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Népotisme : l'attitude de quelqu'un qui use des privilèges liés à sa fonction pour favoriser ses proches. Cette pratique est devenue une sorte de spécialité nationale, et on constate aujourd'hui un copinage à tous les étages dans les institutions et entreprises publiques, qui s'accompagne souvent de dépenses abusives et de choix irréfléchis. Cela pose la question de la crédibilité de nos dirigeants, ainsi catapultés à la tête d'institutions sans l'avoir mérité - et parfois sans même être compétents pour exercer de telles fonctions. Non seulement le processus est injuste, mais il fait peser le risque d'une mauvaise gestion sur des organismes d'importance. Analyse.

C'est le journal Le Monde qui avait révélé l'information en décembre 2014. Plusieurs proches de Jacques Chirac occupent de vastes appartements HLM de la ville de Paris, pour des prix modiques. C'est le cas du beau-frère de l'ancien chef de l'État, Jérôme Chodron de Courcel, le frère de Bernadette Chirac ou encore de l'ancien secrétaire d'État Pierre Mazeaud - selon le journal, il habite un immeuble cossu du Marais, à Paris. Il y aurait emménagé au début des années 80, à l'époque où Jacques Chirac était le maire de Paris. Il est bien sûr scandaleux de bénéficier de tels privilèges immobiliers, au détriment de citoyens aux revenus modiques qui perdent ainsi des opportunités de logement dans une capitale qui s'engorge largement, mais le népotisme est d'autant plus dérangeant s'il s'agit de position d'influence.

Aujourd'hui en France, 284 personnes sont directement nommées par le président de la République à des postes d'importance dans les institutions ou entreprises publiques françaises. Si en principe cela n'est pas proprement problématique, on n'échappe malheureusement pas à la politisation des nominations. Les responsables ne sont pas seulement recrutés sur leurs compétences, mais aussi sur leurs opinions politiques et amitiés avec de hauts responsables au pouvoir. En effet, s'ajoutent aux personnes directement nommées par le président une myriade de postes inscrits dans de enjeux dans lesquels le président, ses ministres, et les hauts membres de l'administration ont leur mot à dire. Et depuis leurs nouvelles fonctions, les favorisés peuvent eux même faire régner leur propre népotisme dans les organismes qu'ils dirigent. Dernièrement les scandales en chaîne visant la direction de la CGT donnent le "la".

Un exemple qui avait fait couler beaucoup d'encre, en France mais aussi à l'étranger - en anglais, en italien, en espagnol, en chinois, le terme de népotisme revenait systématiquement - était la tentative de nomination de Jean Sarkozy à la tête de l'Établissement public d'aménagement de la Défense (Epad, un l'établissement public majeur qui gère le quartier d'affaires de la Défense). L'affaire particulièrement éloquente, car les faits ne s'arrêtent pas là : après l'affaire "Jean Sarkozy" qui avait terni l'image de l'ancien président, c'est Amin Khiari, le fils de la vice-présidente PS du Sénat, Bariza Khiari, qui était pressenti pour prendre les rênes de l'établissement en 2012. Bien que sensiblement plus compétent - il est diplômé de l'Essec, a créé un master d'ingénierie des achats, et a dirigé le pôle universitaire Léonard de Vinci - ce dernier était compromis dans une affaire de dérives dans la gestion de fonds publics, faisant planer le doute sur sa capacité à gérer un établissement aussi important - avec le répercutions potentiellement désastreuses que cela pourrait causer. Il a finalement été écarté.

Une autre double affaire que en dit long : celle de la présidence de l'INA. Elle se déroule en deux temps, avec d'abord la nomination de Mathieu Gallet, actuel PDG de Radio France. Sa gestion, de 2010 à 2014, a été entachée par un lot de révélations sur les dépenses astronomiques qu'il a engagées en travaux et conseil. Mathieu Gallet a, par exemple engagé six cabinets de consultants - parmi eux figurent notamment Euro RSCG, OpinionWay, Roland Berger, Bernard Spitz Conseil et Chrysalis. A eux seuls, ces contrats représentent près de 800 000 euros, et ont été passés sans mise en concurrence. En 2014, ce dernier a été placé par le CSA à la tête de Radio France où il a dépensé pas moins de 125 000 euros pour décorer et rénover ses deux bureaux, l'un au siège de l'INA à Bry-sur-Marne (Val-de-Marne) et l'autre dans une antenne de l'INA à Paris. Ces dépenses irresponsables sont l'un des éléments qui ont mis le feu aux poudres lors de la récente crise majeure qu'à connu la Maison ronde. Si Mathieu Gallet a réussi à passer entre les gouttes, et conserver son poste, alors que l'Inspection générale des finances n'a pas trouvé de caractère abusif à ses dépenses, cette affaire a laissé des traces durables au sein de Radio France.

Agnès Saal, énarque et ancienne directrice générale du Centre Pompidou, qui a pris la tête de l'INA à la suite de M Gallet, a elle été contrainte à démissionner le 28 avril dernier. Le scandale a éclaté après les révélations sur ses dépenses de taxi avoisinant les 41 000 euros en dix mois de présidence. En prenant ses fonctions, elle n'avait pourtant pas hésité à fustiger le bilan de son prédécesseur et avait promis une gestion plus rigoureuse - à l'époque de nombreux salariés semblaient satisfaits de sa nomination. Au-delà de ces notes de frais, certains choix de la présidence sont questionnés. La nouvelle présidente a décidé de se séparer de plusieurs responsables, et parallèlement à ces départs, a organisé une vingtaine d'arrivées dont la majorité appartenait à ses propres cercles concentriques. Plusieurs embauches ont particulièrement fait tiquer les syndicats : Jean-Marc Auvray, qui travaillait avec elle à Beaubourg, a été recruté au poste de secrétaire général, avant d'être rapidement rejoint par Carole Thomas, qui n'est autre que son épouse. L'arrivée récente d'Agnès Chauveau, ancienne directrice de l'École de journalisme de Sciences Po et amie personnelle de la nouvelle dirigeante, comme déléguée à la stratégie éditoriale et éducative, un poste créé pour l'occasion, a également fait grincer des dents.

Autre exemple en date, aussi particulièrement parlant : celui de la Caisse des dépôts et consignations. Le Directeur général n'est autre que Jean-Pierre Jouyet, compagnon de route depuis 30 ans de l'actuel président de la République François Hollande. Odile Renaut-Basso, Directrice générale adjointe, sort tout juste du cabinet de Jean-Marc Ayrault où elle était directrice adjointe. Thomas Le Drian, fils du ministre de la Défense, a été recruté en tant que Conseiller du directeur général, et le Directeur du développement régional, Stéphane Keita, est l'ancien chef de cabinet au ministère de l'Économie et des Finances de Dominique Strauss-Kahn. Ici on voit qu'une famille politique est proprement en train de phagocyter une institution.

Outre le favoritisme éhonté de ces situations, on peut également déplorer qu'elles donnent une triste image des classes dirigeantes, et créé un sentiment de défiance à l'égard de ces grandes institutions. Toute la profession fait les frais de ces pratiques. Aujourd'hui de nombreux PDG sont à leur poste uniquement grâce au copinage, malgré un manque flagrant de compétences.
Le plus grave est que dans ces réseaux où le postes s'échangent d'un mandat à l'autre, les boulets sont recasés après avoir échoué dans un poste. Ainsi celui qui se sera planté à la tête d'une institution, d'un ministère ou d'une entreprise publique, sera pratiquement assuré de trouvé un poste de "planqué", où il continuera d'exercer son incompétence.
Le parcours d'Alexandre de Juniac, ancien directeur international de Thalès montre comment le réseau se passe des membres au gré des déconvenues. En 2009, il est pressenti comme le futur numéro 1 du groupe, avec le soutien de l'Élysée. Mais avec l'arrivée de Dassault Aviation au capital (premier actionnaire, avec 27 % des parts) il est finalement évincé. Après un bref passage comme directeur de cabinet de Christine Lagarde, il prend la tête d'Air France. Beaucoup disent qu'il le doit à sa proximité avec Nicolas Sarkozy dont il a été son directeur de cabinet adjoint de 1993 à 1995 (à l'époque il était Ministre du Budget). Il obtient en effet le poste malgré les vives réserves de Jean-Cyril Spinetta, le P-DG de la holding Air France-KLM, et personnalité très influente dans le groupe, qui ne voulait pas de lui à ce poste. L'ex-patronne d'Areva, Anne Lauvergeon, explique ce choix par la suivante : à l'époque Juniac visait la direction de son groupe. Elle affirme que Nicolas Sarkozy lui aurait proposé les commandes d'Air France à l'été 2011 en compensation, en expliquant qu'il n'avait "pas le niveau" pour la multinationale de l'énergie française. Des tractations et messes basses qui font froid dans le dos. De même, des bruits de couloir disant qu'il doit sa reconduction à la tête du groupe, malgré un bilan très décevant, à sa proximité avec Stéphane Fouks, influent conseiller au sein du Parti Socialiste.

Jean-Christophe Picard, de l'association anticorruption Anticor propose une solution :
"La responsabilisation commence lors des nominations et se poursuit par les contrôles. La personne qui nomme doit faire son choix sur des critères de compétence, et ceux qui sont chargés de contrôler doivent contrôler efficacement. Il n'y a pas de solution miracle. Si les personnes responsables ne prennent pas leur mission au sérieux, on en arrive à des problèmes à tous les niveaux."
Le modèle scandinave, et plus particulièrement au Danemark, impose une transparence totale. Les notes de frais de toutes les administrations sont, par exemple, accessibles par tous sur internet, ce qui évite les dérives. Peut-être que cette voie est la bonne. En tout cas, un déclin de ce népotisme endémique redorerait le blason d'une profession injustement fustigée pour les abus d'une minorité très bruyante.