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L'aéroport Paris-Charles de Gaulle entraîne, par l'utilisation de nombreuses substances chimiques, la pollution des eaux pluviales rejetées dans la Marne, juste en amont de la prise d'eau de l'usine d'Annet-sur-Marne. Celle-ci produit de l'eau potable pour cinq cent mille Franciliens. Les autorités publiques laissent faire.

L'aéroport Paris-Charles de Gaulle s'étend sur trois mille quatre cent hectares. Il est avec ses soixante millions de passagers le septième aéroport mondial et le second en Europe. L'activité aéroportuaire a un impact important autour de la plate-forme, en terme d'environnement, de nuisances sonores, de pollution de l'air, de circulation induite, routière ou ferroviaire.

Les surfaces imperméabilisées représentent un tiers de la superficie de l'aéroport soit plus de mille hectares qui doivent être déneigés et déverglacés en hiver. Il en est de même pour les ailes des avions qui sont traitées au moment du décollage.

Aéroports de Paris (ADP) utilise des produits à base de glycols, et notamment le propylène glycol (massivement utilisé) et l'éthylène glycol (sans qu'en soit connue l'importance réelle, la composition de certains produits n'est pas divulguée au titre du « secret de fabrication »).

Ces deux substances n'ont pas la même toxicité, l'éthylène glycol étant considéré comme le plus dangereux. Outre l'impact sur la santé humaine, les glycols requièrent des quantités importantes d'oxygène pour être dégradés dans l'eau. Par conséquent, leur concentration importante entraîne une augmentation du niveau de pollution de l'eau.

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Des substances chimiques retrouvées dans les eaux utilisées pour l'usine de production d'eau potable

Ces substances chimiques se retrouvent dans les eaux pluviales qui sont à 90 % rejetées dans les rivières (Reneuse et Beuvronne) et enfin dans la Marne, juste en amont de la prise d'eau de l'usine d'Annet-sur-Marne qui produit de l'eau potable pour 500 000 Franciliens habitant la Seine-et-Marne, le Val d'Oise ou la Seine-Saint-Denis.

Ces rejets d'eaux pluviales dans la Marne ont considérablement augmenté, grâce à une dérogation préfectorale accordée en 2008 et renouvelée (et élargie) en 2012. La présence d'éthylène glycol dans les eaux brutes utilisées pour l'usine de production d'eau potable d'Annet-sur-Marne est attestée pour la première fois par le rapport annuel 2009 de la SFDE, filiale de Veolia qui exploite cette usine.

Dès 2010, une alerte est lancée par l'association Action Verte Roissy Val Maubuée (AVRVM) et plusieurs collectivités territoriales, et par une lettre de Nature Environnement 77 au Ministère de l'environnement.

Des informations difficiles d'accès

Cette situation alarmante conduit l'AVRVM, la Coordination EAU Île-de-France, les Eco-citoyens de Lagny et des environs, et plusieurs usagers, à demander aux principaux acteurs (Veolia Eau, ADP, Préfecture de Seine-et-Marne et l'Agence régionale de santé) de fournir tous les documents d'information à ce sujet.

Commence alors un ballet de procédures : lettres d'avocats, saisie de la CADA (Commission d'accès aux documents administratifs), recours au tribunal administratif (TA) pour faire appliquer les décisions de la Commission d'accès aux documents administratifs.

La Convention d'Aarhus de 2004 prévoit certes que chaque Etat signataire - comme la France - « garantit les droits d'accès à l'information sur l'environnement ». Mais faire valoir ce droit ne va pas de soi ! Il serait plus simple et surtout plus rassurant que ces informations soient à la portée de tous les usagers-citoyens qui en font la demande.

Des graves lacunes

Les documents reçus font rapidement apparaître de graves lacunes dans la mise en œuvre des dérogations préfectorales et, surtout, que le problème de la présence de l'éthylène glycol n'est toujours pas résolu.

Cette situation a conduit les associations à déposer des recours en annulation des arrêtés préfectoraux de 2008 et de 2012. Leurs pressions répétées ont commencé à porter leurs fruits. Ainsi l'arrêté préfectoral de 2012 pose une nouvelle condition : ADP doit présenter un plan d'action pour résoudre le problème du rejet de ses eaux polluées au plus tard le 30 juin 2012. Ce plan d'action sera finalement publié en juin ...2013 !

Le montant total des travaux est estimé à 50 millions d'euros. C'est dire l'enjeu du dossier. Une somme à relativiser cependant : les dividendes versées par ADP s'élevaient en 2012 à 174 millions d'euros et en 2013 à 205 millions d'euros.... Et pour l'instant, les travaux n'ont pas commencé.

Autre résultat de l'action, la signature le 2 juillet 2012 du protocole d'accord concernant les procédures d'alerte réciproques, entre ADP et la Veolia Eau qui exploite l'usine d'Annet sur Marne. Un projet de protocole avait été annexé dès juin 2007 dans le dossier pour obtenir la dérogation préfectorale en 2008, mais jamais mis en œuvre !

On s'étonne cependant du principe même du recours à un protocole d'accord, dont la préfète de Seine-et-Marne explique qu'il s'agit d'un pur contrat de droit privé, situé en dehors de son contrôle, alors qu'il s'agit d'une forme de délégation de la police de l'eau.

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- Une des stations de pompage en Marne de l'usine d'Annet-sur-Marne -

Un tapis rouge déroulé par les pouvoirs publics à ADP et Veolia

En février 2013, un nouvel arrêté préfectoral autorise ADP à augmenter encore le flux de ses vidanges dans les affluents de la Marne. Et en mars 2013, un contrôle inopiné, réalisé par la société Egis Eau - conséquence d'un engagement de la préfète en réponse à la Coordination - révèle des concentrations d'éthylène glycol dans la Beuvronne près de dix fois supérieures à la mesure de 2009, à l'origine de l'alerte. Du coup, les associations demandent aussi l'annulation de l'arrêté de 2013.

A noter aussi dans le paysage local, la plus importante décharge de déchets ultimes de France qui est installée en amont du même captage (décharge Rep Veolia de Claye-Souilly) : bizarrement, certains contrôles de rejets polluants de cette décharge ne sont pas prévus par l'arrêté préfectoral qui autorise ce site !

Et une autre association, l'ADENCA, révèle qu'à de nombreuses reprises, tout au long de l'année 2013, une eau non conforme a été distribuée au robinet des habitants du nord-ouest de la Seine-et-Marne. Peut-on vraiment produire de l'eau potable à partir d'une eau brute aussi dégradée ? Veolia répond oui, sur la base de ses compétences technologiques, mais les analyses de l'eau produite montrent que non.

Le 7 mai, les recours des associations ont été examinés par le tribunal administratif de Melun. Le jugement est attendu dans les prochains jours. En cause, le tapis rouge déroulé jusqu'à présent par les pouvoirs publics devant les énormes machines économiques que sont ADP et Veolia, qui met en danger les écosystèmes d'un des principaux fleuves français et la santé des habitants. Le principe de précaution, l'intérêt général défendu par les associations, peuvent-ils l'emporter ?