Le monde entier était devenu pour moi distant et hostile comme ces rues inconnues. Outre les règles fascinantes que je connaissais, le grand jeu, manifestement, en avait d'autres qui m'avaient échappé. Il devait avoir eu quelque chose de fallacieux et de faux. Mais où trouver un appui, la sécurité, la foi et la confiance si le cours du monde était à ce point perfide, si les victoires s'ajoutaient aux victoires pour conduire à la défaite finale, si les vraies règles du jeu n'étaient pas énoncées, mais ne se révélaient qu'après coup dans un résultat accablant ? J'entrevoyais des abîmes. La vie m'épouvantait. [Histoire d'un Allemand, p. 50 de l'édition 2002 Actes Sud]C'est ainsi qu'un jeune Allemand décrit son expérience des événements qui menèrent à l'Allemagne nazie. Son nom était Sebastian Haffner. Plus tard, il devint journaliste et historien et ses mémoires, parues sous le titre Histoire d'un Allemand, offrent une perspective sincère et pénétrante sur l'impact réel du nazisme : son effet sur la vie intérieure des gens qui le vécurent.
Les livres tel Histoire d'un Allemand sont essentiels si nous, en tant qu'espèce, souhaitons jamais apprendre comment nous extirper des cycles apparemment incessants de prospérité, d'ignorance, d'oppression et de destruction mutuelle. Histoires militaires brutes, mémoires politiques, analyses universitaires, articles de journaux — tout ceci peut nous offrir des détails d'importance mais passe à côté de l'essentiel. Il y manque le cœur de l'affaire, l'essence de la situation qui en fait sa substance. Bref, cela manque de profondeur psychologique.
Économie, programmes et mesures d'un parti, spectre politique, événements géopolitiques majeurs — ces éléments sont la façade qui dissimule cette chose envers quoi l'humanité éprouve une répulsion et une peur presque instinctuelle, mais qu'elle ne peut nommer. Elle demeure cachée, comme ces « règles secrètes », dans l'abîme. Et les événements que l'on voit se dérouler dans les journaux n'offrent qu'un indice des plus minimes sur ce qui se passe réellement.
Voici comment Haffner décrit cela au début de son livre :
L'historiographie scientifique et pragmatique ne dit rien de cette différence d'intensité. Pour l'appréhender, il faut lire des biographies, non pas celles des hommes d'État, mais celles, trop rares, de citoyens ordinaires inconnus. On y verra que tel "événement historique" passe sur la vie privée — qui est la vraie vie — comme un nuage au-dessus d'un lac : rien ne bouge, on aperçoit tout juste un reflet fugitif. Tel autre agite l'eau à la façon d'un ouragan, au point que le paysage en devient méconnaissable. Quant au troisième, il sera peut-être capable d'assécher tous les lacs. [Histoire d'un Allemand, p. 20]Qu'est-ce qui fait d'un événement un nuage relativement paisible et d'un autre un ouragan ? Au moins en partie, c'est la manière dont il nous affecte personnellement. Des gens peuvent mourir, et même mourir en grand nombre, mais hormis un léger sursaut de conscience, dans quelle mesure cela nous affecte-t-il ? La vie continue. Notre travail, nos relations, nos loisirs. La vie reste normale.
Mais les événements tendent à prendre des directions bien précises si les causes qui en sont à l'origine ne sont pas décelées et comprises, et si des actions efficaces ne sont pas entreprises pour les faire aller dans une autre direction. Parce que ces causes — ces « règles secrètes » — demeurent cachées dans l'abîme, nous ne pouvons rien faire d'autre que rester assis là et regarder l'histoire se dérouler, en saisissant éventuellement des symptômes que nous prenons pour la maladie elle-même. On pourrait même voir la tendance se dessiner, mais sans espoir de pouvoir y changer quoi que ce soit. Les événements défilent devant nous — simples titres dans nos journaux et flux RSS. Il en est ainsi, jusqu'à ce que nous affrontions l'ouragan.
Si nous n'apprenons pas les règles secrètes du grand jeu, comme Haffner et d'innombrables autres de sa génération, nous regarderons passivement la marche inexorable de « l'histoire », la coalescence de tous ces nuages paisibles, ressentirons les premières brises, jusqu'à ce que nous nous retrouvions en plein cœur d'un énorme ouragan qui mettra nos vies intérieures et extérieures en lambeaux. Haffner écrit :
Il va de soi que ces événements historiques [qui ont mené à 1933] ont laissé des traces, chez moi comme chez tous mes compatriotes : si l'on ne comprend pas cela, on ne comprend pas ce qui a pu advenir par la suite. Mais il existe une différence importante entre les événements antérieurs à 1933 et ceux qui se sont produits depuis. Avant, les événements passaient et nous dépassaient ; on se sentait concerné, touché, certains y ont laissé leur vie et d'autres leur fortune, mais nul ne s'est trouvé placé devant des cas de conscience ultimes. La sphère la plus intime restait intacte. On faisait ses expériences, on se forgeait des convictions, mais on restait soi-même. Aucun de ceux qui, volontairement ou malgré soi, se sont trouvés happés par la machine du Troisième Reich ne peut en dire autant sans tricher. [Histoire d'un Allemand, p. 19]Nous voyons les nuages se rassembler. Ils sont là depuis des années. Désormais, nous sommes confrontés à l'un de ces « cas de conscience ultimes ». Et nous ne serons plus les mêmes, peu importe à quel point nous pensons que les choses continueront à être normales. Elles ne le seront plus. Voici comment Haffner décrit la vie au sein de l'ouragan :
En usant des pires menaces, cet État exige de l'individu qu'il renonce à ses amis, abandonne ses amies, abjure ses convictions, adopte des opinions imposées et une façon de saluer dont il n'a pas l'habitude, cesse de boire et de manger ce qu'il aime, emploie ses loisirs à des activités qu'il exècre, risque sa vie pour des aventures qui le rebutent, renie son passé et sa personnalité, et tout cela sans cesser de manifester un enthousiasme reconnaissant. [Histoire d'un Allemand, p. 16]
Les chiffres des nazis montaient sans cesse. Ce qui n'existait plus, c'était la joie de vivre, la gentillesse, l'innocence, la bienveillance, la compréhension, la bonne volonté, la générosité et l'humour. [Histoire d'un Allemand, p. 142]Si cela paraît tout droit sorti de 1984, c'est parce que cette réalité est de celle contre laquelle George Orwell a tenté de nous alerter en la mettant à nu. Il possédait les talents littéraires mais pas la connaissance et la terminologie précise des règles secrètes. Si vous écoutez les informations, si vous lisez les livres écrits par les architectes de la stratégie géopolitique occidentale moderne, vous savez vraisemblablement où cette « nouvelle réalité » a la plus grande probabilité de se développer : autoritarisme en Russie et en Chine, islamo-fascisme au Moyen-Orient et en Afrique. Cela ne pourra pas arriver ici, dans l'Occident « civilisé » : Amérique du Nord, Europe, Australie.
Malheureusement, vous ne pourriez pas davantage vous tromper. Cette nouvelle réalité est déjà là et l'on trouve l'illustration la plus frappante dans un endroit où peu l'aurait prédit : en Ukraine. Gardez en tête la description d'Haffner citée plus haut, et maintenant lisez cette lettre écrite par une jeune femme de Kiev peu de temps après le coup d'État en Ukraine de l'année dernière :
Ma collègue a été tabassée devant la porte de son appartement pour avoir écrit des commentaires anti-Euromaïdan sur sa page VK. [...] L'autre jour à l'école, le fils de mon voisin a appelé ses parents à la récréation avec un téléphone portable et il leur a parlé en russe. Ses camarades lui ont piqué son téléphone et l'ont cassé. Ils ont détruit son sac, ont déchiré tous ses livres et ses cahiers puis l'ont tabassé. Ils lui ont ordonné de ne parler qu'ukrainien ou « qu'il demeure sur ses gardes pour le restant de ses jours, car ils le retrouveront et l'estropieront ». Ce garçon est en cinquième.Ce qui suit a été écrit en réponse à sa lettre :
De temps en temps dans la rue, il est possible d'observer cette scène : un groupe de gens s'approche d'une personne, pose des questions : « étais-tu à Maïdan ? Est-ce que tu soutiens Maïdan ? », si les deux réponses sont « non », le groupe la frappe sans pitié à coups de poing et de pieds.
Désormais à Kiev, la majorité des Russes et des russophones, au départ et après Maïdan, qui n'ont pas soutenu le mouvement, sont obligés de se rappeler la période soviétique quand « les murs avaient des oreilles » et de se taire. Parce que nous, contrairement aux autres régions [Donetsk, Lougansk], n'avons aucune chance de nous séparer de l'Ukraine. [...]
Kiev est complètement divisée. Ici, fréquenter des Russes est impossible. [...]
Tous les autres sont sur leurs gardes et prudents même avec les gens qu'ils pensent connaître. Les Russes et russophones qui n'ont pas vécu une atrocité du fait de leur opposition à Maïdan essaient simplement de rester silencieux dans les lieux publics. Ils tentent de ne pas attirer l'attention pour ne pas se faire agresser par des fous.
Et ceux qui ont déjà subi leurs foudres, du moins pour ce que j'en sais réellement, s'efforcent de sauveur leur famille et d'être muets, muets et muets.
Ainsi, l'« image » que donne Kiev est plutôt celle de la sécurité, le printemps approche, et ainsi de suite. En réalité, une partie de la ville (et pas une petite !) vit l'horreur du silence.
Il est impossible de se taire. Mais les habitants de Kiev qui sont anti-Euromaïdan et ont vécu l'atrocité n'en parleront pas ouvertement. C'est l'instinct de survie.
J'ai lu la « Lettre de Kiev ». Tout est vrai... L'auteur décrit avec exactitude comment on ne peut pas tout lâcher et partir en un jour. On ne trouve pas une nouvelle maison et un nouveau travail en un jour. Il est tout simplement nécessaire de se cacher. C'est un sentiment absolument atroce. Non seulement il est nécessaire de se souvenir que les murs ont des oreilles, mais vous devez aussi vous rappeler d'avoir l'air de bonne humeur. Réjouissez-vous que le soleil printanier brille, par exemple. Après Maïdan, il est malsain d'agir autrement. Les gens observent et cherchent ceux qui n'ont pas soutenu Maïdan. Les lois n'ont plus cours ici. Les gens sont véritablement sans défense et à la merci du destin. [...]Les choses n'ont pas beaucoup changé au cours de l'année passée. Au contraire, elles ont plutôt empiré. Kiev s'est engagée dans une violente et onéreuse « opération anti-terroriste » contre le peuple en Ukraine orientale : Donetsk et Lougansk, Donbass, Nouvelle-Russie. Ils ont bombardé des zones résidentielles, des hôpitaux, des écoles et des usines. Ils ont capturé et torturé des civils et des membres de milices locales qui se sont soulevés pour défendre ces régions contre ce qu'ils considéraient à juste titre être un odieux régime raciste d'oppression.
L'organisation des plus ridicules « stop à la censure » a d'abord combattu le dictateur Ianoukovytch. Après cela, ils ont voulu la fermeture de toute maison d'édition qui n'était pas d'accord avec Maïdan. Aucun militant pour les Droits de l'homme, ou même de « reporter sans frontières », n'a jamais mentionné cela. Pas un. J'ai le sentiment que ces événements sont un cauchemar.
Ici, je le dis ouvertement. C'est du fascisme, du fascisme ordinaire.
Alors que les champions occidentaux de l'expression de la démocratie en Ukraine, ceux qui les soutiennent — ceux qui bombardent, torturent, violent et tuent des civils innocents — sont tout sauf « démocrates ». Mais peut-être qu'on devrait carrément arrêter d'utiliser des mots comme « démocratie ». Ce n'est qu'un slogan de plus, un mot à la mode qui signifie tout ce que celui qui l'emploie veut qu'il signifie. Il sert à véhiculer de l'émotion. La démocratie, c'est bien. Maïdan était une expression de la démocratie. Donc, Maïdan c'était bien. Telle est la logique émotionnelle du mot. Mais ce n'est pas vrai.
Quelques exemples : Andriy Biletsky, ancien commandant du bataillon Azov, est un idéologue nationaliste ukrainien, député de la Rada Suprême (grâce au chouchou de Victoria Nuland, Arseni Iatseniouk). Voici ce qu'il avait à dire lors d'une interview pour Foreign Policy:
Malheureusement, aujourd'hui, parmi les Ukrainiens, il y a beaucoup de « Russes » (de par leur mentalité, pas de sang), de « youpins », d'« Américains », d'« Européens » (de l'Union démocrate-libérale Européenne), d'« Arabes », de « Chinois », etc., mais il n'y a pas beaucoup d'Ukrainiens spécifiquement ukrainiens... On ne sait pas combien de temps et d'efforts seront nécessaires pour éradiquer ces dangereux virus au sein de notre peuple.En 2010, il écrivit un essai exposant les grandes lignes de son idéologie de l'Assemblée sociale-nationale, où l'on peut trouver ce qui suit :
En ce moment critique, la mission historique de notre nation est d'emmener les races blanches du monde dans une ultime croisade pour leur survie. Une croisade contre les sous-humains dirigés par les sémites. La tâche de cette génération est de créer un Troisième Empire.Le président ukrainien Porochenko a décoré ce même Biletsky de l'Ordre du Courage. Le premier ministre Iatseniouk n'est pas mieux. Voici ce qu'il déclarait le 15 juin de l'année dernière :
Ils [les troupes militaires ukrainiennes se battant à Lougansk] ont perdu la vie parce qu'ils ont défendu des hommes, des femmes, des enfants et des personnes âgées qui se sont retrouvés dans la situation d'être menacés de se faire tuer par des envahisseurs financés par ces sous-humains. En premier lieu, nous commémorerons les héros en exterminant leurs assassins puis en nettoyant le mal de notre pays.Ensuite, voici les slogans que l'on entend partout en Ukraine :
- Si tu ne « sautes » pas, tu es un Moskal ! [Moskal est un terme péjoratif pour désigner les Russes]
- Gloire à l'Ukraine !
- Une langue, une nation, une patrie !
- Pendez les Moskals !
Haffner nous donne un aperçu de cette mentalité des foules :
L'âme collective et l'âme enfantine réagissent de façon fort semblable. Les idées avec lesquelles on nourrit et ébranle les masses sont puériles à n'y pas croire. Pour devenir une force historique qui mette les masses en mouvement, une idée doit être simplifiée jusqu'à devenir accessible à l'entendement d'un enfant. [Histoire d'un Allemand, p. 34]Bien entendu, les enfants peuvent exprimer sagesse et compassion. Ils peuvent aussi être égoïstes, ignorants et cruels. Il appartient aux dirigeants d'un pays de décider à quel aspect de l'enfant ils s'adresseront, quel aspect ils encourageront.
Haffner nous conte une anecdote amusante et pénétrante à propos de ceux qui continuèrent à s'intéresser à la politique après que tous les grands partis se soient avérés inutiles et sans importance :
Après le putsch de Kapp, nous cessâmes, tous tant que nous étions, de nous intéresser à la politique du moment. Toutes les tendances s'étaient discréditées, le domaine tout entier perdait son attrait. [...] Nombre d'entre nous cherchèrent d'autres centres d'intérêt : collections de timbres, piano, théâtre. Seuls quelques-uns restèrent fidèles à la politique, et je remarquai pour la première fois qu'il s'agissait, curieusement, surtout des plus bêtes, des plus brutaux, des plus antipathiques. Ils adhérèrent à de "vraies" associations, par exemple l'Union des jeunesses nationalistes ou le Bismarckbund (les Jeunesses hitlériennes n'existaient pas encore), et ne tardèrent pas à exhiber au lycée des coups-de-poing, des matraques, voire des casse-tête ; ils se vantaient de prendre des risques la nuit en collant des affiches ou en les arrachant, et se mirent à parler un jargon bien à eux qui les distinguait de tous les autres. Et ils commencèrent à molester ceux de nos camarades qui étaient juifs. [Histoire d'un Allemand, p. 72]Bêtes, brutaux, antipathiques. Quelle description appropriée du type de personne qui finira par devenir officier SS, ou aujourd'hui, membre du Secteur droit d'Ukraine. Mais il existe une description clinique plus précise de ce type d'individus : les psychopathes. Voilà le « grand secret ». La psychopathie est la cause cachée, tapie sous les « partis politiques », les « événements géopolitiques », les idéologies, les causes. C'est ce quelque chose de « fallacieux et faux » qui perturbait le jeune Sebastian Haffner.
Car la psychopathie, en raison de sa nature même, est fallacieuse et fausse. Elle présente un masque de raisonnabilité, d'affabilité, d'intensité, de persuasion, qui est difficile, voire impossible, à déceler si l'on ne sait pas en chercher les signes. Car sous l'amabilité, la raison, le réconfort, il n'y a que l'instinct inextinguible de pouvoir : domination, contrôle et volonté impassible de faire ou dire n'importe quoi pour obtenir ce que cet instinct désire, peu importe combien de corps, de comptes en banque, ou de liens familiaux ou amicaux sont brisés pour y parvenir. Ils s'en fichent. Certains apprécient même cela.
Et quelle meilleure position de pouvoir à laquelle aspirer que sur la scène politique mondiale ? Dans son chef-d'œuvre clandestin, La Ponérologie politique, Andrew Lobaczewski a tout exposé. Dommage que si peu de gens aient pris sur eux de le lire et de s'en servir. Ce livre est bourré d'informations — les causes, les lois et les solutions possibles au thème caché et à sa variation que l'on appelle histoire — mais le message à retenir est simple : les psychopathes aspirent au pouvoir et y parviennent. Pour cela, ils utiliseront n'importe quelle idéologie — communisme, socialisme, capitalisme, démocratie, autoritarisme, fascisme — tout comme un petit escroc jouera n'importe quel rôle pour rouler ses victimes. Et quand un groupe de psychopathes atteint un nombre suffisant dans des instances dirigeantes, ils forment une pathocratie. Lobaczewski écrit :
La pathocratie est moins un système socio-économique qu'une structure sociale ou un système politique. C'est une maladie macrosociale qui affecte des nations entières [...]Et les psychopathes en arrivent là en utilisant, manipulant et pervertissant la meilleure caractéristique de l'humanité : sa conscience.
Les faiseurs d'opinions façonnent minutieusement ce que l'on en vient à croire - les convictions qui nous poussent à soutenir ou rejeter certaines politiques ou décisions, ou à entreprendre certaines formes d'action. Et ils le font en en appelant à notre conscience, notre sens du juste et du faux, notre sentiment que certaines choses sont simplement meilleures que d'autres. Les systèmes de valeur sont inévitables et les politiciens le savent. Nous sommes irréductiblement des raisonneurs « moraux » : certaines décisions sont meilleures que d'autres (pour certaines raisons), certaines déclarations sont plus vraies que d'autres. Nous mesurons à l'aune de notre conscience — notre notion de certaines valeurs telles que la vérité, la beauté et la bonté — de concert avec notre raison qui compare, oppose, analyse et synthétise les données selon ces valeurs.
Aussi, nous en venons naturellement à considérer que nos opinions politiques, nos jugements moraux, nos maux nécessaires et inacceptables, sont fondés sur la conscience. Nous soutenons cette dernière législation parce qu'il y a un problème qui doit être résolu. Nous avons certaines opinions sur certaines personnes, parce qu'elles posent une menace. Nous devons entreprendre telle ou telle action parce que l'alternative serait bien pire.
Mais il y a une entourloupe. La conscience n'est tout simplement pas de la conscience si elle ne se fonde pas sur la vérité. Je ne peux pas en toute conscience soutenir un meurtrier par rapport à ses victimes s'il est véritablement coupable. Et je ne peux pas condamner une personne ou un groupe s'ils ne sont pas réellement coupables. Et c'est là que les faiseurs d'opinions gagnent leur vie : convaincre les gens que les choses sont d'une façon alors qu'elles ne le sont pas pour obtenir leur soutien vis-à-vis d'actions ou de décisions qui sont fondées sur des mensonges absolus (peu importe à quel point ils peuvent sembler plausibles en apparence).
Souvenez-vous, la psychopathie, en raison de sa nature même, est fallacieuse et fausse. Regardez simplement l'Ukraine et le flot incessant de mensonges qui se déverse des bouches des politiciens de Kiev et des médias. D'un autre côté, la stabilité et la sécurité, la foi et la confiance — ces choses que Haffner recherchaient si désespérément — ont besoin de vérité. Il ne peut pas en être autrement. Si nous n'en sommes pas conscients et si nous ne recherchons pas activement la vérité, nous nous retrouverons tout simplement happés dans l'ouragan. Les Allemands l'ont été dans les années 1930. L'humanité est en train de l'être aujourd'hui.
Une dernière citation d'Haffner :
[L]a vie quotidienne était un obstacle à l'analyse lucide — la vie qui continuait, encore que définitivement irréelle et spectrale [...] [C]urieusement, c'était entre autres choses la poursuite machinale de la vie quotidienne qui s'opposait à une quelconque réaction énergique et vitale contre la monstruosité. [...] À [cette réaction] s'opposait précisément le mécanisme de la vie courante. Il est probable que les révolutions, et l'histoire dans son ensemble, se dérouleraient bien différemment si les hommes étaient aujourd'hui encore ce qu'ils étaient peut-être dans l'antique cité d'Athènes : des êtres autonomes avec une relation à l'ensemble, au lieu d'être livrés pieds et poings liés à leur profession et à leur emploi du temps, dépendant d'une foule de choses qui les dépassent, éléments d'un mécanisme qu'ils ne contrôlent pas, marchant pour ainsi dire sur des rails et désemparés quand ils déraillent. La sécurité, la durée ne se trouvent que dans la routine quotidienne. À côté, c'est tout de suite la jungle. Tout Européen du XXe siècle le ressent confusément avec angoisse. C'est pourquoi il hésite à entreprendre quoi que ce soit qui pourrait le faire dérailler — une action hardie, inhabituelle, dont lui seul aurait pris l'initiative. D'où la possibilité de ces immenses catastrophes affectant la civilisation, telle que la domination nazie en Allemagne. [Histoire d'un Allemand, pp. 205, 206, 207]Comme les choses ont si peu changé... Même quand des événements d'extrême importance se déroulent autour de nous - voire affectent nos vies de manière subtile - nous avons tendance à ne pas passer à l'action. Généralement, c'est seulement lorsque quelque chose de vraiment important pour nous nous est enlevé que le feu intérieur s'embrase et que nous sommes prêts à agir. À ce moment-là, il est généralement trop tard.
Alors, que peut faire l'humanité ? Eh bien, nous pouvons commencer à augmenter l'étendue de ce qui nous importe personnellement. Réaliser que nous faisons partie d'un tout plus grand. Nous devons voir l'horreur de ce qui se passe sur cette planète comme s'il s'agissait d'une question de vie ou de mort. Car dans le grand ordre des choses, c'est une question de vie ou de mort. La conscience. La Vérité. Sans elles, rien ne changera. Cela ne fera qu'empirer.
Commentaire : Les autres articles de cette série parus précédemment :
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