Le blocus signifie que les étudiants ne peuvent pas aller en cours. Les étudiants ne peuvent pas aller à la bibliothèque. Les étudiants ne peuvent pas entrer dans les laboratoires. Les étudiants ne peuvent pas se rendre dans les services de santé de l'université. Les étudiants ne peuvent pas se rendre dans les ateliers pour travailler. Les étudiants ne peuvent pas assister aux cours. Les étudiants ne peuvent pas traverser les pelouses du campus. L'université, comme lors de la pandémie de Covid, s'est retranchée dans le monde des écrans où les étudiants sont isolés dans leurs chambres.
Les bâtiments universitaires sont en grande partie inoccupés.
Les allées du campus sont désertes. Columbia est une université Potemkine, un terrain de jeu pour les dirigeants d'entreprise. La présidente de l'université — une baronne britannico-égyptienne qui a fait carrière dans des institutions telles que la Banque d'Angleterre, la Banque mondiale et le Fonds Monétaire International — a fait appel à des policiers en tenue anti-émeute, armes au poing, pour libérer le campement de la faculté, expulser par la force les étudiants qui occupaient un hall du campus, battre et arrêter plus d'une centaine d'entre eux. Ils ont été arrêtés pour "intrusion criminelle" sur leur propre campus.
Ces administrateurs exigent, comme tous ceux qui gèrent les systèmes de pouvoir des entreprises, une obéissance totale. Dissidence. Liberté d'expression. Pensée critique. Indignation morale. Tout cela n'a plus sa place dans nos universités inféodées au monde de l'entreprise.Tous les systèmes totalitaires, y compris le totalitarisme d'entreprise, transforment l'éducation en une formation professionnelle où l'on apprend aux étudiants ce qu'il faut penser, et non comment penser. Seules les compétences et l'expertise exigées par l'État-entreprise sont valorisées. Le déclin des sciences humaines et la transformation des grandes universités de recherche en écoles professionnelles pour les entreprises et le ministère de la Défense, qui mettent l'accent sur la science, la technologie, l'ingénierie et les mathématiques, illustrent bien cette évolution. Les étudiants qui perturbent l'université Potemkine, qui osent penser par eux-mêmes, sont battus, suspendus, arrêtés et expulsés.
Les mandarins qui dirigent Columbia et d'autres universités, des corporatistes qui gagnent des centaines de milliers de dollars, supervisent des plantations universitaires. Ils traitent leurs professeurs auxiliaires mal payés, souvent dépourvus d'assurance maladie et d'avantages sociaux, comme des esclaves. Ils se plient servilement aux intérêts des riches donateurs et des entreprises. Ils sont protégés par des services de sécurité privés. Ils méprisent les étudiants, contraints de s'endetter lourdement pour leurs études et qui, anticonformistes, défient leurs privilèges, et dénoncent leur complicité dans les génocides.
L'université de Columbia, avec une dotation de 13,64 milliards de dollars, fait payer aux étudiants près de 90 000 dollars par an. Mais les étudiants ne sont pas autorisés à s'opposer à ce que l'argent de leurs impôts et de leurs frais de scolarité finance un génocide, ou à ce que leurs frais de scolarité soient utilisés pour se voir agressés et envoyés en prison, de même que les soutiens à l'université. Ils sont, comme l'a dit Joe Biden, membres de "groupes haineux". Ils sont — comme l'a dit Chuck Schumer, chef de la majorité au Sénat, à propos de ceux qui ont occupé le Hamilton Hall de Columbia en le rebaptisant Hind Hall, en l'honneur d'une fillette palestinienne de six ans, Hind Rajab, assassinée par les forces israéliennes après avoir passé 12 heures enfermée dans une voiture avec ses six parents décédés — impliqués dans une "situation de non-droit".
Au cours de l'assaut mené par des dizaines de policiers contre le bâtiment occupé, un étudiant a perdu connaissance, plusieurs ont été battus et envoyés à l'hôpital, et un policier a tiré un coup de feu à l'intérieur du hall. L'usage excessif de la force est justifié par le mensonge selon lequel des infiltrés et des agitateurs extérieurs contrôleraient le mouvement de protestation. Au fur et à mesure que les manifestations se poursuivent, et elles se poursuivront, ce recours à la force deviendra de plus en plus radical.
"L'université est un lieu de capitalisation", déclare Sara Wexler, étudiante en doctorat de philosophie, assise avec deux autres étudiants sur l'escalier de secours.
"Nous avons des dotations d'un milliard de dollars liées à Israël et à des entreprises de la Défense. Nous sommes contraints de reconnaître que les universités ne sont pas démocratiques. Un conseil d'administration et des investisseurs prennent les décisions. Même si les étudiants et les professeurs votent en faveur du désinvestissement, nous n'avons aucun pouvoir, car ils ont le pouvoir d'appeler la police de New York".
Les institutions dirigeantes, y compris les médias, sont fermement déterminées à détourner l'attention du génocide à Gaza, au profit des menaces contre les étudiants juifs et de l'antisémitisme. La colère des manifestants à l'égard des journalistes, en particulier des organes de presse tels que CNN et le New York Times, est intense et justifiée.
"Je suis une juive germano-polonaise", explique Mme Wexler. "Mon nom de famille est Wexler. En yiddish, il signifie 'faiseur d'argent', 'marchand d'argent'. J'ai beau dire aux gens que je suis Juive, on me traite toujours d'antisémite. C'est exaspérant. On nous dit qu'au XXIe siècle, nous avons besoin d'un État fondé sur l'appartenance ethnique et que c'est la seule façon pour les Juifs d'être en sécurité. Mais en réalité, c'est la Grande-Bretagne, l'Amérique et d'autres États impérialistes qui occupent le terrain au Moyen-Orient. Je n'ai aucune idée de la raison pour laquelle les gens croient encore à cette histoire. Créer un territoire pour le peuple juif qui exige que d'autres personnes souffrent et meurent n'a aucun sens".J'ai déjà vu ce type d'attaque contre les universités et la liberté d'expression. Je l'ai vu sous le Chili d'Augusto Pinochet, sous la dictature militaire du Salvador, sous le Guatemala de Rios Montt, et lors de mes reportages sur les régimes militaires en Argentine, au Pérou, en Bolivie, en Syrie, en Irak et en Algérie.
L'université de Columbia, avec ses portes verrouillées, ses files de voitures de police, ses rangées de barricades métalliques de trois ou quatre mètres de profondeur, ses essaims de policiers en uniforme et ses services de sécurité privés, n'a pas l'air différente. Elle ne semble pas différente parce qu'elle n'est pas différente.
Bienvenue dans notre dictature corporatiste.
La cacophonie des rues de New York ponctue notre conversation. Ces étudiants savent ce qu'ils risquent. Ils savent contre quoi ils se battent.
Les étudiants militants ont attendu des mois avant d'installer des campements. Ils ont essayé à plusieurs reprises de faire entendre leur voix et de faire entendre leurs préoccupations. Mais ils ont été refoulés, ignorés et harcelés. En novembre, les étudiants ont remis à l'université une pétition demandant le désinvestissement des entreprises israéliennes qui facilitent le génocide. Personne n'a pris la peine de répondre.
Les manifestants subissent des abus constants. Le 25 avril, lors de la croisière des étudiants de Columbia, des sionistes hargneux ont versé de l'alcool sur la tête et les vêtements des étudiants musulmans et de ceux identifiés comme soutenant les protestations. En janvier, d'anciens soldats israéliens étudiant à Columbia ont agressé des étudiants sur les marches de la bibliothèque Lowe à l'aide d'un spray puant.
L'université, soumise à de fortes pressions une fois les agresseurs identifiés, a déclaré avoir banni les anciens soldats du campus, mais d'autres étudiants ont déclaré avoir vu l'un de ces hommes sur le campus récemment. Lorsque les étudiants juifs du campement ont tenté de préparer leurs repas dans la cuisine casher du Séminaire théologique juif, ils ont été insultés par les sionistes qui se trouvaient dans le bâtiment. Les contre-manifestants sionistes ont été rejoints sur le campus par le fondateur de l'organisation suprématiste blanche Proud Boys. Des étudiants ont vu leurs informations personnelles affichées sur Canary Mission [un site internet anonyme qui a pour objectif de dénoncer les militants anti-israéliens sur les campus] et ont vu leurs visages sur les flancs de camions faisant le tour du campus, les dénonçant comme antisémites.
Ces attaques se répètent dans d'autres universités, dont l'UCLA, où des sionistes masqués ont lâché des rats et tiré des feux d'artifice dans le campement et diffusé des enregistrements de pleurs d'enfants — comme le fait l'armée israélienne pour attirer les Palestiniens de Gaza hors de leur refuge afin de les tuer. La bande de sionistes, armée de gaz poivré et de sprays à ours, a violemment attaqué les manifestants, sous le regard passif de la police et de la sécurité du campus, qui a refusé de procéder à des arrestations.
"Lors de la soirée des Études générales, l'une des écoles de premier cycle qui compte un grand nombre d'anciens soldats des FDI, au moins huit étudiants portant des keffiehs ont été agressés physiquement et verbalement par des étudiants identifiés comme des anciens des FDI et des Israéliens",
me raconte Cameron Jones, un étudiant de deuxième année en études urbaines qui est de confession juive.
"Les étudiantes ont été traitées de "salope" et de "pute" en hébreu. D'autres ont été qualifiés de terroristes et on leur a dit de retourner à Gaza. Beaucoup d'étudiants harcelés sont arabes, certains se sont fait arracher leur keffieh et ont été jetés au sol. Plusieurs étudiants portant des keffiehs ont été empoignés et bousculés. Un étudiant juif portant un keffieh a été maudit en hébreu, puis frappé au visage. Un autre étudiant a reçu des coups de pied. La manifestation s'est terminée après que des dizaines d'étudiants ont chanté l'hymne national israélien, certains d'entre eux ayant fait un doigt d'honneur à des étudiants portant des keffiehs. J'ai été suivi sur le campus par des inconnus, j'ai été insulté et on m'a crié des obscénités".L'université a refusé de sanctionner ceux qui ont perturbé la cérémonie, même si ceux qui ont commis les agressions ont été identifiés.
Les universités ont engagé des individus tels que Cas Halloway, actuellement directeur des opérations à Columbia, ex-maire adjoint pour les opérations sous Michael Bloomberg. M. Halloway aurait supervisé l'évacuation par la police du campement d'Occupy à Zuccotti Park. C'est le genre d'expertise que les universités convoitent.
À Columbia, les étudiants organisateurs, à la suite des arrestations massives et des expulsions de leur campement et de Hind Hall, ont appelé les enseignants, le personnel et les étudiants à des grèves à l'échelle de l'université. Columbia a annulé sa cérémonie de remise des diplômes.
Je me trouve sur le campus de l'université de Princeton. Après la prière du soir, 17 étudiants qui ont entamé une grève de la faim sont assis ensemble, la plupart emmitouflés dans des couvertures.
Alors que les universités intensifient leurs mesures de répression, les manifestants intensifient leur réponse. Les étudiants de Princeton ont organisé des rassemblements et des débrayages tout au long des mois d'octobre et de novembre, qui ont culminé avec une manifestation devant le Conseil de la communauté universitaire de Princeton, composé d'administrateurs, d'étudiants, de membres du personnel, de doyens et du président. À chaque manifestation, ils ont été accueillis par un mur de silence.
Les étudiants de Princeton ont décidé, suivant l'exemple de Columbia, d'installer un campement le 25 avril et ont publié une série de revendications appelant l'université à "se désinvestir et à se dissocier d'Israël". Mais lorsqu'ils sont arrivés tôt le matin sur leurs lieux de rassemblement, ainsi que sur le site devant la bibliothèque Firestone qu'ils espéraient utiliser pour un campement, ils ont été accueillis par des dizaines de policiers du campus et de la ville de Princeton, qui avaient été prévenus. Les étudiants se sont empressés d'occuper un autre endroit du campus, la cour McCosh. Deux étudiants ont été immédiatement arrêtés, expulsés de leur logement étudiant et bannis du campus. La police a forcé les autres étudiants à démonter leurs tentes.
Les manifestants du campement dorment à la belle étoile, y compris lorsqu'il pleut.
Ironie de la situation qui n'a pas échappé aux étudiants, le campus de Princeton est parsemé d'immenses tentes installées pour le week-end au cours duquel d'anciens élèves consomment de grandes quantités d'alcool et s'habillent dans des tenues extravagantes aux couleurs de l'école, l'orange et le noir. Les manifestants n'ont pas le droit d'y entrer.
Treize étudiants de Princeton ont occupé Clio Hall le 29 avril. Comme leurs camarades de Columbia, ils ont été arrêtés et sont désormais interdits d'accès au campus. Quelque 200 étudiants ont entouré Clio Hall en signe de solidarité, tandis que les étudiants occupants étaient emmenés par la police. Au cours de leur interpellation par la police, les étudiants ont chanté le Roll Jordan Roll, un chant spirituel noir, en modifiant les paroles en
"Well some say John was a baptist, some say John was a Palestinian, But I say John was a preacher of God and my bible says so too"[Certains disent que Jean était un baptiste, d'autres disent que Jean était un Palestinien, mais moi je dis que Jean était un prêcheur de Dieu et ma bible le dit aussi].Les grévistes de la faim, qui ont commencé leur régime liquide le 3 mai, ont publié cette déclaration :
"Le campement de solidarité avec Gaza de Princeton annonce le début d'une grève de la faim en solidarité avec les millions de Palestiniens de Gaza qui souffrent du blocus permanent de l'État d'Israël. L'occupation israélienne a délibérément bloqué l'accès aux produits de première nécessité afin de provoquer une terrible famine pour les deux millions de résidents de Gaza. Depuis l'annonce faite le 9 octobre par le ministre israélien de la Défense interdisant l'entrée de vivres, de carburant et d'électricité dans la bande de Gaza, Israël a systématiquement entravé et limité l'accès à l'aide vitale pour les Palestiniens de Gaza, allant même jusqu'à détruire intentionnellement les terres cultivées existantes.L'université et le monde doivent reconnaître que nous refusons d'être complices d'un génocide et que nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour changer cette réalité.
Le 18 mars, le secrétaire général des Nations unies a déclaré : "Il s'agit du nombre le plus élevé de personnes souffrant d'une famine catastrophique jamais enregistré par le système de classification de la sécurité alimentaire". Pour faire du pain, les habitants de Gaza ont été contraints d'utiliser de la farine animale. Pour rompre le jeûne du Ramadan, les habitants de Gaza ont dû préparer des repas à base d'herbe. Depuis octobre 2021, 97 % de l'eau de Gaza est considérée comme non potable et les habitants doivent boire de l'eau salée insalubre pour survivre. Les conséquences de cette famine sans précédent créée et entretenue par Israël vont décimer les enfants de Gaza et ne peuvent être tolérées plus longtemps. Nous avons entamé notre grève de la faim par solidarité avec la population de Gaza. Nous nous inspirons de la tradition des prisonniers politiques palestiniens qui font des grèves de la faim à l'eau salée dans les prisons israéliennes depuis 1968. Notre grève de la faim est une réponse au refus de l'administration de répondre à nos appels à la dissociation et au désinvestissement d'Israël. Nous refusons d'être réduits au silence par les tactiques d'intimidation et de répression de l'administration de l'université. Nous luttons ensemble en solidarité avec le peuple de Palestine. Nous engageons nos corps pour leur libération. Les participants aux grèves de la faim s'abstiendront de toute nourriture ou boisson, à l'exception de l'eau, jusqu'à ce que les demandes suivantes soient satisfaites :
Rencontre avec les étudiants pour discuter des appels à la divulgation, au désinvestissement et à un boycott académique et culturel complet d'Israël.
Accorder une amnistie complète de toutes les charges criminelles et disciplinaires pour les participants au sit-in pacifique.
Annuler toutes les interdictions et expulsions d'étudiants sur le campus.
Même si elle est modeste comparée aux souffrances persistantes du peuple palestinien, notre grève de la faim symbolise notre engagement inébranlable en faveur de la justice et de la solidarité".
Le président de l'université, Christopher Eisgruber, a rencontré les grévistes de la faim — la première rencontre entre les administrateurs de l'école et les manifestants depuis le 7 octobre — mais a rejeté leurs demandes.
"C'est probablement l'action la plus importante que j'ai accomplie ici", déclare Areeq Hasan, un étudiant de dernière année qui va faire un doctorat en physique appliquée l'année prochaine à Stanford, et qui fait également partie de la grève de la faim.
"Sur une échelle de 1 à 10, c'est un 10. Depuis le début du campement, j'ai essayé de devenir une meilleure personne. Nous avons établi des piliers de la foi. L'un d'entre eux est la sunnah, c'est-à-dire la prière. C'est un endroit où l'on s'entraîne à devenir une meilleure personne. Elle est liée à la spiritualité. C'est une chose sur laquelle j'ai particulièrement travaillé depuis que je suis à Princeton. Il y a un autre aspect de la foi. La zakat. Ce terme signifie la charité, mais on peut l'interpréter de manière plus générale comme la justice... la justice économique et la justice sociale. Je m'entraîne, mais dans quel but ? Ce campement n'a pas seulement pour but d'essayer de cultiver, de purifier mon cœur pour essayer de devenir une meilleure personne, mais aussi d'essayer de défendre la justice et d'utiliser activement ces aptitudes que je suis en train de développer pour ordonner ce que je pense être juste et pour bannir ce que je pense être mal, pour défendre les personnes opprimées dans le monde entier".Anha Khan, une étudiante de Princeton en grève de la faim dont la famille est originaire du Bangladesh, est assise, les genoux ramenés devant elle.
Elle porte un pantalon de jogging bleu sur lequel on peut lire "Looney Tunes", ainsi qu'une bague de fiançailles qui brille parfois à la lumière.
Elle voit dans l'histoire du Bangladesh, marquée par le colonialisme, la dépossession et le génocide, l'expérience des Palestiniens.
"Tant de choses ont été volées à mon peuple", dit-elle. "Nous n'avons pas eu le temps ni les ressources nécessaires pour nous remettre des terribles épreuves que nous avons traversées. Non seulement mon peuple a subi un génocide en 1971, mais nous avons également été victimes du partage qui a eu lieu en 1947, puis des conflits civils entre le Pakistan occidental et le Pakistan oriental tout au long des années quarante, cinquante et soixante. Cela me met en colère. Si nous n'avions pas été colonisés par les Britanniques au cours des XVIIIe, XIXe et XXe siècles, et si nous n'avions pas été occupés, nous aurions pu nous épanouir et créer une société plus prospère. Aujourd'hui, nous stagnons parce qu'on nous a pris tant de choses. Ce n'est pas juste".L'hostilité de l'université a radicalisé les étudiants, qui considèrent que les administrateurs de l'université tentent d'apaiser les pressions extérieures exercées par les riches donateurs, les fabricants d'armes et le lobby israélien, plutôt que de faire face aux réalités internes des manifestations non violentes et du génocide.
"L'administration ne se soucie pas du bien-être, de la santé ou de la sécurité de ses étudiants", me dit Mme Khan. "Nous avons essayé de dresser au moins des tentes pour la nuit. Comme nous sommes en jeûne liquide de 24 heures, sans rien manger, nos corps font des heures supplémentaires pour résister. Notre système immunitaire n'est pas aussi fort. Pourtant, l'université nous dit que nous ne pouvons pas planter de tentes pour nous protéger du froid et du vent pendant la nuit. Je trouve cela révoltant. Je me sens beaucoup plus faible physiquement. Mes maux de tête sont plus intenses. Je ne peux même plus monter les escaliers. J'ai réalisé que ce que les habitants de Gaza vivent depuis sept mois est un million de fois pire. Vous ne pouvez pas comprendre leur situation si vous ne vivez pas le même genre de famine qu'eux, même si je ne vis pas les mêmes atrocités qu'eux".Les grévistes de la faim, tout en recevant un soutien important sur les réseaux sociaux, ont également été la cible de menaces de mort et de messages haineux de la part d'influenceurs conservateurs. "Je leur donne 10 heures avant qu'ils n'appellent DoorDash" [entreprise américaine spécialisée dans la livraison de nourriture], a posté quelqu'un sur X. "Pourquoi ne renoncent-ils pas à l'eau, ne se soucient-ils pas de la Palestine ? Allez, renoncez à l'eau !", peut-on lire dans un autre message. "Peuvent-ils aussi retenir leur souffle ? Demandez à un ami", peut-on lire dans autre message. "J'ai entendu dire qu'il y aurait plusieurs barbecues à Princeton ce week-end, apportons aussi des produits à base de porc pour en faire profiter ces musulmans", a posté quelqu'un.
Sur le campus, les petits groupes de contre-manifestants, dont beaucoup appartiennent au mouvement ultra-orthodoxe Chabad House, se moquent des manifestants en criant "Jihadistes !" ou encore "J'aime ton foulard de terroriste !".
"C'est horrible de voir des milliers et des milliers de personnes appeler à notre mort et espérer que nous mourrons de faim", dit doucement Mme Khan. "Dans la vidéo du communiqué de presse, je portais un masque. L'un des commentaires les plus drôles que j'ai reçus était : "Wow, je parie que la nana à droite a des dents de cheval derrière ce masque". C'est ridicule. Un autre a dit : "Je parie que la nana à droite a utilisé son Dyson Supersonic avant de venir au communiqué de presse". Le Dyson Supersonic est un sèche-cheveux très cher. Honnêtement, la seule chose que j'en ai retirée, c'est que mes cheveux étaient beaux, alors merci !"David Chmielewski, un élève de fin de cycle dont les parents sont polonais et la famille a été internée dans les camps de la mort nazis, s'est converti à l'islam. Ses visites dans les camps de concentration en Pologne, notamment à Auschwitz, lui ont fait prendre conscience de la capacité de l'homme à faire le mal.
Il voit ce mal dans le génocide de Gaza. Il constate la même indifférence et le même soutien que ceux qui ont caractérisé l'Allemagne nazie.
"Plus jamais ça", dit-il, signifie "plus jamais ça" pour tous. "Depuis que le génocide a commencé, l'université n'a pas tendu la main aux étudiants arabes, aux étudiants musulmans et aux étudiants palestiniens pour leur apporter son soutien", raconte-t-il. "L'université affirme qu'elle s'engage à promouvoir la diversité, l'équité et l'inclusion, mais nous ne nous sentons pas à notre place ici.Comme l'a dit David,
"Dans notre tradition islamique, nos prophètes nous disent que lorsqu'une partie de l'oumma, la nation des croyants, souffre, nous souffrons tous", ajoute-t-il. "Cela devrait être une motivation importante pour nous. Mais l'autre aspect est que l'islam nous donne l'obligation de lutter pour la justice, quelle que soit la personne au nom de laquelle nous luttons. De nombreux Palestiniens ne sont pas musulmans, mais nous luttons pour la libération de tous les Palestiniens. Les musulmans défendent des causes qui ne sont pas spécifiquement musulmanes. Des musulmans ont participé à la lutte contre l'apartheid en Afrique du Sud. Des musulmans ont participé au mouvement des droits civiques. Nous nous inspirons d'eux.
C'est une belle lutte interconfessionnelle. Hier, nous avons installé une toile sous laquelle nous avons prié. Des gens ont récité le Coran en groupe. Sous la même tente, des étudiants juifs ont célébré leur office du shabbat. Dimanche, nous avons organisé des services chrétiens dans le campement. Nous essayons de présenter une vision du monde que nous souhaitons développer, un monde après l'apartheid. Nous ne nous contentons pas de réagir à l'apartheid israélien, nous essayons de construire notre propre vision de ce à quoi ressemblerait une société. C'est ce que vous voyez lorsque vous entendez des gens réciter le Coran ou lire les offices du Shabbat sous la même tente, c'est le genre de monde que nous voulons construire".
"On nous a dépeints comme des gens qui génèrent un sentiment d'insécurité", ajoute-t-il. "Nous avons été perçus comme une menace. Une partie de la motivation de la grève de la faim est de faire comprendre que ce n'est pas nous qui rendons les gens dangereux, mais l'université qui le fait".
"C'est l'université qui nous met en danger. Elle refuse de nous rencontrer et nous sommes prêts à nous laisser mourir de faim. Qui est à l'origine de l'insécurité ? La façon dont on nous dépeint est extrêmement hypocrite. Nous sommes présentés comme violents alors que ce sont les universités qui appellent la police contre des manifestants pacifiques. On nous dépeint comme perturbant tout ce qui nous entoure, alors que nous nous appuyons sur des traditions fondamentales de la culture politique américaine. Nous nous appuyons sur des traditions de sit-in, de grèves de la faim et de campements pacifiques. Les prisonniers politiques palestiniens mènent des grèves de la faim depuis des décennies. La grève de la faim remonte aux luttes anticoloniales antérieures, à l'Inde, à l'Irlande, à la lutte contre l'apartheid en Afrique du Sud."
"La libération de la Palestine est la cause de la libération de l'humanité", poursuit-il.
"La Palestine est l'exemple le plus évident dans le monde d'aujourd'hui, à part les États-Unis, du colonialisme de peuplement.
"La lutte contre l'occupation sioniste est considérée avec justesse par les sionistes, tant aux États-Unis qu'en Israël, comme une sorte de dernier souffle de l'impérialisme. Ils essaient de s'y accrocher. Et c'est ce qui est effrayant. La libération de la Palestine signifierait un monde radicalement différent, un monde qui dépasserait l'exploitation et l'injustice. C'est pourquoi tant de personnes qui ne sont ni palestiniennes, ni arabes, ni musulmanes s'investissent dans cette lutte. Ils en perçoivent l'importance.
"En mécanique quantique, il y a l'idée de non-localité", explique M. Hasan.
"Même si je suis à des kilomètres et des kilomètres de la population palestinienne, je me sens profondément lié à elle, de la même manière que les électrons avec lesquels je travaille dans mon laboratoire sont interconnectés.
"l'idée que la communauté des croyants ne forme qu'un seul corps et que si une partie du corps souffre, tout le corps souffre, il est de notre responsabilité de nous efforcer de soulager cette douleur. Si nous prenons un peu de recul et regardons ce système complexe, il évolue dans une parfaite unité, même si nous ne le comprenons pas parce que nous n'avons accès qu'à une petite partie de ce système. Une profonde justice sous-jacente existe, que nous ne reconnaissons peut-être pas, mais qui est bien présente lorsque nous nous penchons sur le sort du peuple palestinien ».Lorsque l'on passe du temps avec les étudiants dans les manifestations, on entend des histoires de révélations, d'épiphanies. Dans le lexique du christianisme, on appelle cela des moments de grâce. Ces expériences, ces moments de grâce, sont le moteur invisible des mouvements de protestation.
"Il existe une tradition associée au prophète", ajoute-t-il.
"Lorsque vous êtes témoin d'une injustice, vous devez essayer de la réparer de vos mains. Si vous ne pouvez pas la transformer avec vos mains, vous devez essayer de la transformer avec votre voix. Vous devez en parler. Si vous ne pouvez pas le faire, vous devez au moins ressentir l'injustice dans votre cœur. Cette grève de la faim, ce campement, tout ce que nous faisons ici en tant qu'étudiants, c'est ma façon d'essayer de réaliser cela, d'essayer de le mettre en œuvre dans ma vie."
Oscar Lloyd, étudiant en sciences cognitives et en philosophie à Columbia, avait environ huit ans lorsqu'il s'est rendu avec sa famille dans la réserve de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud.
"J'ai vu la grande différence entre l'énorme mémorial de la bataille de Little Bighorn et le petit panneau en bois commémorant le massacre de Wounded Knee",Sara Ryave, étudiante diplômée à Princeton, a passé un an en Israël à étudier à l'Institut d'études juives Pardes, une yeshiva non confessionnelle. Elle a été confrontée à l'apartheid. Elle est bannie du campus après avoir occupé le Clio Hall.
raconte-t-il, comparant les nombreux monuments célébrant la défaite de 1876 de la 7ᵉ cavalerie américaine à Little Big Horn au massacre de 250 à 300 Amérindiens, dont la moitié étaient des femmes et des enfants, en 1890, à Wounded Knee.
"J'ai été choqué par les deux faces de l'histoire, que l'une soit rapportée et que l'autre soit complètement oubliée. C'est l'histoire de la Palestine".
"C'est au cours de cette année que j'ai vu des choses que je n'oublierai jamais", dit-elle. "J'ai passé du temps en Cisjordanie et dans les communautés du sud des collines d'Hébron. J'ai vu les réalités quotidiennes de l'apartheid. Si vous ne les cherchez pas, vous ne les remarquez pas. Mais une fois que vous les avez perçues, si la volonté est là, elles sont évidentes. C'est ce qui m'a prédisposé à la lutte contre l'apartheid. J'ai vu des gens vivre sous la menace de la police et de l'armée des Forces de défense israéliennes tous les jours, dont la vie devient insupportable à cause des colons".Lorsque Hasan était en quatrième année, il se souvient que sa mère pleurait de manière incontrôlable la 27ᵉ nuit du Ramadan, un jour particulièrement saint connu sous le nom de "Nuit du destin". Cette nuit-là, les prières sont traditionnellement exaucées.
"Je me souviens très bien d'avoir prié le soir à côté de ma mère", raconte-t-il. "Ma mère pleurait. Je ne l'avais jamais vue pleurer autant de ma vie. Je m'en souviens très bien. Je lui ai demandé pourquoi elle pleurait. Elle m'a répondu qu'elle pleurait à cause de toutes les personnes qui souffrent dans le monde. Et parmi eux, j'imagine qu'elle avait à cœur le peuple palestinien. À cette époque de ma vie, je ne comprenais pas les systèmes d'oppression. Mais ce que je comprenais, c'est que je n'avais jamais vu ma mère dans une telle souffrance. Je ne voulais pas qu'elle souffre ainsi. Ma sœur et moi, après l'avoir vue souffrir autant, nous sommes mis à pleurer à notre tour. Les émotions étaient si fortes ce soir-là. Je crois que je n'ai jamais pleuré comme ça de ma vie. C'est la première fois que j'ai pris conscience de la souffrance dans le monde, en particulier des systèmes d'oppression, même si je n'en ai vraiment compris les multiples dimensions que bien plus tard. C'est à ce moment-là que mon cœur a établi un lien avec le sort du peuple palestinien".Helen Wainaina, doctorante en anglais qui a occupé Clio Hall à Princeton et est interdite d'accès au campus, est née en Afrique du Sud. Elle a vécu en Tanzanie jusqu'à l'âge de 10 ans, puis a déménagé avec sa famille à Houston.
"Je pense à mes parents, à leurs voyages en Afrique et à leur départ du continent africain", dit-elle. "Si les choses s'étaient déroulées différemment lors des mouvements post-coloniaux, ils n'auraient pas eu à partir. Nous aurions pu vivre, grandir et étudier là où nous vivions. J'ai toujours pensé qu'il s'agissait d'une profonde injustice. Je suis reconnaissante à mes parents d'avoir fait tout ce qu'ils pouvaient pour nous amener ici, mais je me souviens que lorsque j'ai obtenu ma citoyenneté, j'étais très en colère. Je n'avais pas mon mot à dire. J'aurais aimé que le monde s'oriente différemment, que nous n'ayons pas besoin de venir ici, que les rêves post-coloniaux des personnes qui ont travaillé sur ces mouvements se concrétisent vraiment".Les mouvements de protestation — qui ont gagné le monde entier — ne s'articulent pas autour du seul problème de l'État d'apartheid en Israël ou de son génocide à l'encontre des Palestiniens. Ils s'articulent autour de la prise de conscience que l'ancien ordre mondial, celui du colonialisme de peuplement, de l'impérialisme occidental et du militarisme dont usent les pays du Nord pour dominer ceux du Sud, doit cesser. Elles dénoncent l'accaparement des ressources naturelles et des richesses par les nations industrielles dans un monde aux rendements décroissants. Ces protestations s'articulent autour de la vision d'un monde d'égalité, de dignité et d'indépendance. Cette vision et l'engagement en sa faveur, rendra ce mouvement, non seulement difficile à vaincre, mais présage d'une lutte plus large, au-delà du génocide à Gaza.
Le génocide a réveillé un géant endormi.
Prions pour que ce géant l'emporte.
Article original en anglais :
https://scheerpost.com/2024/05/08/chris-hedges-the-nations-conscience/
Traduction : Spirit of Free Speech
Image en vedette : Capture d'écran. Strangelove 2024 — par Mr. Fish
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Chris Hedges est un journaliste lauréat du prix Pulitzer qui a été correspondant à l'étranger pendant quinze ans pour le New York Times, où il a été chef du bureau du Moyen-Orient et chef du bureau des Balkans. Auparavant, il a travaillé à l'étranger pour le Dallas Morning News, le Christian Science Monitor et NPR. Il est l'animateur de l'émission The Chris Hedges Report. Il a fait partie de l'équipe qui a remporté le prix Pulitzer 2002 du reportage explicatif pour la couverture du terrorisme mondial par le New York Times, et il a reçu le prix mondial 2002 d'Amnesty International pour le journalisme sur les droits de l'homme. Hedges, titulaire d'une maîtrise en théologie de la Harvard Divinity School, est l'auteur des best-sellers "American Fascists: The Christian Right" et "The War on America, Empire of Illusion: The End of Literacy and the Triumph of Spectacle", et a été finaliste du National Book Critics Circle pour son livre "War Is a Force That Gives Us Meaning". Il rédige une chronique en ligne pour le site ScheerPost. Il a enseigné à l'université Columbia, à l'université de New York, à l'université de Princeton et à l'université de Toronto.
Et on pourrait rajouter : "QUI" pilote in Fine les Grandes Firmes US, qui elles-mêmes financent les dites universités ...