Zuckerberg
Le futur s'est incarné en une image postée sur le Facebook de Mark Zuckerberg dimanche 21 février : d'un pas alerte, le patron de Facebook fait une arrivée surprise au milieu d'une conférence de presse de Samsung au Mobile World Congress de Barcelone, alors que tous les participants sont plongés dans leur casque de réalité virtuelle.

Gros malaise dans les commentaires de la photo. «Mark — ce n'est pas bizarre d'être le seul qui marche à l'aide de ses vrais yeux, alors que tout le monde ressemble à des zombies perdus dans la matrice?», demande un internaute, liké par près de 8.000 personnes. «Je ne veux pas vivre dans un monde comme ça, je veux pouvoir toucher une fleur qui éclot et pouvoir la sentir. Je veux pouvoir faire un câlin à quelqu'un et lui dire en personne que je l'aime», renchérit un autre, plébiscité par 7.500 likes.

Matrix et Orange Mécanique

LeMonde.fr dresse un très intéressant panorama des images de la culture populaire auxquelles renvoie cette mise en scène : Matrix, Orange Mécanique, Johnny Mnemonic, Player One ou la fameuse publicité d'Apple, 1984. La vision d'un futur dystopique de science-fiction.


Au-delà de ces références culturelles, la photo de Zuckerberg inquiète parce qu'elle matérialise la révolution en cours dans la Silicon Valley : l'envahissement de l'espace public.

Jusqu'à présent, l'histoire de l'informatique semblait linéaire. L'ordinateur ne cessait de se réduire, passant de la salle des machines à l'iPhone. La comparaison a souvent été faite entre le premier véritable ordinateur, l'ENIAC, et le smartphone d'Apple : 30 tonnes contre 112 grammes pour l'iPhone 5. La marche vers la miniaturisation semblait inexorable, faisant de l'ordinateur du film Her de Spike Jonzel'aboutissement logique : une simple oreillette.

Mais depuis quelques années, cette course à la miniaturisation semble supplantée par d'envahissants délires futuristes. Ce gif qui a beaucoup tourné ces derniers mois en est le parfait résumé.


Avec les masques de réalité virtuelle, les drones, l'hoverboard ou le selfie stick, la technologie redevient encombrante et pose des problèmes de voisinage. Une liste à laquelle on peut rajouter les Google Glass, les taxis Uber ou les voitures automatiques de Google.

Les frictions avec la ville sont nombreuses. Les drones étaient partout sous les sapins de Noël, mais leur utilisation en ville est fortement restreinte : il est interdit de les faire voler au-dessus de l'espace public en agglomération. Les selfies sticks ont été interdits au Château de Versailles, au MoMA de New York ou dans les parcs Disney.

Glassholes

Mais c'est l'histoire du lancement raté des Google Glass qui nous renseigne le mieux sur notre rapport à ces nouvelles technologies encombrantes. Après plusieurs années de test, Google a retiré de la vente ses lunettes connectées au début de l'année 2015 (même s'il n'a pas complètement abandonné le projet). La technologie était au point, pas son acception par la société.

Les Google Glass ne sont pas si envahissantes qu'un selfie stick mais elles imposent leur présence aux autres. Les premiers utilisateurs l'ont tous rapporté : on ne passe pas du tout inaperçu dans la rue avec des lunettes connectées. Qu'elles soient en train de filmer ou non, la simple possibilité qu'elles puissent le faire tétanisent tout le monde.

Un néologisme a vu le jour pour qualifier les premiers utilisateurs de ces lunettes : les «glassholes», formé avec le suffixe "asshole", trou du cul. Par extension, le terme «glasshole» pourrait s'appliquer à quiconque revendique avec arrogance son avance technologique.

Un autre néologisme définit ce regard perdu dans le vide qu'ont les porteurs de lunettes connectées: «glassed out». C'est précisément cet oeil qui porte ailleurs, qui ne s'inscrit plus dans la vie de la Cité mais s'impose pourtant à elle qui nous gêne dans cette vision d'une assistance perdue dans ses casques de réalité virtuelle.

La réalité virtuelle, «plateforme la plus sociale» ?

Pourtant, sur la scène du Mobile World Congress, Mark Zuckerberg a qualifié la réalité virtuelle de «plateforme la plus sociale»: «Très bientôt nous allons vivre dans un monde où tout le monde aura la capacité de partager et de vivre des scènes entières comme si nous étions juste là, juste à côté de la personne».

La photo montre précisément l'inverse. C'est la vision d'une élite à la fois trop connectée et en même temps totalement déconnectée de la réalité qui transparaît. Ces porteurs de casque semblent aussi isolés du vrai monde que ces employés de Google qui traversent San Francisco derrière les vitres teintées de leur luxueux bus wifi, et qui avaient suscité la colère de la population.

Le futur ne fait pas rêver s'il est si arrogant.