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En analysant la façon dont les gènes s'expriment chez l'homme moderne (à gauche) d'une part, et chez l'homme de Neandertal d'autre part (à droite), des généticiens avancent l'hypothèse que l'évolution récente de l'homme moderne s'est accompagnée de l'apparition de troubles cognitifs qui n'existaient pas jusqu'alors. Crédits : Hairymuseummatt / DrMikeBaxter
Au cours de notre histoire récente, des modifications portant sur la façon dont nos gènes s'expriment auraient-elles entraîné l'apparition de troubles mentaux tels que la schizophrénie, l'autisme ou encore la maladie d'Alzheimer ? C'est en tout cas l'hypothèse troublante avancée par une étude publiée dans la revue Science.

Et si les changement relatifs à la façon dont nos gènes s'expriment, survenus au cours de l'évolution récente de l'homme moderne, avaient engendré l'apparition de troubles mentaux comme la schizophrénie et l'autisme ? Aussi troublant que cela puisse paraître, c'est bel et bien ce que suggère une étude publiée le 17 avril 2014 dans la revue Science.

En effet ces travaux, qui ont consisté à comparer le génome de l'homme moderne à celui de l'homme de Neandertal, un travail doublé d'une analyse comparative de l'activité de ces gènes pour les deux espèces, semblent indiquer que les prédispositions de l'homme moderne à développer certaines pathologies mentales seraient ni plus ni moins... absentes chez son proche cousin Neandertal aujourd'hui disparu. En d'autres termes, ces prédispositions seraient apparues très récemment au cours de notre histoire évolutive...

Pour comprendre précisément ce dont il s'agit, attachons-nous d'abord à comprendre en quoi ont consisté les travaux du généticien israélien Liran Carmel (Université hébraïque de Jérusalem, Israël) et ses collègues. Au cours de cette étude, ces scientifiques se sont concentrés non pas sur les différences génétiques existantes entre le génome de Neandertal et celui de l'homme moderne (le degré de proximité entre ces deux génomes est de toute façon extrêmement élevé), mais sur les différences dites "épigénétiques" entre ces deux génomes.

L'épigénétique ? On sait, grâce à des études menées depuis une quinzaine d'années, que les gènes seuls ne suffisent pas à expliquer l'ensemble des caractères génétiquement héritables d'un individu (la couleur des yeux est, par exemple, un caractère génétiquement héritable). En effet, au cours de l'existence d'un individu, des facteurs environnementaux (une famine, par exemple) pourront introduire des modifications dans son génome, lesquelles seront alors transmises à sa descendance. Mais attention : ces modifications affecteront non pas les gènes de cet individu comme c'est le cas avec les mutations génétiques, mais la façon dont ces gènes s'expriment : on parle alors de mutation "épigénétique".

Comment ces mutations épigénétiques fonctionnent-t-elles ? Parmi les différents mécanismes possibles à l'origine des mutations épigénétiques, l'un des plus fréquents est la méthylation : ce processus se caractérise par la fixation sur un gène donné d'un groupe méthyl (un groupes méthyl est une structure composée de 3 atomes d'hydrogène et d'un atome de carbone), ce qui a alors généralement pour effet d'inactiver le gène. En d'autres termes, le gène reste intact, mais il ne peut plus coder pour des protéines : il est en quelque sorte devenu « silencieux ».

Or, en étudiant les ossements néandertaliens découverts à ce jour, il est possible de mettre au jour les zones du génome de Neandertal où des processus de méthylation ont eu lieu. En comparant ensuite ces données avec les zones du génome de l'homme moderne qui ont elles aussi été le siège de processus de méthylation, il devient alors possible de mettre au jour les mutations épigénétiques spécifiques à Neandertal, et celles propres à l'homme moderne. Et c'est précisément ce qui a été réalisé par le généticien Liran Carmel lors de cette étude...

Qu'ont découvert les auteurs de cette étude en observant les mutations épigénétiques affectant le génome de Neandertal et celui de l'homme moderne ? Ils se sont aperçus que nombre des mutations épigénétiques spécifiques à l'homme moderne affectaient des gènes connus pour entretenir des liens avec plusieurs troubles psychiatriques, comme la schizophrénie ou encore l'autisme.

Un constat qui suggère que les changements épigénétiques récents survenus chez l'homme moderne doivent peut-être être reliés à l'apparition de ces troubles mentaux, qui sont aujourd'hui si fréquents chez les humains d'aujourd'hui : "Nous avons découvert l'existence d'associations avec des maladies comme la schizophrénie, l'autisme ou encore Alzheimer", a expliqué Liran Carmel lors de la publication de cette étude. "Cela signifierait-il que les changements récents qui ont affecté la façon dont les gènes de l'homme moderne s'expriment dans notre cerveau, ont engendré l'apparition de maladies mentales au sein de notre espèce ?", poursuit le chercheur.

Face à cette éventualité quelque peu troublante, il est toujours possible de se consoler en se disant que les mutations épigénétiques spécifiques à Neandertal détectées par les auteurs de cette étude ont peut être elles aussi favorisé l'émergence de pathologies mentales spécifiques à Neandertal, mais dont nous ne connaîtrons jamais l'existence...

Ces travaux ont été publiés le 17 avril 2014 dans la revue Science, sous le titre "Reconstructing the DNA Methylation Maps of the Neandertal and the Denisovan" .