Plus de 3,6 millions de personnes en France sont mal logées ou sans abri, selon le 16e rapport de la Fondation Abbé-Pierre, véritable "livre noir" du logement qui sera présenté au public mardi 1er février, à Paris. Les données recueillies par la Fondation sont comparables à celles de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), qui évalue à quelque 3 millions de personnes le nombre de mal-logés.

La différence tient pour l'essentiel au nombre de personnes habitant chez des tiers : tandis que l'Insee n'inclut que les personnes âgées de 17 à 59 ans résidant chez des tiers avec lesquels elles n'ont pas de lien de parenté "direct", la Fondation élargit son décompte aux enfants adultes qui reviennent chez leurs parents et aux plus de 60 ans.

A partir des témoignages et données recueillis auprès d'associations, du ministère du logement, d'organismes œuvrant dans le secteur et de l'Insee, la Fondation Abbé-Pierre recense :

685 000 personnes "privées de domicile personnel" (13 000 sans domicile, 18 116 en résidence sociale, 38 000 en chambre d'hôtel, 85 000 dans des "habitations de fortune" et 411 000 chez des tiers) ;

plus de 2,9 millions de personnes vivant dans des conditions de logement "très difficiles", sans confort ou en surpeuplement ;

172 847 personnes locataires de meublés ;

86 612 gens du voyage ne pouvant accéder à une aide d'accueil.

Soit un total de plus de 3,8 millions de personnes "non ou très mal logées", ramené à plus de 3,6 millions une fois retirées les 210 000 situations entrant dans plusieurs cases.

Pour résoudre le problème, "il faudrait produire environ 500 000 logements par an pendant plusieurs années", résume Christophe Robert, directeur des études de la Fondation. Mais le nombre de mises en chantier ne cesse de diminuer depuis 2007 (environ 350 000 en 2010 contre 435 000 en 2007).

AVEC LA CRISE, DES MÉNAGES BASCULENT

Dans ces conditions, la crise s'aggrave, les services d'hébergement d'urgence sont "sous pression", les plus démunis s'enfoncent un peu plus : ils se réfugient dans des cabanes, des caves, des parkings, alimentant une "zone grise" du logement, ou se rassemblent sur "des territoires d'exclusion", générant une "tiers-mondisation" du parc de logements.

Avec la crise économique, des milliers de ménages jusqu'à présent épargnés sont désormais eux aussi confrontés à des difficultés pour se loger décemment. De plus en plus de ménages sur le fil avant la crise basculent à l'occasion d'un licenciement, d'une rupture familiale. Parmi eux, des salariés aux rémunérations "faibles ou même moyennes", des chômeurs, "mais aussi des retraités, des commerçants, des intermittents du spectacle, des autoentrepreneurs" qui ne peuvent plus répondre à l'explosion des prix de l'immobilier.

8 MILLIONS DE PERSONNES CONCERNÉES

"C'est le monde des (...) 15 millions de personnes dont les fins de mois se jouent à quelques dizaines d'euros près, selon le médiateur de la République", précise le rapport. Témoin de la dégradation, l'Union sociale pour l'habitat (USH) estime que "les impayés de plus de trois mois ont augmenté de plus de 13 % entre fin 2008 et fin 2009". "Les décisions de justice prononçant l'expulsion n'ont jamais été aussi nombreuses depuis dix ans (106 938 en 2009)", note aussi la Fondation Abbé-Pierre.

Celle-ci va plus loin en ajoutant aux 3,6 millions de mal-logés plus de 5,1 millions de personnes "en situation de réelle fragilité de logement à court ou moyen terme" (occupant une copropriété en difficulté, un logement surpeuplé, ou devant faire face à des impayés de loyer). Elle évalue ainsi à plus de 8 millions le nombre de personnes concernées à des degrés divers par la crise du logement.

Pour les héritiers de l'abbé Pierre, le logement, qui engloutit en moyenne plus d'un quart des revenus de chaque Français, doit être la priorité des candidats à l'élection présidentielle de 2012, qui se verront soumettre une charte préparée pour l'occasion.