Image
Pour savoir qui te gouverne, il suffit de trouver qui tu n'es pas autorisé à critiquer
Chez nous, les conversations les plus intéressantes ont lieu autour de la table du petit-déjeuner avant d'entamer notre journée de travail. Les sujets vont des comportements étranges des animaux à la politique, en passant par tout ce qui peut exister entre les deux (hum... en fait, les « comportements étranges des animaux » et la « politique » peuvent avoir plus en commun que ce que l'on ne soupçonnerait au départ). Quoi qu'il en soit, ce matin, un membre de la famille a fait l'observation que tout est tel que je le décrivais dans l'un des chapitres de L'Onde il y a environ 16 ans, que l'on peut regarder par la fenêtre et voir les voitures passer, les oiseaux sautiller de ci de là, les gens vaquer à leurs occupations comme si tout était toujours pareil alors que ce n'est pas le cas ; et savoir que ce n'est plus pareil peut avoir un effet profond et viscéral sur une personne.

Dans L'Onde, j'abordais la question de devenir conscient, en collectant des preuves et en reliant les points, que notre réalité peut/doit être ancrée dans une sorte de « réalité hyperdimensionnelle » bizarre et que nous menons nos vies comme l'illustre Platon avec son allégorie de la caverne. Lire des choses du domaine des idées platoniciennes est un exercice intellectuel intéressant, mais pour moi, et beaucoup d'autres, il s'agit d'une expérience viscérale. Quoi qu'il en soit, le passage en question énonce ce qui suit :
Pendant des siècles - voire même des millénaires - des religions et une dynamique sociale simplistes ont prévalu sur presque toute la planète. Cette situation était rendue possible par le fait que, lorsqu'il y avait « intrusion » d'un être hyperdimensionnel dans notre réalité - lorsque ces entités « s'invitaient » à dîner, si j'ose dire - le manque de moyens de communication entre tribus et peuples facilitait la dissimulation de l'événement.

Lorsque, bien à l'abri chez nous, nous contemplons notre réalité - y compris notre environnement immédiat - nous remarquons un front « stable ». Les voitures défilent dans la rue, transportant des gens de tel à tel point au gré de leurs activités quotidiennes. Le soleil brille, des enfants passent en bavardant et en riant. Chacun est impliqué dans sa propre vie d'une manière immédiate, en s'y identifiant, convaincu que cette vie est la réalité, qu'elle est ce qui est.

Mais de temps à autre, un événement bizarre survient, et la personne qui le vit s'efforce d'intégrer cette anomalie au continuum espace/temps. Habituellement, l'incident est suffisamment insignifiant pour qu'elle « l'étouffe » et l'oublie - ce qu'elle doit absolument faire, car il jure trop par rapport au cours des événements, à ce qui est admis comme normal. Il doit donc être escamoté, puis oublié.

Il arrive que des anomalies plus flagrantes surviennent dans la réalité - témoignant d'une intrusion du système de contrôle hyperdimensionnel - ou que le « voile » se déchire d'une façon ou d'une autre, ce qui fait alors les gros titres de la presse. Charles Fort a passé de nombreuses années à collecter des articles rapportant ce genre d'incidents dans des journaux ou magazines du monde entier.

Lorsqu'un événement de ce genre a lieu, le « système de croyances en vigueur » se hâte de le « minimiser », si bien que chacun peut continuer à vivre dans ses illusions respectives ou collectives. En outre, puisque ces types d'événements sont locaux, il est aisé de les étouffer. Il était d'ailleurs bien plus aisé de les étouffer dans le passé.

Quand on lit les informations rassemblées par Charles Fort, on constate que la « réalité alien » dont on parle tant de nos jours était tout autant d'actualité à son époque. En fait, on constate qu'elle est en quelque sorte « cyclique ». Tout comme nous avons des cycles de production alimentaire (plantation, croissance, et récolte), les êtres hyperdimensionnels semblent nous moissonner selon quelque loi « saisonnière ».

Par le passé, il était infiniment plus facile d'étouffer la question. Mais avec le temps, les gens se sont cultivés. Des livres, articles et magazines ont été publiés et diffusés. Voyager est devenu plus facile, et les informations en provenance du monde entier faisant état « d'étranges intrusions » dans notre réalité sont devenues accessibles, donnant l'impression générale que quelque chose « n'est pas clair ».

Avant Charles Fort, certains sentaient déjà le « cadavre dans le placard ». Mais monsieur Fort agita carrément ce cadavre sous notre nez, et les réactions furent des plus intéressantes. La machine à censure se mit à tourner à plein régime, utilisant les vecteurs extrêmement efficaces que sont la science et la religion conventionnelles.

Or le cadavre avait répandu son odeur, et certains ne pouvaient plus se contenter de le remettre dans le placard. La puanteur montait par la porte désormais entr'ouverte.

Certains cherchèrent à savoir d'où venait cette pestilence. Ils commencèrent à rassembler connaissances et informations.

On peut même remarquer de quelle manière la machine à censure lança son entreprise de « damage control ». Lorsqu'on étudie l'histoire des mouvements et changements sociaux et religieux, on se rend compte que le « mécanisme de contrôle » se métamorphose à chaque nouvelle découverte ou prise de conscience de l'humanité ; à mesure que les hommes abandonnaient les anciennes religions et les explications simplistes, de nouvelles « religions » se mirent en place. Exactement au bon moment - c'est-à-dire en plein essor de la science et des connaissances sur la nature de la réalité, lesquelles remettaient sérieusement en cause les anciennes vues religieuses - le mouvement spiritualiste fit son apparition, aboutissant aux informations reçues par channeling, lesquelles avaient pour but de colmater les brèches faites dans le réseau de contrôle. Des explications nouvelles, plus élaborées, sur les « mondes supérieurs » furent communiquées dans notre réalité. Et à chaque nouvelle question, le système de contrôle apportait une nouvelle réponse qui aiderait chacun à se calmer, à se détendre et surtout à arrêter de poser des questions !

De nos jours, ce processus est devenu d'autant plus évident. Il y a quelques années, lorsque nous avons commencé à partager les informations cassiopéennes, la plupart des sujets dont nous traitions n'étaient pas même évoquées par les autres « sources ». Aujourd'hui, dès que nous publions quelque chose, « l'autre bord » présente un nouveau candidat qui donne de nouvelles explications destinées à « colmater les brèches » que nous ouvrons dans le mur de la réalité. [L'Onde Tome III, p 388-390]
Par la suite, après le 11 septembre, alors que je poursuivais ma série d'écrits intitulée Adventures With Cassiopaea (tout est désormais regroupé dans les tomes de L'Onde), j'écrivais dans un contexte quasiment identique :
Comme le savent la plupart d'entre nous, le statu quo de la planète a été sacrément « restreint » le 11 septembre 2001 - un événement charnière, et nos vies ne seront plus jamais les mêmes. Aujourd'hui, des unités de la Garde nationale patrouillent dans les terminaux des aéroports, et le Capitole de notre nation, le siège du Sénat, est fermé à cause de la menace de l'anthrax. Des barricades bloquent les rues menant à la Maison Blanche. Le FBI place des centaines de suspects en détention ; le « Patriot Bill » (H. R. 3108) suspend d'importantes clauses de la Déclaration des droits ; le Bureau du département de la Sécurité intérieure a été créée, et le Model State Emergency Health Powers Act [loi sur la situation d'urgence en matière de santé publique - NdT] entrera bientôt en vigueur dans tous le pays. La plupart des gens acceptent ce qui se passe parce qu'on leur a dit qu'il nous fallait changer notre mode de vie et accepter davantage de surveillance de la part du gouvernement, afin de préserver nos libertés. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. Ces nouvelles mesures visent à restreindre nos libertés, à saper notre Constitution, et à inaugurer le Nouvel Ordre Mondial. [L'Onde Tome V, p 181]
Évidemment, je vivais toujours aux États-Unis à l'époque. Comme je l'ai relaté ailleurs, pour diverses raisons, dont la principale était que nous pouvions voir le funeste destin qui attendait les États-Unis et que la France se montrait réticente à se plier aux demandes de l'Empire du Mal en refusant de participer à la guerre préventive illégale contre l'Afghanistan et l'Irak (je n'aborderai même pas la raison pour laquelle c'était plus que crétin), nous avons fait nos valises et avons déménagé en France en bloc. J'ai appris assez rapidement que la « liberté d'expression » a une définition très différente de celle en vigueur aux États-Unis, mais puisque je pouvais toujours écrire sur les comportements étranges des animaux, la politique et tout ce qui existe entre les deux, les petits détails ne constituaient pas un problème.

À présent, permettez-moi de changer d'approche.

Bizarro World

Image
J'ai grandi avec les bandes dessinées de Superman. Burton L. Mack souligne que nos mythologies profanes, comme les héros des bandes dessinées, tendent à « tirer leur pouvoir de leur similarité improbable avec les caractéristiques de l'épopée biblique », tel que le modèle de Jésus dans l'Évangile selon Marc, « ils apparaissent dans un monde incapable de résoudre ses problèmes » et servent de sorte de faiseur de miracles itinérant.[i] Il paraît que Superman a été créé par deux adolescents juifs à une époque où les juifs avaient désespérément besoin d'une figure héroïque, et celui-ci présente toutes les caractéristiques d'un messie ou d'un rédempteur. Kal-El, le véritable nom de Superman, fait penser à Emmanu-El, « Dieu est avec nous », et se traduit de l'hébreu par quelque chose du genre « Tout ce que Dieu est ».

Toutefois, ce qui m'intéresse ici, c'est Bizarro World qui a été intégré à l'univers DC Comics dans les années 60. On connaît aussi Bizarro World sous le nom de « Htrae » ou « Earth » (la Terre) à l'envers. Il s'agit d'une planète en forme de cube où habitent Bizarro et ses compagnons qui sont tous des versions « Bizarro » de Superman et de son entourage. Dans le monde Bizarro, la société est régie par le Code Bizarro qui stipule : « Nous faisons l'opposé de toutes les choses terrestres ! Nous haïssons la beauté ! Nous aimons la laideur ! Le grand crime est de faire quoi que ce soit de parfait dans le monde Bizarro ! » Dans un des épisodes, un vendeur fait une bonne affaire en vendant des obligations Bizarro « garanties pour vous faire perdre de l'argent ». Par la suite, le maire engage Bizarro n°1 pour enquêter sur un crime « parce que tu es plus stupide que toute la police réunie » - un grand compliment compris comme tel. Ainsi, Bizarro World en est venu à représenter un endroit où des événements sont bizarrement inversés ou contraires aux attentes.

Double pensée, double langage, double discours

Évidemment, si des gens non « Bizarro » se réveillaient soudain dans Bizarro World, ou si les habitants de Bizarro avaient atterri sur Terre et pris le pouvoir, cela demanderait une certaine adaptation à beaucoup de gens. Bien entendu, on remarque qu'un grand nombre de gens n'ont pas besoin de s'ajuster à ce que les autorités proclament ou font. Les travaux du psychologue Bob Altemeyer sur la personnalité autoritariste expliquent cela relativement bien. Sur son site web, Altemeyer nous présente son ouvrage :
Il traite de ce qui est arrivé au gouvernement américain dernièrement. Il traite des décisions désastreuses que le gouvernement a prises. Il traite de la corruption qui a pourri le Congrès. Il traite de la façon dont le conservatisme traditionnel a presque été anéanti par l'autoritarisme. Il traite de la « droite religieuse » qui s'est unie aux dirigeants autoritaristes amoraux pour imposer son programme antidémocratique au pays. [...]

Prenez par exemple la déclaration suivante : « dès que nos gouvernants et les autorités condamnent les éléments dangereux de notre société, il est du devoir de tout citoyen patriote d'aider à piétiner la pourriture qui empoisonne notre pays de l'intérieur ». On dirait des propos qu'Hitler aurait pu tenir, non ? Vous voulez deviner combien de politiciens, combien de législateurs aux États-Unis, sont d'accord avec ça ? Vous voulez savoir ce qu'ils ont en commun ?

Ou qui d'un programme gouvernemental qui persécute les partis politiques, ou les minorités, ou les journalistes que les autorités n'aiment pas en les mettant en prison, voire en les torturant et en les tuant. Personne n'approuverait cela, n'est-ce pas ? Devinez à nouveau.

Ne pensez pas un instant que ceci ne vous concerne pas personnellement. Permettez-moi de vous demander, pendant que nous passons du temps ici, à combien de gens ordinaires pensez-vous qu'une autorité malveillante devrait ordonner de vous tuer avant de trouver quelqu'un qui le ferait injustement, par pure obéissance, simplement parce que l'autorité l'a demandé ? Quel genre de personne est le plus susceptible de suivre un tel ordre ? Quel sorte de fonctionnaire est le plus susceptible de donner cet ordre s'il convient à ses objectifs ? Regardez ce que les expériences nous disent, comme je l'ai fait. [...]

Les études expliquent tant de choses sur ces gens. Oui, les recherches montrent qu'ils sont très agressifs, mais pourquoi sont-ils autant hostiles ? Oui, les expériences montrent qu'ils sont presque totalement influencés par le raisonnement et les preuves, mais pourquoi sont-ils aussi dogmatiques ? Oui, les études montrent que la Droite religieuse a plus que sa part équitable d'hypocrites, du sommet au bas de l'échelle ; mais pourquoi sont-ils faux-culs, et comment se fait-il qu'un de leur visage ne remarque jamais l'autre ? Oui, les dirigeants peuvent donner les plus piètres excuses, et même mentir ouvertement, à propos de ce qu'ils ont mal fait, mais pourquoi la base les croit-elle ? Qu'arrive-t-il lorsque les suiveurs autoritaristes trouvent les meneurs autoritaristes dont ils ont besoin et se mettent à marcher ensemble ?[ii]
Le problème des suiveurs autoritaristes, qui sont souvent des gens foncièrement décents, nous amène à la question de la double pensée. George Orwell a inventé ce terme dans son roman 1984. Dans le roman, l'origine de la double pensée chez le citoyen typique n'est pas claire mais les travaux d'Altemeyer contribuent grandement à l'expliquer ; Orwell montre explicitement que les gens apprennent la double pensée et la novlangue à cause de la pression des pairs et du désir de « s'intégrer », ou pour obtenir un statut au sein du Parti - pour être considéré comme un membre loyal du Parti.
La double pensée est le fait, pour des personnes ordinaires, d'accepter simultanément pour vraies deux croyances mutuellement contradictoires, souvent dans des contextes sociaux différents. Ce paradoxe s'exprime des plus succinctement dans le roman par les trois slogans du Parti : « La guerre c'est la paix », « La liberté c'est l'esclavage », et « L'ignorance c'est la force ». On utilise généralement ce terme pour décrire une capacité à adopter une ligne de pensée dans une situation (au travail, dans un certain groupe, en affaires, etc.) et une autre ligne dans une autre situation (chez soi, dans un autre groupe, dans la vie privée) sans nécessairement ressentir un quelconque conflit entre les deux.[iii]
En relation, mais presque à l'opposé, on trouve la dissonance cognitive où les croyances contradictoires provoquent un conflit dans l'esprit. La double pensée se distingue par un manque de dissonance cognitive - la personne est donc totalement inconsciente de tout conflit ou contradiction. Il me semble que ces personnes (et il y en a beaucoup, peut-être 45 % d'une population donnée) qui ne souffrent pas de dissonance cognitive lorsqu'ils se réveillent et découvrent qu'ils vivent dans Bizarro World, manquent d'un quelque chose sur lequel je ne spéculerai pas ici.

La double pensée nous amène au « double langage », qui en fait n'apparaît pas dans le livre d'Orwell bien qu'il en ait parlé dans son essai « La politique et la langue anglaise », où il déclare que « les politiciens sans scrupule, les annonceurs, les religieux, et autres praticiens en tout genre du double langage continuent d'abuser de la langue à des fins manipulatoires ».[iv]
De nos jours, le discours politique est en grande partie la défense de l'indéfendable. [...] Le langage politique doit donc être en grande partie composé d'euphémismes, de questions rhétoriques et de pur flou brumeux. [...] Le grand ennemi du langage clair est l'hypocrisie. Quand il y a un écart entre les buts réels et les buts déclarés, on se tourne comme instinctivement vers de longs mots et des tournures usées.[v]

Le double langage est un langage qui, délibérément, masque, déforme ou inverse le sens des mots. Le double langage peut prendre la forme d'euphémismes (par ex., « dégraissage » pour licenciement collectif, « ciblage » pour bombardement [« Pentagon Is Given an Award, but It's No Prize », The New York Times, 24 novembre 1991]) auquel cas il vise principalement à rendre la vérité plus acceptable. Il peut aussi faire référence à une ambiguïté linguistique intentionnelle ou à de réelles inversions de sens (par exemple, qualifier de « paix » un état de guerre). Dans ces cas, le double langage dissimule la nature de la vérité. Le double langage est le plus directement associé au langage politique.[vi]
Edward S. Herman, économiste politique et analyste des médias, décrit dans son livre Beyond Hypocrisy les principales caractéristiques du double langage :
Ce qui importe vraiment dans le monde du double langage, c'est l'aptitude à mentir, que ce soit sciemment ou inconsciemment, et de s'en tirer; la capacité à se servir des mensonges, de choisir et de modeler les faits de manière sélective, en repoussant ceux qui ne correspondent pas à une intention ou un programme.[vii]
Selon William Lutz : « ce n'est qu'en enseignant le respect et l'amour de la langue que les professeurs d'anglais peuvent instiller chez les élèves le sentiment d'indignation qu'ils devraient éprouver face au double langage. [...] Les élèves doivent d'abord apprendre à utiliser la langue efficacement, pour comprendre sa beauté et sa puissance [...] ce n'est qu'en utilisant bien la langue que l'on en viendra à réaliser la perversion inhérente au double langage. »[viii]
Le Comité sur le double langage public du National Council of Teachers of English (NCTE) [Conseil national des professeurs d'anglais] fut formé en 1971, en plein scandale du Watergate, à un moment où le scepticisme régnait au sujet du degré de vérité qui caractérisait les relations entre le public et les mondes de la politique, de l'armée et des affaires. Le NCTE adopta deux résolutions. L'une appelait le Conseil à trouver les moyens d'étudier les usages malhonnêtes et inhumains du langage et de la littérature par les publicitaires, de porter les outrages à l'attention du public, et de proposer des techniques scolaires pour préparer les enfants à faire face à la propagande commerciale. L'autre appelait le Conseil à trouver des moyens d'étudier les rapports du langage avec la politique publique, de suivre, de rendre public et de combattre la distorsion sémantique des fonctionnaires, des candidats à un mandat, des commentateurs politiques et de tous ceux qui passent sur les grands médias. La concrétisation des deux résolutions fut accomplie en formant le Comité sur le double langage public du NCTE, un organisme qui s'est acquitté de réalisations notables depuis son lancement.[ix]

Charles Weingartner, un des membres fondateurs du Comité sur le double langage public du NCTE, a écrit : « les gens ne connaissent pas suffisamment le sujet (la réalité) pour reconnaître que le langage utilisé camoufle, déforme, fourvoie ». Un autre expert écrit : « les professeurs d'anglais devraient enseigner à nos élèves que les mots ne sont pas des choses, mais des signes ou des symboles verbaux des choses qui devraient a la fin être ramenés aux choses qu'ils représentent pour être vérifiés. On devrait enseigner aux élèves un scepticisme sain à propos de l'abus potentiel du langage et les avertir comme il se doit des dangers d'un cynisme malsain. »[x]
Lutz est l'un des principaux contributeurs du Comité qui fait la promotion du terme « double langage » auprès d'un large public pour les informer des propriétés fallacieuses que recèle le double langage. Il écrit :
Être un usager efficace du langage, c'est bien plus que simplement exprimer de la consternation face aux locutions adjectivales à référence ambiguë, aux mauvais accords entre sujet et verbe, ou à un usage contestable. Tous les usagers du langage devraient se préoccuper de la concordance entre les déclarations et les faits, de savoir si, comme l'a dit Orwell, le langage est « en grande partie la défense de l'indéfendable », ou s'il est « destiné à rendre des mensonges crédibles et le meurtre respectable, et de donner à du pur vent une apparence de solidité ».[xi]
Lutz déclare ensuite :
que « le langage n'est pas l'invention des êtres humains pour mentir, tromper, fourvoyer et manipuler » et que « l'objectif du langage est de communiquer la vérité et de faciliter le rassemblement des groupes sociaux ». Ainsi, selon Lutz, le double langage est une forme de langage qui est contraire à l'objectif de l'invention du langage car il ne communique pas la vérité mais cherche à faire l'opposé, et la mission du Comité sur le double langage est de corriger le problème que le double langage a créé dans le monde du langage.
Terrence P. Moran, du NCTE, a comparé l'emploi du double langage dans les grands médias aux expériences de laboratoire réalisées sur des rats où un groupe de rats était privé de nourriture avant que la moitié ne reçoive du sucre et de l'eau, et l'autre moitié une solution de saccharine. Les deux présentèrent un comportement indiquant que leur faim était satisfaite, mais les rats du second groupe (nourris avec la solution de saccharine) moururent de malnutrition. Moran souligne la nature structurelle du double langage et note que les institutions sociales, tels que les grands médias, adoptent une approche descendante active dans la gestion de l'opinion. Par conséquent, Moran compare le double langage à la production d'un effet illusoire :
Cette expérience suggère certaines analogies entre les environnements que les scientifiques ont créé pour les rats et les environnements que le langage et les divers grands médias de communication ont créé pour nous, humains. Comme l'environnement à la saccharine, un environnement créé ou infiltré par le double langage fournit l'apparence de la nourriture et la promesse de la survie, mais l'apparence est illusoire et la promesse fausse.[xii]
Double discours et psychopathologie

Image
Dans son livre phare, La Ponérologie politique,[xiii] le psychologue Andrew Lobaczewski aborde la question de ce qu'il appelle le « double discours » à divers moments du texte. La première mention de ce terme apparaît dans le chapitre sur l'idéologie où il note qu'un groupe - n'importe quel groupe et ceci inclut les gouvernements, les organisations internationales, les religions, etc. - qui a été infiltré par des individus pathologiques se met graduellement à adapter l'idéologie et les buts primordiaux fondateurs originels pour se diriger en général vers des objectifs totalement opposés. Autrement dit, cela peut être une transformation de la Terre en « Erret » - Bizarro World. Ce processus mène à une sorte de stratification, ou de schizophrénie, de l'idéologie. La strate, ou cercle, externe adhère toujours au contenu d'origine annoncé comme les objectifs du groupe au départ ; cette strate est destinée aux membres les plus en bas de l'échelle et au public. Mais dans les cercles internes, le noyau du groupe, on comprend parfaitement que les mots ont un sens différent ; que des noms identiques représentent un contenu différent. Lobaczewski remarque que cette dualité du langage est précisément un symptôme de la transformation du groupe en Bizarro World. Lobaczewski note :
Le double langage n'est qu'un des nombreux symptômes. Les autres sont la facilité avec laquelle sont produits de nouveaux noms aux effets suggestifs, et qui sont acceptés quasiment sans opposition [...] (p 210)
Il fait ensuite remarquer que certaines caractéristiques sont des symptômes supplémentaires de la nature pathologique d'un tel groupe :
Il faut souligner les caractéristiques pseudo-morales et paranoïdes qui apparaissent souvent dans ces noms. L'intervention d'une pseudo-logique et d'une pseudo-morale dans l'idéologie déformée [...] Tout ce qui menace l'autorité pathocratique devient profondément immoral. (p 211)
Là, Lobaczewski fait une suggestion très utile sur la façon d'assurer ce besoin de maîtriser le double langage/double discours, pour notre propre protection :
Nous avons donc le droit d'inventer des noms qui indiquent la nature des phénomènes avec autant de précision que possible, dans les limites de notre connaissance et de notre respect des lois de la méthodologie scientifique et de la sémantique. Ces termes précis peuvent servir aussi à protéger notre esprit des termes suggestifs des autres noms et d'une pseudo-logique, y compris des éléments pathologiques qui y sont contenus. (p 211)
Un peu plus tard, il fait une analogie légèrement teintée d'humour qui décrit parfaitement le monde Bizarro, et offre une suggestion supplémentaire :
Ainsi que nous l'avons expliqué précédemment, l'anomalie qualifiée de psychopathie essentielle induit le phénomène général dans une pathocratie bien développée et montre des analogies biologiques avec le phénomène bien connu nommé daltonisme : absence totale ou partielle de distinction des couleurs, en particulier le rouge et le vert. Nous allons faire un petit exercice intellectuel et imaginer que des daltoniens sont parvenus à s'emparer du pouvoir dans un pays et ont interdit aux citoyens de celui-ci de distinguer ces couleurs, éliminant ainsi la distinction entre tomates vertes et tomates mûres. Des inspecteurs des légumes, armés de pistolets et accompagnés de gardes, patrouillent pour s'assurer que les citoyens récoltent toutes les tomates et pas seulement celles qui sont à maturité. Il va de soi que ces inspecteurs ne sont pas complètement daltoniens eux-mêmes (sans quoi ils seraient incapables d'exercer ces importantes fonctions) ; au pire ils sont affectés de daltonisme dans une certaine mesure par rapport à ces couleurs. Cependant, ils doivent appartenir au clan des gens qui s'énervent quand on discute de couleurs.

Sous la férule de telles autorités, les citoyens sont prêts à manger des tomates qui ne sont pas mûres et à affirmer de façon convaincante qu'elles étaient mûres. Mais une fois les inspecteurs partis inspecter plus loin, les commentaires vont naturellement bon train. Les citoyens se précipitent sur des tomates bien mûres, en font une salade à la crème avec un soupçon de rhum pour l'arôme.

Je pense que tous les gens normaux que le sort a forcés à vivre sous une férule pathocratique font par la suite une coutume symbolique de la salade ainsi préparée. Tout invité qui reconnaît le symbole à sa couleur et à son arôme s'abstiendra de commentaires. Une telle coutume peut hâter la réinstallation d'un système humain normal. (p 235-236)
Cet article est simplement ce type de « salade ».

Je vous laisse sur cette pensée.

Notes :

[i] Burton L. Mack, Who Wrote the New Testament? The Making of the Christian Myth (New York: Harper San Francisco, 1995) p. 304.

[ii] http://home.cc.umanitoba.ca/~altemey

[iii] McArthur, Tom, ed. (1992). The Oxford Companion to the English Language, Oxford University Press. p. 321

[iv] Kehl, D.G.; Livingston, Howard (July 1999). Doublespeak Detection for the English Classroom. The English Journal 88 (6): 78. JSTOR 822191

[v] Orwell, George (1949). 1984. New York:Signet Books. p. 163

[vi] http://en.wikipedia.org/wiki/Doublespeak

[vii] Herman 1992. p. 3

[viii] Lutz, William (March 1988). Fourteen Years of Doublespeak. The English Journal 77 (3). JSTOR 818411

[ix] http://www.ncte.org/volunteer/groups/publiclangcom/doublespeakaward

[x] ibid Kehl, D.G

[xi] A new look at 'doublespeak. Advertising Age. November 6, 1989

[xii] Moran, Terrence (Oct 1975). Public Doublespeak; 1984 and Beyond. College English 37 (2): 224

[xiii] Andrew Lobaczewski, La Ponérologie politique, Éditions Pilule rouge (septembre 2006)