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© DRUn extrait de Gasland, le documentaire de Josh Fox sur la fracturation hydraulique
Il attire l'attention sur les risques de la fracturation hydraulique, cette technique de forage horizontal en plein boom aux États-Unis et aux conséquences encore mal connues...



De l'eau du robinet inflammable, des animaux morts, des habitants malades, des nappes polluées... Le tableau brossé par Josh Fox dans le documentaire GasLand, lauréat à Sundance et qui sera diffusé aux États-Unis le 21 juin prochain sur HBO, fait réfléchir.

Bien sûr, comme chez Michael Moore, tout est ici à charge et l'industrie combat farouchement ses affirmations. Mais en pleine marée noire, et à mesure que les accidents (fuites, explosions) se multiplient sur la terre ferme, les politiques commencent à exiger des enquêtes qui pourraient mener à davantage de régulations. Histoire de ne pas sacrifier l'eau potable, notamment en amont de New York, sur l'autel du gaz et de l'indépendance énergétique.

Le gaz de schiste est le nouvel eldorado américain. Les États-Unis sont devenus en 2009 le premier producteur mondial de gaz naturel, devant la Russie. Une percée en grande partie due à l'exploitation de ces gisements prisonniers sous la roche, parfois à près de 3.000 mètres de profondeur.

Si loin sous terre, ce gaz est difficilement accessible. L'industrie a donc perfectionné la technique de fracturation hydraulique, («fracking», dans son raccourci anglais). Il s'agit d'injecter dans le puits - d'abord vertical, puis ensuite horizontal - un mélange à haute pression d'eau, de sable et de produits chimiques. Tout le long du conduit, les roches souterraines se fissurent, libérant le gaz, qui peut ensuite être acheminé vers la surface.

Problème, à la différence du pétrole, souvent présent dans de vastes gisements, ce gaz de schiste se trouve dans des petites poches plus largement disséminées, notamment dans des Etats comme la Pennsylvanie, le Colorado, la Virginie ou le Texas. Et parfois, dans des zones habitées.

Louer ou ne pas louer son terrain, un dilemme pour de nombreux habitants

En 2006, Josh Fox et sa famille reçoivent une lettre d'une compagnie de forage minier. Elle leur propose une véritable manne financière: près de 100.000 dollars contre le droit d'installer des puits sur 10 hectares de leur propriété. «Vous remarquerez à peine notre présence», promet-elle. Au lieu d'accepter, Josh Fox parcourt le pays et enquête.

Il rencontre de nombreux habitants qui ne peuvent plus boire l'eau du robinet - les compagnies pétrolières leur fournissent souvent de l'eau minérale. Des analyses révèlent la présence de benzène, méthane et de nombreux produits toxiques, parfois dans des concentrations 1.500 fois supérieures aux normes de sécurité. Tellement que chez certains, l'eau du robinet devient inflammable. Dans ces voisinages, des animaux tombent malades et des habitants se plaignent de multiples problèmes de santé.

Si certains acceptent la manne financière, la construction du puits leur est parfois imposée: dans beaucoup d'Etats américains, le propriétaire d'un terrain n'est en effet pas propriétaire du sous-sol. Certains sont satisfaits et ne se plaignent d'aucun effets secondaires. D'autres entament des procédures judiciaires qui se terminent souvent par un règlement à l'amiable et par le versement d'indemnités en échange d'une interdiction de témoigner dans les médias - via la signature d'un non disclosure agreement
Rapport controversé

Comment savoir si les cas sont causés par la fracturation hydraulique? «L'eau était potable avant, elle ne l'est pas après, faites le calcul», expliquait Josh Fox à l'antenne de la radio publique NPR jeudi. Il reconnaît toutefois qu'il ne s'agit que de «causalité suspecte» et pas scientifiquement prouvée.

L'industrie, elle, réfute totalement les accusations. Elle note que les forages ont lieu à plusieurs kilomètres sous les nappes phréatiques, et que la technologie des caissons d'isolement a fait de grands progrès. Preuve ultime, un rapport de l'Agence gouvernementale de protection de l'environnement (EPA) de 2004 avait conclu que le fracking ne présentait «pas de menace» pour l'eau potable. Sauf qu'une enquête de PropPublica, un groupe à but non lucratif de journalistes, révèle que la rédaction du rapport a fait l'objet de négociations entre l'EPA et l'industrie, qui disposait du défenseur ultime à la Maison Blanche, avec la présence de Dick Cheney à la vice-présidence pendant huit ans.

Régulations limitées

Dick Cheney n'est autre que l'ancien PDG d'Halliburton, l'un des géants du pétrole. En 2005, l'administration Bush passe une loi sur l'énergie qui exempte la fracturation hydraulique des régulations du Clean Water Act. Les entreprises ne sont même pas contraintes de révéler au public l'intégralité des produits chimiques présents dans le liquide de fracking. Question de protection de secrets industriels.

Face à la grogne qui monte, plusieurs sénateurs américains militent pour l'adoption d'un «Frack Act», qui imposerait des règles et des contrôles plus stricts. Pour l'instant, son examen a sans cesse été repoussé, la manne potentielle du gaz naturel étant vue par beaucoup comme un pas vers l'indépendance énergétique des États-Unis face au pétrole étranger. Au printemps dernier, l'EPA a cependant lancé la première étude globale à l'échelle nationale, reconnaissant que les choses avaient «beaucoup changé» depuis celle de 2004.

Il s'agit de déterminer si les cas problématiques sont isolés et le résultat d'erreurs humaines, ou si le processus de fracturation hydraulique en lui-même est dangereux. Les géologues et les experts sont partagés sur la question. En attendant, la ruée vers le gaz se poursuit.

Et en France?

Vallourec, premier fournisseur mondial de tubes pour l'énergie, investit actuellement 650 millions de dollars dans son usine américaine, dans l'Ohio. Total a déjà injecté des milliards de dollars aux États-Unis et fait de l'exploitation du gaz de schiste «une priorité». Dans une interview au Figaro, Jean-Jacques Mosconi, directeur de la stratégie de Total, expliquait en avril dernier que l'entreprise était prête à explorer des champs de gaz de schiste en Europe, en Allemagne et en France, notamment. Le 31 mars, Total a annoncé avoir obtenu un permis d'exploration dans la région de Montélimar.