"

"C'est très difficile, constate Matthieu Prigent. Il y a les dégâts dans les maisons, mais aussi sur la voirie qui entraîneront des frais importants. Le manque à gagner dans les commerces est aussi à prendre en compte, d'autant que les premières inondations se sont produites au moment des fêtes de Noël et du premier de l'an. À Quimperlé, c'est l'ensemble des commerçants qui ont enregistré des pertes de chiffre d'affaires."

À Morlaix, Caroline Lambel, l'une des patronnes de la brasserie La Terrasse, non loin de la mairie, a connu "la totale", avec à la fois sa maison et son restaurant inondés et sa voiture mise hors d'usage par les eaux, comme 180 autres véhicules dans la ville. Malgré la lassitude et l'appréhension, elle reste pourtant philosophe et croise les doigts. "Il y a des gens plus malheureux que nous, et de toute façon, on ne peut rien y faire", lâche-t-elle, avant d'ajouter : "Ce soir (le 14 février, NDLR), pour la Saint-Valentin, on est complet. Il ne reste plus à espérer que la ville ne va pas se transformer à nouveau en Venise !"