erdogan merkel
Ce n'est pas une bonne année pour Angela Merkel. En essayant de gérer la crise des réfugiés et de contenter tout le monde, la chancelière allemande a sacrifié l'Europe pour assouvir les caprices d'un dirigeant turc toujours plus despotique.

Le flux de migrants et de réfugiés entrants en Europe

Il n'a pas fallu longtemps pour que la politique d'Angela Merkel dans cette crise revienne la hanter. Un accord qui devait faciliter le flux de migrants et de réfugiés entrants en Europe est désormais sur le point d'échouer à cause des exigences de la Turquie, et les critiques affluent de toutes parts.

Cela fait des mois que Bruxelles et Ankara reviennent sur les détails de cet accord. En renvoyant des réfugiés en Turquie depuis la Grèce, l'accord est supposé réduire la motivation des gens à se rendre illégalement en Europe - et réduire la pression sur Berlin et Angela Merkel. Le projet fonctionnait. Logiquement cela signifie que tous les obstacles à cet accord seraient surmontés pour le maintenir. Désormais Bruxelles exige qu'Ankara précise sa définition du terrorisme. C'est essentiel car, ces derniers temps, le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan s'est servi des termes «terroriste» et «sympathisant des terroristes» pour s'en prendre à ceux qui critiquent le régime, y compris les journalistes.

Chantage ou fiasco

Si Ankara se conforme à la liste des 72 exigences de Bruxelles, elle recevra trois milliards d'euros pour faire face à la crise des réfugiés, une reprise des négociations pour l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne et l'exemption de visas pour les citoyens turcs se rendant dans l'espace Schengen. Cependant Recep Tayyip Erdogan ne semble pas vouloir se conformer [aux exigences de Bruxelles]. En réalité, il ne cache pas qu'il est prêt et désireux d'exploiter la détresse de l'Europe. Si Bruxelles ne revoit pas à la baisse ses exigences, il a menacé d'«ouvrir le robinet migratoire».

Les politiciens allemands de tous les partis critiquent vivement Angela Merkel pour exposer leur pays et toute l'Union européenne au chantage du président turc. Sahra Wagenknecht, membre du Parti d'extrême gauche, a accusé la chancelière de laisser l'Europe devenir «vulnérable au chantage» et Recep Tayyip Erdogan croire qu'il peut «écraser les droits de l'homme» à sa guise et ce, avec ce qui ressemble à un soutien tacite de Bruxelles.

Cependant, quand même vos alliés se demandent si vous n'avez pas perdu la tête, il serait peut-être temps de réévaluer vos priorités. Le chef du parti frère de l'Union Chrétienne-Démocrate (le parti d'Angela Merkel), Horst Seehofer, a prévenu que bien qu'il ne soit pas contre des discussions avec la Turquie, il est «dangereux d'en devenir aussi dépendant».

Difficile de ne pas être d'accord avec ceux qui critiquent Angela Merkel quand on regarde sa gestion - ou son absence de gestion - de la crise.

La popularité d'Angela Merkel en baisse

Malheureusement pour Angela Merkel, ces critiques sont plus présentes que jamais. Ceux qui étaient contre sa première politique de portes ouvertes pensent que les dégâts ont été faits et que Recep Tayyip Erdogan profite pleinement du désespoir de Bruxelles d'endiguer le flux de migrants, alors que ceux qui soutenaient cette politique pensent qu'elle a fait volte-face en négociant un tel accord avec la Turquie.

Mais là où elle a vraiment perdu les pédales, c'est quand elle n'a pas défendu un comédien allemand que Recep Tayyip Erdogan réclamait qu'on poursuive en justice pour l'avoir insulté dans un poème. L'humoriste, Jan Böhmermann, a lu un poème satirique à la télévision, provoquant la colère du président turc et touchant légèrement son égo délicat. Angela Merkel a scandalisé des millions d'Allemands et d'Européens en n'émettant aucune objection à ce que Jan Böhmermann soit poursuivi en justice, conformément à une loi allemande qui interdit les insultes envers les dirigeants étrangers. Au lieu de défendre Jan Böhmermann au nom de la liberté d'expression, Angela Merkel a déclaré par l'intermédiaire de son porte-parole que ce poème était «délibérément insultant» - comme si cela rendait la demande du président turc de poursuivre en justice quelqu'un pour l'avoir insulté normale. La décision sensationnelle d'Angela Merkel a clairement montré l'ampleur de l'influence turque sur Berlin.

Le comédien a déclaré plus tard qu'Angela Merkel l'avait «servi sur un plateau» à un despote. Là encore, difficile de ne pas être d'accord. La débâcle a prouvé l'égo fragile de Recep Tayyip Erdogan et la volonté d'Angela Merkel de l'épargner, coûte que coûte. Heureusement, la cour allemande a jusqu'ici plus défendu le droit du comédien à la liberté d'expression que le droit de Recep Tayyip Erdogan à empêcher qu'on dise du mal de lui.

Pourquoi tout cela?

Essayez, autant que possible, d'imaginer ce que l'Europe peut bien retirer de tout ça ? Soit Bruxelles échoue dans ses négociations avec la Turquie et la crise des réfugiés reprend de plus belle, soit les négociations se poursuivent et la Turquie est sur le chemin de l'exemption de visa pour l'Europe. Faites un petit sondage auprès des Européens et vous verrez qu'ils ne souhaitent ni l'un ni l'autre. En réalité, proposer une exemption de visa à un pays qui a systématiquement été accusé d'accueillir et de financer les combattants de l'Etat islamique est tout à fait incompréhensible pour beaucoup [d'Européens]. Pour ne pas mentionner les flagrantes violations des droits de l'homme et l'emprisonnement des journalistes.


Commentaire : Seulement les Etats-Unis qui sont derrière Erdogan ont quelque chose à en retirer :
  • Une cabale de think tanks liés à l'OTAN orchestre la crise des réfugiés



L'Union européenne n'apprécie guère les disputes entre ses nations. Lorsque l'une d'entre elles menace de sortir des rangs, on commence à nous parler d'«unité» et à nous dire qu'on est mieux ensemble. Si on regarde la relation actuelle entre Ankara et Bruxelles, on voit mal comment la Turquie pourrait faire partie de cette équation. Angela Merkel aurait pu essayer d'arrêter Recep Tayyip Erdogan dans son élan en le prévenant que ses exigences et son chantage permanents ne feraient pas plier Bruxelles mais bloqueraient toute discussion sur l'adhésion à l'Union européenne et l'exemption de visa avec Bruxelles. Mais, là encore, cela fonctionnerait si Erdogan avait un quelconque intérêt à l'adhésion de son pays à l'Union européenne. Quelque chose me dit qu'il n'apprécierait pas beaucoup cette façon de faire. N'oubliez pas que cet homme a déclaré que «la démocratie, la liberté et l'Etat de droit» n'avaient plus «aucune valeur» en Turquie.

Angela Merkel était dans l'obligation de faire des concessions et des sacrifices parce qu'il n'y a désormais pas d'autre choix et pourtant, l'accord est sur le point d'échouer parce que, peu importe ses efforts, le dirigeant turc n'est jamais satisfait.

Pour Recep Tayyop Erdogan, c'est tout ou rien. Il obtient ce qu'il veut ou il envoie balader Bruxelles. Il peut ouvrir «le robinet migratoire» à sa guise et contrôle une base de l'OTAN essentielle aux intérêts stratégiques des Etats-Unis au Moyen-Orient. Avec une telle main, les autres joueurs n'ont aucune chance.