Image
Quelque part en Caroline du Nord, la milice privée US rebaptisée Academi, forme les forces de sécurité brésiliennes en charge de la Coupe du Monde.

Avec un cynisme ahurissant, Michel Platini qu'on ne présente plus vient de s'essayer laborieusement à un bon mot, en suggérant aux Brésiliens d'attendre la fin de la Coupe du Monde pour reprendre leurs conflits sociaux.

C'est doublement navrant. D'abord parce qu'il démontre que le Comité Exécutif de la FIFA vit en dehors de toute réalité socio-économiques du pays-hôte de son méga événement. Ensuite parce que dans le cas d'espèce, les troubles sociaux sont d'une telle ampleur que c'est faire insulte aux Brésiliens que de les prendre ainsi à la légère.

D'autant que le site Internet du journal brésilien Folha de S. Paulo a révélé le 21 avril (« Paramilitares americanos treinam policiais brasileiros para a copa ») que c'est la sinistre organisation paramilitaire US Blackwater - qui a essayé de se faire oublier en changeant sa raison sociale en « Academi » - qui s'est vue confier la formation des 170 000 personnes - une progression de 22% par rapport aux effectifs déployés en 2010 en Afrique du Sud - chargées de la sécurité de la Coupe du Monde de Football.

Si l'expédition américaine en l'Irak s'est soldée comme l'on sait, c'est aussi grâce aux mémorables prestations de l'armée privée (« Blackwater Security Consulting »), qui a notamment donné toute la mesure de ses capacités le 16 septembre 2007 sur la place Nisour de Bagdad.

Ce jour là, chargés de la protection d'un convoi de diplomates US et de représentants de l'USAID, ses employés ont dégagé le passage des véhicules diplomatiques à coups de projectiles de gros calibres ; bilan : 17 civils irakiens rappelés à Dieu et 20 blessés graves. Les rois de la gâchette ont bien sûr affirmé qu'ils étaient tombés dans une embuscade. Ce que les nombreuses enquêtes ultérieures ont démenti. Même celle du FBI qu'on ne savait pas particulièrement sensible à la cause irakienne, a conclu que 14 des 17 personnes décédées dans l'affaire avaient été flinguées sans aucune raison...

Bref, le séjour au Brésil cet été au nom du Beau Jeu risque d'être chaud à tous points de vue, n'en déplaise au vice-président de la FIFA.

On a eu un avant goût de l'ambiance festive à l'aube du 5 avril avec « l'occupation militaire » - dixit Amnesty International - par 2 700 soldats fédéraux, des 16 favelas de Maré situées entre les principales voies d'accès à Rio et l'aéroport international où survivent plus de 135 000 personnes et où ont trouvé refuge des organisations criminelles puissamment armées qui ont servi de prétexte à l'opération militaire de grande envergure.

C'est semble-t-il la disparition du jeune Amarildo Dias de Souza un jeune travailleur du bâtiment sans lien connu avec le crime organisé, qu'on a plus revu dans sa favela de Rocinha depuis l'arrivée des Fédéraux, qui a déclenché la colère des habitants prêts à en découdre dès que l'occasion se présentera. Il devront au moins attendre jusqu'au 31 juillet puisque les militaires occuperont les lieux jusqu'au soir de la finale de la Coupe, en vertu si l'on peut dire, d'un accord passé entre les ministères concernés et les autorités municipales de Rio.

Le foot, nouveau masque de l'antiterrorisme?

Les enquêtes menées par plusieurs journaux locaux ont conduit à l'arrestation d'Edson Santos commandant en chef de l'expédition d'occupation de Maré, soupçonné avec ses adjoints, d'avoir torturé le jeune homme jusqu'à ce que mort s'en suive, puis d'avoir dispersé son cadavre en morceaux dans une zone boisée. Sans surprise, les sondages effectuées par les médias depuis 2 mois, révèlent semaine après semaine que moins d'un brésilien sur 4 fait encore confiance à la police.

Une tendance qui ne va sans doute pas s'infléchir à l'annonce de la possible promulgation de la loi « antiterroriste » n° 449 que le congrès pourrait voter dans les jours à venir. Un dispositif législatif permettant d'infliger des peines de prison comprises entre 15 et 30 ans à quiconque « causerait ou inciterait à une terreur à grande échelle en menaçant ou en tentant de menacer la vie, l'intégrité physique, la santé ou la liberté d'une personne ».

L'une des raisons pour lesquelles l'arsenal législatif brésilien ne contient pas de loi antiterroriste, c'est le souvenir douloureux de l'abus qu'a fait la dictature brésilienne jusqu'à son terme en 1985, de textes à priori destinés à lutter contre la criminalité organisée et qui ont trouvé de multiples débouchés dans le domaine de la répression sociale de masse.

Une crainte formellement exprimée par Humberto Costa, le patron au Sénat du Parti des Travailleurs qui déplore que le texte en préparation demeure très flou sur la notion de terrorisme (« ...au contraire, il créé une sorte de peine ouverte au moyen de laquelle l'Etat peut arbitrairement criminaliser un grand nombre d'activité dont les manifestations de protestations sociales... »).

L'Académi de la répression

Le dernier mot reviendra de toute façon à la présidente Dilma Rousseff qui doit signer tout texte voté par le Congrès pour lui donner force de loi. On la dit très partagée sur le sujet. Torturée par la dictature militaire, elle connaît personnellement les dangers d'un appareil sécuritaire surdimensionné. D'un autre côté elle s'est engagée auprès des gros bonnets de la FIFA à faire de la Coupe du Monde 2014 qui risque de coûter dans les 15 milliards de dollars à la patrie du football, un tournoi exemplaire. Il est vrai que si le pays organisateur venait à remporter le trophée dans une ambiance de carnaval, plutôt que d'état de siège, ses chances de réélection en octobre prochain s'en verraient accrues.

En 2013, Rio affichait un taux d'homicide de 24,7 pour 100 000 habitants.

3 fois plus qu'une mégalopole comparable comme Los Angeles par exemple. Quant aux statistiques relatives aux bavures policières, elle faisaient état de 1 890 homicides en 2012 ; les chiffres de 2013 ne sont pas encore connus que déjà reviennent en mémoire, les images de la finale de la Coupe des Confédérations l'année dernière...

Un désordre que ne laisseront sûrement pas s'installer cette année les forces de sécurité brésiliennes, passées par les mains expertes des professeurs de l'Academi.

Mais surtout, une nouvelle qui devrait tout à fait rassurer Michel Platini et l'inciter à s'abstenir de critiquer publiquement le pays qui, quoi qu'il arrive, fera une fois encore son devoir en remplissant les poches profondes de la FIFA.