Traduit par Résistance 71

timor oriental
Des documents secrets trouvés aux archives nationales australiennes donnent un aperçu sur le comment un des plus grands crimes du XXème siècle fut accompli et comment il fut maquillé, escamoté. Ils aident aussi à mieux comprendre comment et par qui le monde est dirigé.

Les documents se réfèrent au Timor Oriental, connu maintenant sous le nom de Timor Leste, et furent écrits par des diplomates australiens en fonction à l'ambassade australienne de Jakarta. La date était de Novembre 1976, moins d'un an après que le général dictateur indonésien Suharto ait saisi la colonie portugaise d'alors qu'était l'île de Timor.

La terreur qui s'en suivit n'a que très peu de parallèles, pas même Pol Pot au Cambodge n'a réussi à tuer proportionnellement, autant de Cambodgiens que Suharto et ses potes généraux ne l'ont fait au Timor oriental. Sur une population d'un million de personnes, un tiers furent exterminées.

Ceci représente le second holocauste dont Suharto est responsable. Une décennie plus tôt, en 1965, Suharto arracha le pouvoir en Indonésie (NdT: en renversant le pouvoir de gauche de Sukarno, (cf le film de l'Australien Peter Weir "L'année de tous les dangers", 1982, Mel Gibson et la remarquable Linda Hunt) dans un bain de sang qui coûta la vie à plus d'un million de personnes. La CIA rapporta: "En termes de personnes tuées, les massacres font partie des pires massacres de masse du XXème siècle."

Ceci fut accueilli dans la presse occidentale comme "un rayon de lumière en Asie" (Time). Le correspondant de la BBC en Asie du Sud-Est, Roland Challis, décrivit plus tard comment les massacres furent escamotés pour devenir un triomphe de la complicité et du silence des médias. La ligne éditoriale officielle était que "Suharto avait sauvé l'Indonésie d'une prise en main communiste.".
"Bien sûr mes sources britanniques savaient ce qu'était le plan des Américains", me dit-il. "Il y avait des cadavres qui se retrouvaient sur les pelouses du consulat britannique à Surabaya et des navires de guerre britanniques escortaient un navire plein de troupes indonésiennes pour qu'elles puissent prendre part à cet holocauste. Ce n'est que bien plus tard que nous avons appris que l'ambassade américaine fournissait Suharto avec les noms des gens et rayaient les noms des listes une fois qu'ils avaient été éliminés. Il y avait un accord vois-tu. En établissant le régime Suharto, l'implication du FMI, dominé par les Etats-Unis et la Banque Mondiale en faisait partie. C'était çà la donne de l'affaire."
J'ai interviewé plusieurs survivants des massacres de 1965, incluant le romancier indonésien adulé Pramoedya Ananta Toer, qui fut le témoin d'une épique souffrance "oubliée" en occident parce que Suharto était "notre homme". Alors un second holocauste au Timor Oriental si riche en ressources naturelles et colonie sans défense, était pratiquement inévitable.

En 1994, j'ai filmé clandestinement au Timor Oriental occupé. J'y ai trouvé une terre jonchée de croix et d'une peine et d'un deuil inoubliables. Dans mon film reportage "Mort d'une nation", il y a une séquence tournée a bord d'un avion australien volant au dessus de la mer de Timor. Deux hommes en costards cravate trinquent au champagne. "Ceci est un moment historique unique, c'est vraiment historique", balbutie l'un d'eux.

Il s'agit du premier ministre australien d'alors Gareth Evans. L'autre est Ali Alatas, le porte-parole principal de Suharto. Nous sommes en 1989 et ils sont dans un vol symbolique pour célébrer cette donne de piratage appelée un "traité". Celui-ci permet à l'Australie, à la dictature de Suharto et aux compagnies internationales de pétrole de se partager le butin des ressources en gaz et en pétrole du Timor Oriental.

Grâce à Evans, le premier ministre australien d'alors, Paul Keating, qui voyait Suharto comme un patriarche et un gang qui gérait alors la politique étrangère australienne, l'Australie se distingua grandement comme le seul pays occidental à reconnaître officiellement la conquête génocidaire de Suharto. La récompense dit alors Evans était de "zillions de dollars".

Des membres de ce gang sont réapparus l'autre jour dans des documents trouvés aux archives nationales par deux chercheurs de l'université Monash de Melbourne, Sarah Niner et Kim McGrath. De leur propre main, les hauts fonctionnaires du ministère des affaires étrangères australien plaisantent sur les rapports de viols, de tortures et d'assassinats des Tomoriens orientaux par les troupes indonésiennes. Dans des a,notations manuscrites sur un memorandum décrivant les atrocités commises dans des camps de concentration, un diplomate écrivit: "çà à l'air marrant". Un autre écrivit: "on dirait que la population s'éclate bien".

Se référant à un rapport de la résistance indonésienne, Fretilin, qui décrit l'Indonésie comme un envahisseur impuissant, un autre diplomate railla: "Si 'l'ennemi' était impuissant comme stipulé, alors comment se fait-il qu'il y ait tant de viols quotidiens dans la population ? Ou est-ce que c'est a cause de çà ?"

Les documents sont une "preuve vivide du manque total d'empathie et de préoccupation pour la violation des droits de l'Homme au Timor Oriental", dit Sarah Niner. "Les archives révèlent que cette culture de couverture est étroitement liée au besoin du ministère des AE de reconnaître la souveraineté indonésienne sur le Timor Oriental afin de commencer des négociations au sujet du pétrole de la Mer du Timor."

Ceci fut une conspiration afin de voler le pétrole et le gaz naturel du Timor Oriental. Dans des câbles diplomatiques fuités en Août 1975, l'ambassadeur australien à Jakarta, Richard Woolcott, écrivit à Canberra: "Il me semble que le ministère/département à l'énergie et aux affaires minières aurait tout à fait intérêt à combler le fossé actuel avec la frontière maritime acceptée et ceci pourrait bien être plus négociable avec l'Indonésie... qu'avec le Portugal ou un Timor indépendant des Portugais." Woolcott révéla qu'il avait été mis au courant des plans secrets d'invasion indonésiens. Il câbla Canberra pour dire que le gouvernement "devrait assister à une compréhension publique en Australie" et pour contrer une "critique de l'Indonésie".

En 1993, j'ai interviewé C. Philip Liechty, un ancien officier de terrain de la CIA à l'ambassade de Jakarta durant l'invasion du Timor Oriental. Il me dit alors:
"Suharto a reçu le feu vert des Etats-Unis pour faire ce qu'il a fait. Nous leur avons fourni tout ce dont ils avaient besoin, des fusils d'assaut M16 et de la logistique militaire américaine... Plus de 200 000 personnes pour la plupart non-combattantes ont été tuées. Quand les atrocités ont commencé à transparaître dans les rapports de la CIA, ils ont maquillé l'affaire le plus longtemps possible et lorsqu'ils ne purent plus cacher plus longtemps, elles furent rapportés dans un style complètement aseptisé, très généralisé, ainsi même nos propres sources furent sabotées."
J'ai demandé à Liechty ce qu'il se serait passé si quelqu'un avait parlé. "Ça aurait été la fin de votre carrière." A t-il dit. Il me confia que l'entretien qu'il m'accordait était une façon pour lui de faire amende honorable des "remords qu'il avait."

Le gang de l'ambassade d'Australie à Jakarta n'apparaît pas avoir souffert de tels états d'âme. Un des gribouilleurs de documents, Cavan Hogue, a dit au Sydney Morning Herald: "Ce n'est pas mon écriture du tout. Si j'ai fait un commentaire de la sorte, étant la tête de lard cynique que je suis, çà aurait sûrement été dans un esprit d'ironie et de sarcasme. C'est au sujet du communiqué de presse [de Fretilin], pas des Timoriens." Hogue a dit qu'il y a eu des "atrocités des deux côtés".

Étant un de ceux qui ont rapporté et filmé les preuves matérielles du génocide, je trouve cette dernière remarque spécifiquement profane. La "propagande" de Fretilin dont il se gausse était très juste. Le rapport subséquent de l'ONU au Timor Oriental décrit des milliers de cas d'exécutions sommaires et de violences contre les femmes par les forces spéciales commandos de Suharto, Kopassus, dont un grand nombre fut entraîné en Australie. "Viol, esclavage sexuel et violence sexuelle furent des outils utilisés dans cette campagne créée pour infliger une terreur sans nom, un sentiment d'impuissance et de désespoir chez les supporteurs pro-indépendance.", dit l'ONU.

Cavan Hogue, le rigolo et "tête de lard cynique", fut promu ambassadeur et prit sa retraite avec une pension très très généreuse. Richard Wollcott fut nommé patron du département des AE de Canbarra et, depuis sa retraite, a fait bon nombre de conférences en tant qu' "intellectuel diplomate respecté."

Les journalistes venaient s'abreuver à l'ambassade australienne de Jakarta, notamment ceux employés par Ruppert Murdoch, qui contrôle près de 70% de la presse de la capitale de l'Australie. Le correspondant de Murdoch en Indonésie était Patrick Walters, qui rapporta que "les résultats économiques de Jakarta au Timor Oriental étaient impressionnants", tout comme l'était le "généreux développement" de Jakarta dans ce territoire baignant toujours dans le sang. Quant à la résistance timorienne orientale, elle était "sans leaders" et battue. Et de toute façon " maintenant plus personne n'est arrêté sans des procédures légales adéquates."

En décembre 1993, un des vétérans de Murdoch, Paul Kelly, alors rédacteur en chef du quotidien "The Australian", fut nommé par le ministre Evans à l' Australia-Indonesia Institute, une entité fondée par le gouvernement australien pour promouvoir les "intérêts communs" de Canberra et de la dictature de Suharto. Kelly mena un groupe d'éditeurs de presse australiens à Jakarta pour une audience spéciale avec le massacreur en chef. Il y a même une photo de l'un d'entre eux s'inclinant devant lui.

Le Timor Oriental a gagné son indépendance en 1999 par le courage et le sang de ses gens du commun. La petite et fragile démocratie fut de suite sujette à des campagnes d'agression constantes de la part du gouvernement australien qui chercha à le manœuvrer hors de sa propriété légale de son gaz et son pétrole du fond de la mer. Pour y parvenir, l'Australie refusa de reconnaître la juridiction de la Cour Pénale Internationale et la loi de la mer (loi de l'amirauté) et changea de manière unilatérale la frontière maritime en sa propre faveur.

En 2006, un contrat fut finalement signé, de style mafieux, largement sur les termes de l'Australie. Peu de temps après, le premier ministre Mari Alkitiri, un nationaliste qui s'était rebellé contre Canberra, fut déposé dans ce qui fut appelé une "tentative de coup d'état" faite par des "gens de l'extérieur". L'armée australienne, qui a des troupes de "maintenance de la paix" au Timor Oriental, avait entraîné ses opposants.

Depuis ces 17 ans d'indépendance du Timor Oriental, le gouvernement australien a pris 5 milliards de dollars de gaz et de pétrole, un argent qui appartient à son pauvre voisin.

L'Australie a été appelée "l'adjoint du shériff" des Etats-Unis dans le Pacifique Sud. Un des hommes portant l'insigne est Gareth Evans, le premier ministre filmé trinquant au champagne pour fêter le vol des ressources naturelles du Timor Oriental. Aujourd'hui, Evans est un zélé qui fait des conférences faisant la promotion d'une variété de va t'en guerre placés sous la bannière de la "Responsabilité de Protéger" ou R2P. En tant que co-chairman de "Global Center" basé à New York, il dirige un groupe de lobbying soutenu par les US qui pousse la "communauté internationale" à attaquer des pays quand "le conseil de sécurité de l'ONU rejette une proposition ou échoue de s'en occuper dans un laps de temps raisonnable." Le type parfait pour faire le boulot comme disent les Timoriens Orientaux.