Il s'appelle Spintronics et c'est un bien curieux appareil d'imagerie cérébrale mis au point par des chercheurs de l'université McGill de Montréal. Dans le jargon de ces scientifiques, cette espèce de scanner d'un nouveau genre décode « les corrélations neurales de la pensée ». Pour le dire plus clairement, cette machine lit dans les pensées.
Cerveau
© Inconnu
Pour son premier test, dont rend compte une étude à paraître dans la revue Frontiers in Human Neuroscience, 58 cobayes ont été recrutés. Ces derniers devaient s'asseoir dans un fauteuil, se faire coller quelques électrodes sur le visage et placer leur crâne dans ce qui ressemblait à un casque séchant de salon de coiffure. Auparavant, ils avaient dû choisir mentalement et écrire sur une feuille de papier (pour vérification ultérieure) un nombre à deux chiffres, un autre à trois chiffres, une couleur et un nom de pays. Puis, l'expérience commençait réellement. Le scanner était lancé avec son bruit caractéristique et l'on demandait aux participants de se concentrer sur chacun de ses quatre choix secrets, un par un. Spintronics moulinait et sur l'écran de la console de contrôle apparaissaient des images de synthèse du cerveau en trois dimensions.

Au terme de l'expérience, la machine livrait ce qu'elle avait « vu ». Tout correspondait, nombres, couleurs, noms de pays... Les personnes testées devaient exprimer ce qu'elles avaient ressenti vis-à-vis de l'expérience et notamment évaluer sa crédibilité.

Vous l'avez sans doute compris, il n'y avait pas plus d'appareil miraculeux lisant dans les pensées que de beurre en broche (il faut donc prendre le « incroyable » qui figure dans le titre de ce billet dans son sens premier : qui n'est pas croyable...). Tout ce protocole n'était en réalité qu'une astucieuse manipulation destinée à mesurer ce que les auteurs de l'étude nomment le « neuro-enchantement », c'est-à-dire la fascination pour les résultats merveilleux, presque magiques, des neurosciences, lesquelles bénéficient d'une belle cote de popularité tant chez les universitaires que dans les médias, prompts à se jeter sur tous les travaux annonçant un pas supplémentaire dans le décryptage des mystères de notre encéphale...
Neuro-imagerie
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La console de Spintronics n'était qu'un assemblage grossier de divers éléments récupérés sur de vieux appareils médicaux des années 1960 tandis que le dispositif dans lequel les cobayes avaient glissé leur tête était réellement un casque séchant provenant d'un salon de coiffure (voir les photos ci-dessus) ! Les images défilant sur l'écran provenaient d'une vidéo enregistrée tout comme était enregistré le son du scanner...

Mais comment, me direz-vous, la machine, même factice, a-t-elle pu deviner les informations secrètes choisies par les participants étant donné qu'ils avaient gardé sur eux la feuille sur laquelle ils les avaient inscrites ? L'énigme disparaît quand on sait que le chercheur ayant supervisé ce travail, Amir Raz, a pour violon d'Ingres le mentalisme, ce domaine de la magie qui prend votre cerveau pour terrain de jeu. Le professeur Raz a donc enseigné à l'expérimentatrice quelques ficelles du métier pour lui permettre d'extorquer les précieuses informations aux cobayes sans qu'ils s'en doutent (malheureusement, l'étude n'entre pas dans les détails car on sait que tout magicien qui se respecte se refuse à dévoiler ses trucs...).

En moyenne, 76 % des participants ont cru sans problème que la machine avait bel et bien lu dans leurs pensées. Le comble, c'est que, parmi les 58 personnes testées se trouvaient 26 étudiants d'Amir Raz, lesquels travaillent, entre autres choses, sur les atouts et les faiblesses des différentes techniques d'imagerie du cerveau ! Dans les cours qu'il leur avait dispensés, l'enseignant-chercheur avait particulièrement insisté sur le fait qu'il était actuellement impossible de décrypter les pensées de quelqu'un et il s'était même assuré que ce point était assimilé à l'occasion de l'examen de fin d'année. Dernier détail savoureux, ses étudiants savaient qu'Amir Raz pratiquait le mentalisme... Et malgré cela, deux tiers d'entre eux sont tombés dans le panneau.

Pour les auteurs de ce travail, l'expérience montre la puissance du « neuro-enchantement », à quel point on surestime l'état de nos connaissances sur le cerveau ainsi que nos capacités à tirer de la neuro-imagerie des informations aussi complexes que des pensées. Que des mois d'enseignement à ce sujet puissent être mis à mal avec un gros sèche-cheveux et quelques bidules vaguement scientifiques en dit long sur la puissance de cette croyance, capable d'effacer tout jugement critique même chez des personnes aguerries et de leur faire accepter une sorte de résultat magique.

Amir Raz et ses collègues estiment que le risque n'est pas nul que des personnes profitent de cette « surcote » et saupoudrent leur discours de grains de neurosciences pour accroître artificiellement la crédibilité de leurs dires. Dans le même ordre d'idées, ces chercheurs soulignent le danger qu'il y a à introduire, comme c'est de plus en plus souvent le cas, la science du cerveau et la neuro-imagerie comme élément à charge ou à décharge au cours des procès.