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© Inconnu
La propagande, c'est évidemment des messages plus ou moins mensongers, mais c'est aussi une stratégie d'imposition du silence sur les éléments dérangeants. Et c'est particulièrement dangereux chez nous, parce qu'un lecteur allemand des années 40 ou un lecteur soviétique des années 1970 savait bien qu'il ne pouvait pas trop compter sur sa presse, alors que ce n'est pas le cas en France...

La vérité, c'est que la population occidentale s'est habituée à penser que ses médias sont dignes d'une grande démocratie. Même si nous savons que ce n'est pas le cas, nous persistons inconsciemment à croire que leur couverture de l'actualité est supérieure à ce qui se fait dans les autres régions du monde. [...] Permettez-moi d 'affirmer que la télévision et les journaux chinois sont beaucoup plus critiques du système économique et politique de leur pays que nos chaînes le sont du nôtre. [...]

Les Occidentaux font preuve d'une crédulité ahurissante à l'égard de la propagande. Ayant grandi en Europe de l'Est, je suis à même de savoir qu'on ne croyait en rien les discours officiels du gouvernement. C'est pourquoi, d'une certaine façon les gens étaient très conscients de ce qui se passait dans le monde et dans leur pays. [...] Pour avoir vécu sur tous les continents, je peux affirmer que les "Occidentaux" forment le groupe le plus endoctriné, le moins bien informé et le moins critique de la Terre, à quelques exceptions près, bien sûr, comme l'Arabie saoudite. Mais ils sont convaincus du contraire : ils se croient les mieux informés, les plus "libres"." [André Vltchek, L'occident terroriste avec Noam Chomsky, 2015]

Par ailleurs, quand va-t-on cesser d'espérer que le journalisme des médias aux ordres que ce soit de l'état ou des grands groupes industriels, se réveille un matin, libre, indépendant, curieux et équilibré ? Pouvez-vous nous citer plus de 4 médias main-stream encore vaguement indépendants en France ? Je pense que non. Donc pourquoi s'étonner mois après mois que ces journalistes fassent finalement le boulot pour lequel ils sont payés c'est-à-dire faire semblant d'être honnêtes et « objectifs » pour continuer à maintenir coute que coute les équilibres (ou déséquilibres) en place ?


Commentaire : Et le phénomène donne à réfléchir : nous avons la compréhension intellectuelle du processus propagandiste, nous en avons supporté les pires manifestations, en Europe au siècle dernier, avec le nazisme et le fascisme, mais nous ne savons toujours pas nous en prémunir. Et comme par ensorcèlement, nous semblons croire que nous sommes pourtant immunisés contre elle, alors que la réalité de l'actualité nous hurle le contraire.

Issu d'une réflexion de Dario Fo, prix Nobel de littérature :
Mais alors, que s'est-il passé, que nous est-il arrivé, pour que s'abatte un silence aussi effrayant ? Pour que se produisent cet assoupissement paradoxal, cette anesthésie générale. Vous rappelez-vous cette vieille fable, « Le joueur de flute » ? Un joueur de flûte enchante les rats de la ville et les conduit au fleuve où ils se noient, libérant ainsi la cité. Mais comme les gens de la ville ... ne tiennent pas parole et ne le paient pas, lui se venge et avec sa flûte il enchante cette fois les enfants de la cité et les emmène avec lui.

Voilà, la même chose s'est produite avec les journalistes qui devraient être les premiers à avoir conscience de l'importance de l'information : à force de jouer de la flûte, ils ont endormi trop de gens ! Mais ce n'est pas seulement le problème de la presse écrite. Nous avons aujourd'hui une classe d'intellectuels qui a en grande partie oublié d'utiliser le tambour, un instrument formidable pour réveiller les enfants ahuris. La plupart se taisent, ils n'ont plus de dignité et donc ne s'indignent plus. C'est cela qui est terrible et incroyable : le manque d'indignation. Cela dépasse de loin la trahison du clergé ! Tous pensent la même chose : mais pourquoi donc devrais-je m'exposer ? Peut-être qu'un jour j'aurai besoin de quelque chose, d'une faveur, d'un coup de main de celui que je suis en train de critiquer.

Tout se joue sur la peur du chantage, sur la possibilité d'en tirer un avantage pour soi. Ceux qui font l'information et l'opinion ont compris cela : il faut rester dans le jeu. Si tu te mets à critiquer, ou même à faire des remarques ou des réflexions gênantes, tu es purement et simplement éliminé. Désormais le pli est pris : on aligne sur le tableau le nom de ceux qui se sont « mal comportés ». Celui dont la tête dépasse des rangs est jeté dehors. Et par « dehors » j'entends, mis totalement hors-jeu.

Les conséquences de cette pensée, non pas « unique » mais asservie, conformiste, et opportuniste sont terribles : les anticorps disparaissent peu à peu. Cela crée potentiellement une société d'ineptes, de lèches-culs. Il suffit de regarder les parlementaires qui expliquent leur volte-face par la vieille excuse « J'ai une famille moi », un refrain si souvent entendu du temps du Fascisme. Je vois clairement aujourd'hui un encerclement de la liberté d'expression, et les personnes qui ont le courage de s'exprimer sont marginalisées. Depuis toujours le pouvoir veut faire taire les voix dissidentes : mais dans un système sain, d'habitude il trouve une limite en ceux qui s'opposent à lui. Les intellectuels, un temps, guidaient l'opinion publique. Mais aujourd'hui, qui ose relever la tête ?

Vous croyez que MM. Lagardére et Dassault possèdent des empires médiatiques par amour de la vérité et du journalisme ? Ce n'est pas un problème de danger mais c'est juste du capitalisme. Les organes de presse ne sont juste que des entreprises privées.

Il faut savoir que la presse/tv/radio (en France mais aussi à l'étranger) n'a quasiment plus de correspondants à l'étranger, qui sont censés bien connaitre la culture et la politique locale. C'est arrivé à un ami, correspondant d'un journal étranger à Paris, de se faire virer du jour au lendemain en lui expliquant que la nouvelle politique du journal n'était de ne conserver que des abonnements à l'AFP ou à Reuters et de faire juste une reformulation par des stagiaires dans les locaux du journal.

Si jamais il faut envoyer quelqu'un sur un évènement, juste pour faire semblant d'être sur place. C'est alors facile de trouver un jeune journaliste, un peu tête brulé (cela permet surtout qu'il ne demande pas trop de prime de risques ou de ne pas loger dans un hôtel de luxe, tous frais payés).

Si vous voulez vous en convaincre, il suffit de noter les noms des "envoyés spéciaux" et faire une recherche sur internet. J'avais fait l'exercice l'année dernière sur l'Ukraine et je m'étais rendu compte que le même envoyé spécial était en fait 3 mois avant en Centrafrique, et 6 mois avant au Mali. Autant dire qu'il ne devait pas trop parler un mot d'ukrainien ou de russe et que je ne sais donc toujours pas comment il pouvait recueillir l'avis de la population (peut-être grâce à un traducteur gracieusement mis à disposition par le ministère de l'information local).
Un petit nombre de journalistes ont accès aux médias de masse, ils sont les nouveaux chiens de garde, ils sont recyclé en permanence et disparaissent après quelques années pour donner l'illusion du changement dans la continuité, ils ont tous un point commun : la même soumission devant l'argent et le pouvoir.
Quel point commun y a-t-il, selon Serge Halimi, entre Michel Field, Claire Chazal, Alain Duhamel, Jean-Marie Cavada et PPDA ? La même révérence devant leur patron, les grands groupes tels Bouygues, Havas ou Matra-Hachette, la même révérence devant l'argent et le pouvoir politico-industriel, les mêmes pratiques. Maintenir à distance certains sujets pour mieux en matraquer d'autres, désinformer, moins par volonté de manipuler que par paresse et par reddition devant l'idéologie néolibérale dominante, c'est le credo des nouveaux chiens de garde. La collusion entre les intérêts des propriétaires de la presse française et le trust des trente journalistes qui en tiennent les rênes à coup de présence incessante, d'info-marchandise, de renvois d'ascenseurs et flagorneries de courtisans, sape l'indépendance des journalistes, fragilisés par la crainte du chômage.

"Des médias de plus en plus présents, des journalistes de plus en plus dociles, une information de plus en plus médiocre", une sentence qui résume bien l'esprit de l'auteur qui, avec les résistants contre la pensée unique, hier Paul Nizan, aujourd'hui Chomsky, signe un plaidoyer lapidaire pour la dissidence intellectuelle.