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© Franck SeguinIls ont choisi lui un jean, elle une robe dorée pour se mouvoir ensemble, les yeux fermés. Une étreinte d’une grâce indescriptible.
Les amoureux se sont rencontrés sur une samba endiablée. Un premier contact inoubliable, même si la danse de Julie a donné quelques frayeurs à Guillaume. « En apnée, explique le jeune homme attablé dans un bistrot du vieux Nice, une "samba" est une perte de contrôle moteur à la suite d'un manque d'oxygène. Elle se ­caractérise par un mouvement saccadé de la tête, rappelant celui de la célèbre danse... » Et Guillaume de mimer le mouvement devant le serveur. « Tu ne te moquerais pas de moi, là ? » sourit Julie, assise à son côté. « C'était en 2000, poursuit-elle. Je plongeais et il faisait partie de l'équipe de sécurité, mais on ne se connaissait pas. Quand j'ai eu cette légère perte de connaissance, je suis tombée dans ses bras... » A l'époque, Julie n'est pas célibataire. Mais en 2006, les deux apnéistes se retrouvent enfin pour vivre leur histoire d'amour, sur terre et sous l'eau.

Guillaume Néry et Julie ­Gautier, c'est d'abord un goût prononcé pour les défis. « J'avais 14 ans quand j'ai expérimenté mes premières apnées... dans un bus ! ­explique le Niçois. Avec un copain, on se lançait des paris en rentrant du collège. Jusqu'au jour où il m'a demandé : "Combien de temps tu tiens sans respirer, toi ?" Il m'a battu en 2 minutes 09 ! Je m'en ­souviens encore... Dès que je suis rentré chez moi, j'ai commencé à m'entraîner dans mon lit avec un chrono. » Pendant ce temps-là, sur l'île de La Réunion, Julie est déjà une adepte de la pêche sous-marine en apnée. Avec son père, Alain, elle part en mer chercher la nourriture pour le soir. « C'était à qui ramènerait le plus beau poisson. Dès qu'il pêchait une carangue, il fallait que je trouve encore plus gros. » L'esprit de compétition et l'amour du large : pas étonnant que les chemins de ces deux-là se soient croisés.

Descendre le plus profond possible à la seule force des muscles des jambes et des bras

Lui, 27 ans, 1,85 mètre, 73 kilos, gueule d'ange posée sur un physique de mannequin, avec sa tignasse de surfeur il pourrait faire de la pub pour un shampooing. Mais il a choisi l'apnée « à poids constant sans palmes », une des plus pures, le but étant de descendre le plus profond possible à la seule force des muscles des jambes et des bras. Quadruple recordman du monde, Guillaume est le plus doué de sa génération. Fait rare dans le milieu, la célèbre maison suisse Ball Watch a créé une montre collector portant son nom. Elle, 30 ans, mi-réunionnaise mi-vietnamienne, corps de ­sirène, championne de France en titre dans la même catégorie que son « Gui », comme elle l'appelle, est l'une des dix meilleures apnéistes sur la planète mer.

Difficile, donc, pour le couple, de faire abstraction d'une passion dévorante, mais qui aurait pu être destructrice. « Au début, confie Julie en prenant la main de Guillaume, c'était tellement fusionnel entre nous que cela aurait pu nous détruire. Aujourd'hui, ­notre couple est plus équilibré. On est très indépendants. » Un bien, surtout pour la jeune femme qui a eu peur de ne pas trouver sa place. « Je ne voulais pas devenir "Mme Néry", la copine du champion. Ce n'est pas dans mon caractère. » Elle se tourne alors vers son homme, le regarde droit dans les yeux : « Que l'apnée soit ta maîtresse ne me dérange pas. Tant qu'elle ne t'enlève pas à moi et que tu rentres le soir à la maison... » Il sourit. « On ne voit pas la plongée de la même façon. Pour Julie, l'apnée est un moyen, pas une fin. »

Les amoureux s'embrassent sous le regard du serveur qui s'approche de la table. Au fait, combien dure un baiser sans respirer ? « Ça, c'est bien une question de journaliste à des apnéistes ! s'amuse Julie. Moins de cinq ­minutes, me concernant. - Je tiens deux minutes de plus que toi », ­rappelle le champion.

« Mal se nourrir, c'est ne pas se respecter »

« Et si on passait commande ? » s'impatiente la jeune femme en refermant sa carte. Depuis leur rencontre, ces passionnés ont trouvé dans la cuisine un même terrain de jeux. Mordus d'Asie après des voyages au Japon et en Thaïlande, ils s'enrichissent l'un l'autre dans une motivation commune : manger sain, non pas dans une optique sportive mais pour une meilleure hygiène de vie. « Une passion qui prend du temps », souligne Julie avant de laisser son Gui expliquer : « Mon ouvrage de référence est "La faim du tigre" de René Barjavel, une réflexion philosophique sur l'existence. Mal se nourrir, c'est ne pas se respecter. » Ils ont supprimé toute source de gluten, comme les farines de blé, et s'autorisent peu de céréales : riz, millet, quinoa ou sarrasin. Ils ont aussi éliminé tous les produits laitiers d'origine animale, excepté le lait de brebis que Julie utilise pour faire des yaourts. Guillaume explique : « Le lait de vache contient beaucoup trop de lactose, difficile à digérer. »

Ecoutant la conversation, le serveur ne peut s'empêcher d'intervenir : « Désolé, mais je crains que nous n'ayons rien de ce qui vous convient à la carte. - Ce n'est pas grave, on va commencer par se partager une bonne pizza ! » lui répond Guillaume. Devant le regard interrogatif du garçon, le jeune homme se justifie : « Eh oui, on va prendre une pizza avec du gluten et de la sauce tomate industrielle ! Il ne faut pas non plus tomber dans l'excès et ­oublier la notion de plaisir. Une fois, ce n'est pas grave. » « On n'est pas des ayatollahs du manger sain », souffle Julie. « Et puis il y a entraînement cet après-midi », lui répond du tac au tac le champion avant de se moquer tendrement : « A moins que tu préfères danser la samba pour digérer ? »